FREE PALESTINE
20 juin 2008

Le tracé de l’Etat palestinien vu par Israël, selon un négociateur

Le tracé de l’Etat palestinien vu par Israël, selon un négociateur.

pa789

Assis à son bureau situé sur les hauteurs de Ramallah, Mohammed Shtayyeh, l’un des membres de l’équipe de négociateurs palestiniens pilotée par l’ancien premier ministre Ahmed Qoreï, saisit un stylo et esquisse sur une feuille volante la carte de la Cisjordanie telle que l’envisagent ses homologues israéliens au terme de l’accord de paix en cours de discussion.

Son trait reproduit d’abord les contours de la barrière de séparation qui englobe les principaux blocs de colonies et annexe de facto 8 % de terres palestiniennes. Puis il délimite une large bande hachurée, le long de la vallée du Jourdain, considérée comme une "zone de sécurité". Et, enfin, il exclut la région de Jérusalem, dont les négociateurs israéliens, dirigés par la ministre des affaires étrangères, Tzipi Livni, refuse pour l’instant de parler. "Vous voyez que la proposition israélienne n’est pas sérieuse", s’exclame Mohammed Shtayyeh, directeur du Conseil palestinien pour la reconstruction et le développement et, à ce titre, responsable du dossier des infrastructures dans les négociations avec l’Etat hébreu.

Le Monde n’a pas été en mesure de recouper les affirmations de M. Shtayyeh auprès de sources israéliennes. "Nous ne divulguons pas les détails des négociations. Les discussions sont difficiles mais nous progressons", se borne à déclarer Aryeh Mekel, le porte-parole du ministère des affaires étrangères.

Cependant, les quelques fuites parues dans la presse ainsi que d’autres entretiens menés sous le couvert de l’anonymat avec un diplomate étranger et avec deux autres négociateurs palestiniens tendent à corroborer les propos de M. Shtayyeh. Leur précision rompt avec le quasi-mutisme auquel les négociateurs palestiniens se sont astreints depuis la relance des pourparlers de paix, en novembre 2007, lors de la conférence d’Annapolis aux Etats-Unis.

Tout en exprimant leur scepticisme quant à la possibilité d’aboutir à un accord de paix d’ici à la fin de l’année conformément au voeu du président américain George Bush, ceux-ci ont toujours évité de rentrer dans les détails des cartes.

Sept mois après la grand-messe d’Annapolis, alors que la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice effectuait ce dimanche une énième navette dans la région, les révélations de M. Shtayyeh trahissent donc le profond désenchantement, pour ne pas dire le ras-le-bol, qui anime la délégation palestinienne. "Nos approches sont complètement antithétiques, explique un négociateur palestinien. La nôtre consiste à partir du droit international et des frontières de 1967 et à négocier, sur cette base, quelques arrangements. Celle des Israéliens consiste à partir des faits accomplis sur le terrain. Ils disent que le droit international n’a rien à voir avec notre conflit. Ils affirment qu’ils ont un titre de propriété sur Eretz Israël (la terre d’Israël), qu’il ne s’agit pas de nous rendre des territoires, mais de nous en donner."

Sur le fond, le croquis de M. Shtayyeh révèle deux éléments importants de ces négociations. Le premier est que l’Etat hébreu entend faire de la barrière de séparation sa frontière orientale avec les Palestiniens, contrairement à ses déclarations officielles et alors même que cet ouvrage a été jugé illégal par la Cour internationale de justice de La Haye. La présence au sein de l’équipe de négociation israélienne du colonel de réserve Dany Tirza, l’homme qui a dessiné le tracé de la barrière sous la dictée du premier ministre Ariel Sharon, est à ce titre révélatrice.

Le second élément important est qu’Israël, conformément à ses positions passées, ambitionne de conserver une forme de contrôle sur la vallée du Jourdain, une zone que les Palestiniens revendiquent comme leur frontière avec le royaume jordanien. "Nos homologues refusent d’aborder ce dossier avant d’avoir négocié des arrangements sécuritaires", assure un membre de la délégation palestinienne.

Et qu’en est-il de l’échange de terre, ce principe élaboré en 2000, à la fin du processus d’Oslo, par lequel Israël monnayerait l’annexion de certaines colonies par une cession aux Palestiniens d’une partie de ses terres ? D’après un diplomate étranger familier du dossier, "la carte israélienne ne fait pas mention" d’un tel mécanisme. "L’idée des Israéliens est que le corridor prévu entre Gaza et la Cisjordanie vaut plus que la superficie exacte sur lequel il est établi, dit-il. Ils envisagent également de donner aux Palestiniens un accès au port d’Ashdod."

Confrontés à cette carte, qui est à la fois lacunaire (sur le statut de Jérusalem), floue (sur la question de la vallée du Jourdain) et expansionniste (le long de la barrière), les adjoints d’Ahmed Qoreï peinent à progresser, même sur les dossiers les moins sensibles. "Comment traiter de la question des infrastructures s’il n’est pas possible de parler de l’aéroport de Qalandiya (inclus dans les frontières municipales de Jérusalem, donc exclu des négociations) ?", s’interroge Mohammed Shtayyeh. "Comment faire avancer les tractations économiques, si l’on ne sait pas où seront situés les postes-frontières et donc les douanes ?", ajoute-t-il.

La carte palestinienne semble beaucoup plus détaillée. D’après un diplomate étranger qui a pu l’examiner, elle suppose qu’Israël ne s’empare que de 2 % de la Cisjordanie et prévoit un échange de terres de taille et de qualité similaires. "Les pourparlers avancent très doucement, dit-il. A ce stade, il est normal que les négociateurs soient tentés de durcir leurs positions pour maximiser leurs gains. Il n’empêche qu’en comparant ces deux cartes, l’israélienne et la palestinienne, on se rend compte que l’écart entre les deux camps est un véritable gouffre.

Benjamin Barthe - Le Monde du 18 juin 2008

Commentaires
Derniers commentaires
Recevez nos infos gratuites
Visiteurs
Depuis la création 866 434
Archives