FREE PALESTINE
28 novembre 2009

Rapport de mission en Palestine ‘Proche-Orient Santé’(GPOS)

Rapport de mission en Palestine (7 jours du 25/10 au 01/11/2009) du groupe ‘Proche-Orient Santé’(GPOS) soutenue par Médecins du Monde – Belgique.

        Le GPOS est une ASBL de travailleurs de la santé dont l’objectif est de témoigner des difficultés médicales, psychologiques et sociales imposées aux Palestiniens des Territoires Occupés. Le GPOS propose également une aide médicale et psychologique et participe à la formation continue. Notre principal interlocuteur palestinien est la Palestinian Medical Relief Society (PMRS), une ONG ‘nationale’ laïque et indépendante qui se consacre à la santé primaire. Le GPOS est solidaire des organisations israéliennes militant pour le respect des droits de l’homme en Palestine occupée : Physicians for Human Rights Israël (PHR), Alternative Information Centre (AIC), Taa’Yush, Peres Centre for Peace, etc…Pour la présente mission, le groupe était constitué de 5 médecins : V.A (méd gén), O.M (pédo-psychiatre), M.R (méd. gén. et santé publique), P.V (cardio-pédiatre, membre de MdM) et MJ.W (méd. gén.), d’un psychothérapeute (M.A) et de 2 non-médecins : D.D(Ingénieur, responsable de la mission) et L.T (communication, membre de MdM)

Objectifs : L’objectif prioritaire était d’entrer à Gaza pour observer les conséquences médicales, psychologiques et sociales de l’offensive israélienne de janvier 2009. Nous y sommes restés 4 jours, du 26 au 30 octobre. Nous avons passé les 3 autres jours en Cisjordanie, où nous avons pris connaissance de l’évolution de la situation à Jérusalem Est et dans la vallée du Jourdain sous le régime du gouvernement Netanyahu-Lieberman.

A. Gaza :

        L’entrée à Gaza par Erez a été simple grâce à la bonne organisation de Daniel Dekkers et l’appui de Médecins du Monde Belgique. Nous avons parcouru la bande de Gaza du nord au sud et d’est en ouest avec les cliniques du PMRS et de Caritas.

Situation médicale :

        Soins primaires : Les soins primaires sont assurés par divers réseaux de cliniques fixes et mobiles, dont celles du PMRS, du Ministère de la Santé et celles d’ONG internationales, comme Caritas et Médecins du Monde-France (qui supervise 56 cliniques de 4 types différents tenues exclusivement par les Gazaouis). Les soins primaires sont bien répartis. L’expertise des médecins est raisonnable (il y a des exceptions…), mais l’approvisionnement en médicaments est parcimonieux et celui en équipement médical est impossible. Ainsi, MdM-F n’a pu faire passer une seule pièce d’équipement depuis janvier 2009. Il semble que les tunnels n’aident en rien l’équipement médical, preuve indirecte du caractère purement commercial du trafic entre l’Egypte et Gaza.

        Soins de deuxième niveau (hospitaliers) : Le blocus empêche totalement la maintenance ou le remplacement du matériel qui devient progressivement inutilisable. Ainsi, les 5 CT scans et RMN de la bande de Gaza ne fonctionnent plus. Les structures hospitalières elles-mêmes se délabrent et ne peuvent être améliorées ou remplacées vu l’absence de matériaux de construction et d’équipement sanitaire. La qualité des soins se voit décliner progressivement. Ceci est flagrant à l’hôpital des enfants Al Nasser, manifestement obsolète et sous-équipé, malgré des initiatives ponctuelles de ‘rafraîchissement’ des locaux. Le centre néonatal est le plus défavorisé.

        Soins de troisième niveau : Il n’y a pas d’hôpitaux de référence à Gaza et les patients doivent être transférés en Cisjordanie, Jordanie, Egypte ou Israël pour y recevoir des soins spécialisés. Depuis le blocus, la difficulté de transfert des patients ne cesse de s’accroître et nombre de décès sont imputables aux délais, voire aux refus de transfert. Selon Physicians for Human Rights Israël, le gouvernement israélien cible les organisations de défense des droits de l’homme et l’ONG a  cessé d’être un interlocuteur reconnu pour l’organisation du transfert des patients de Gaza. De plus en plus, les patients n’obtiennent leur transfert qu’à la condition de devenir informateur du Shinbet ; la discorde inter-palestinienne ne simplifie pas les choses - discorde d’ailleurs savamment entretenue, nous le rappela le Pr S., par les USA (Fatah) et la Syrie (Hamas) entre autres…. A l’hôpital des enfants nous avons vu quelques nouveaux nés porteurs de malformations opérables, mais qui n’avaient pas reçu d’autorisation de transfert. La drogue permettant leur survie provisoire n’étant plus disponible, ces enfants étaient condamnés à très brève échéance. Selon nous, il existe une contradiction entre les chiffres de mortalité infantile officiellement publiés (21 ‰) et ceux qui devraient résulter des restrictions thérapeutiques imposées aux nouveaux nés. Si rien ne change, il faut s’attendre à voir ces chiffres se détériorer très rapidement.

        Santé mentale : Le blocus impose depuis 3 ans une incarcération de toute la population tandis que le harcèlement de l’armée israélienne (IDF) crée une situation d’insécurité permanente dont l’offensive de janvier a été le point culminant. Dans ces conditions, la santé mentale des Gazaouis ne saurait être bonne. Selon le Pr S., psychiatre internationalement reconnu responsable du Centre de Santé Mentale, il existe un besoin aigu de psychothérapeutes, à la fois pour les enfants, les adultes et les familles. Des thérapies de groupe sont improvisées dans certaines cliniques, mais la qualité de la supervision laisse à désirer étant donné le manque de personnel spécialisé. Il existe aussi d’heureuses initiatives, comme celle de J. AR, qui a mis sur pied un projet de drama-thérapie en faveur d’enfants handicapés de l’ouïe. Ce projet a pu se matérialiser grâce à un financement belge porté par M.A. Signalons aussi l’initiative de Caritas offrant des consultations psycho-sociales et le travail remarqué d’une équipe multidisciplinaire à Raffah.

        Hygiène de l’environnement : L’hygiène générale de la population paraît satisfaisante, mais nous n’avons pas pénétré dans beaucoup de maisons. La propreté générale des rues nous a paru d’un meilleur niveau que l’an dernier (nombreux balayeurs de rue). Le problème le plus préoccupant concerne le traitement des eaux usées : les stations d’épuration ont souffert des bombardements et ne peuvent plus être entretenues à cause du blocus. Une bonne partie des eaux usées sont rejetées telles quelles à la mer. Les stations d’épuration se fissurent : les eaux usées s’infiltrent pour rejoindre la nappe phréatique, contaminant l’eau potable (information disponible sur le site http://www.youtube. com/watch? v=KprSEbtjKDY ). Les enfants souffrent de fréquentes gastro-entérites et de parasitoses intestinales (essentiellement amibes et giardia/llamblia) et la prévalence des anémies est d’environ 50% chez les enfants. Le risque épidémique est bien sûr de plus en plus élevé.

        Formation continue : les séminaires ont été bien accueillis et les collègues ont été très interactifs. En un après-midi, il n’était guère possible d’entrer dans les détails. Nous pensons qu’il y aurait intérêt à proposer davantage de dialogue médical et moins de participation aux soins, pour lesquels nous sommes fort démunis, ne parlant pas la langue. Il y a manifestement un désir de formation complémentaire par contact direct. Nous devrions travailler en ce sens pour l’avenir et peut-être encourager des jumelages universitaires, en sachant bien sûr qu’il faudra passer par l’administration du Hamas…Une réflexion avec le BICUP est souhaitable.

Conséquences de l’offensive de janvier 2009 :

        A la périphérie de Gaza et de Raffah (zone des tunnels), bombardement de quartiers entiers  dont les ruines sont impressionnantes. Par contre, pas de destruction massive en ville. Des maisons et des édifices ont été détruits, mais de manière isolée et les ruines ont été évacuées. Le promeneur non averti n’a pas de perception immédiate des conséquences de l’offensive. On voit pourquoi il n’y a eu ‘que’ 1500 morts : si la ville même avait été bombardée à l’image de sa périphérie, c’est par dizaines de milliers qu’on aurait dénombré les victimes. Notons l’absence de destruction des structures de soins. Le PMRS n’a perdu aucun membre de son personnel, mais les ambulances ont été détruites ; elles sont remplacées.

        PHR-Israël estime qu’il faut intensifier la pression de l’opinion internationale pour imposer à Israël une enquête ‘domestique’ sur les crimes de guerre commis à Gaza et pour imposer la reconnaissance du rapport Goldstone (qui vient d’être bafoué aux USA…).

Situation sociale :

        Elle est catastrophique pour la majorité des citoyens : blocus impitoyable, taux de chômage de plus de 50% (aggravé encore par la destruction de nombreuses PME en janvier) et dépendance des rations alimentaires de l’UNRWA. Celles-ci sont désormais insuffisantes car les distributions sont devenues trimestrielles bien que calculées sur une base mensuelle. Les denrées et produits entrant par les tunnels (toujours actifs malgré les bombardements, nous les avons vu ‘fonctionner’) sont chers et ne profitent qu’à la minorité de la population qui peut se permettre les prix du marché noir. Il ne semble pas que le gouvernement (Hamas) ait le pouvoir ou la volonté d’une régie socialement équitable des produits des tunnels. Le fossé économique entre notables et reste de la population semble s’accroître. Il nous a paru que les quartiers ‘riches’ étaient mieux tenus que l’an dernier (Gaza possède encore des quartiers bourgeois dignes de la Riviera…) Le promeneur candide, au centre ville, retrouve un peu l’atmosphère des stations balnéaires méditerranéennes. Ce d’autant que les commerces exposent davantage de produits de luxe (relatif…) transitant par les tunnels. Bien sûr, cette impression d’amélioration est fallacieuse et masque la paupérisation aggravée du reste de la population et la menace persistante des agressions israéliennes.

Situation sécuritaire :

        On se promène à Gaza comme chez nous, en toute sécurité. Les policiers sont plutôt rares et il n’y a pas de harcèlement. La population est très accueillante et cherche systématiquement le contact et il y a très peu de mendicité. Malgré les circonstances, l’ambiance est assez bonne et les jeunes gardent leur exubérance coutumière.

Situation politique :

        La population semble s’être résignée à voir la Palestine divisée en 2 territoires gouvernés séparément. Par le Hamas à Gaza et par l’’Autorité’ Palestinienne (Fatah) en Cisjordanie. A Gaza, l’influence du Hamas est claire dans les structures officielles du Ministère de la Santé. Le principal hôpital de la ville, l’hôpital Shiffa, ne peut être visité qu’en présence d’un membre officiel du ministère. Nous n’avons cependant pu rencontrer de membre du gouvernement et n’avons donc pu nous forger d’opinion valable quant au type de gouvernance mis en place – à l’exception de la direction des hôpitaux. Quoi qu’il en soit, le Hamas jusqu’à présent semble se ménager les faveurs de la population. Les opinions circulent librement, les femmes portent quasi toutes le foulard mais travaillent normalement et dialoguent contradictoirement avec les hommes – à tout le moins dans le secteur de la santé, le seul que nous ayons réellement fréquenté.

B. En Cisjordanie :

Situation médicale :

        Elle est comparativement favorable dans l’ensemble car les médecins ont moins difficilement accès aux médicaments et équipements nécessaires. Selon PHR cependant, l’expertise médicale est en déclin dans l’ensemble des Territoires Occupés. Un hôpital d’enfants est en construction à Ramallah. Nous avons visité les cliniques du PMRS de la vallée du Jourdain destinées à la population bédouines ; elles sont impeccables. Dans le village de Jitlek, le PMRS a réussi à construire une clinique malgré l’interdiction des Israéliens. C’est dans ce village aussi qu’une école menacée de destruction par Israël a pu être sauvée grâce à la pression de groupes israéliens et internationaux. Les hôpitaux du troisième niveau sont le plus gros point faible en Cisjordanie. Ils ne peuvent couvrir la totalité des spécialités nécessaires (par exemple la chirurgie cardiaque pédiatrique), ce qui maintient une dépendance (probablement entretenue) vis-à-vis des centres israéliens.

L’hôpital Al Makassed est le seul hôpital palestinien d’Est-Jérusalem. Il possède un centre de chirurgie cardiaque pédiatrique de qualité. Il est exclu de la Palestine résiduelle par le Mur et Israël s’attache à l’étouffer : les quotas d’admission sont ridicules, le matériel est hors de prix car en provenance obligatoire d’Israël, le personnel palestinien ne peut y accéder qu’en subissant 3 check points successifs et la sortie du personnel est obligatoire avant 18h, ce qui rend quasi caduc le service de garde.

Les droits de l’homme :

        Selon l’Alternative Information Centre (initiative israélienne établie à Jérusalem et Bethléem par M.W), le processus de paix (qui ne sera pas à l’ordre du jour avant 50 ans…dixit in petto les gouvernants) reste un concept virtuel qui est en contradiction totale avec la réalité matérielle du terrain ; L’objectif avoué est de judaïser le maximum de la Cisjordanie (80%). Israël colonise là où ‘il n’y a pas de propriétaire’. Sous le régime ottoman, il n’y avait pas de cadastre ; les Jordaniens n’ont pu cadastrer qu’en partie le nord de la Cisjordanie entre 1948 et 1967. Les propriétaires Palestiniens de Judée-Samarie ne peuvent donc avancer de justification cadastrale, ils sont des ‘présents foncièrement absents’ (dixit Sharon) et les terres sur lesquelles ils vivent sont donc ‘libres’ et colonisables…Israël sait que l’expulsion ou le ‘transfert volontaire’ des Arabes est impensable et que la création d’un état unique les priverait d’un état juif. Ils mettent donc en œuvre la création de 2 états topographiquement ‘superposés’ à l’aide d’un réseau complexe de ponts et tunnels qui isolent des enclaves palestiniennes de plus en plus restreintes. La vallée du Jourdain devrait être annexée l’an prochain et une barrière séparera les collines de Judée-Samarie de la plaine fertile située entre elles et le Jourdain. Les cliniques du PMRS qui y sont établies deviendraient ainsi ‘off limits’ pour les Palestiniens. Les Bédouins ont de moins en moins d’espace, mais ils ont reçu l’autorisation de s’établir sur une décharge à l’est de Jérusalem…Le Mur en béton fait de plus en plus souvent place à une barrière complexe de barbelés et autres dispositifs de 50 m de large (contribution efficace de la firme belge Bekaert…). Cette structure a l’avantage de ne pas matérialiser une frontière comme le fait le mur et de pouvoir être déplacée aisément lors du grignotage des terres palestiniennes.

Conclusions : 

        La situation médicale à Gaza se dégrade progressivement, mais ce n’est pas de l’aide médicale que viendra la solution, puisque les plus grosses ONG internationales échouent dans leurs tentatives d’importation du matériel nécessaire. Seule une solution politique peut améliorer la situation avant qu’il ne soit trop tard. Néanmoins, nous sommes convaincus qu’il est utile d’aller à Gaza : par solidarité et pour témoigner. Le maintien du niveau des connaissances médicales est également un objectif important et la coopération universitaire internationale doit être recherchée.  La santé mentale enfin est un créneau peu développé et il y a là un grand désir de collaboration, difficile certes en raison de la barrière linguistique, mais qui cadrerait bien avec les objectifs de Médecins du Monde-Belgique.

        La situation médicale en Cisjordanie est meilleure mais loin d’être parfaite. Là aussi, la solution ne peut venir que d’un changement de la politique israélienne, ce qui n’est malheureusement pas à l’ordre du jour. En même temps que les obstacles à la santé, notre action doit continuer à dénoncer la politique d’annexion israélienne, son déni du droit international et ses entorses aux droits de l’homme.

    

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