FREE PALESTINE
18 septembre 2017

Parler avec le Hamas

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Parler avec le Hamas
Texte adressé au journal Le Monde et resté sans réponse

Christophe Oberlin*

Dans un article du 1er septembre 2017**, l’envoyée spéciale du Monde dans la Bande de Gaza, aborde le thème du blocus auquel est soumis le territoire.

De retour de Gaza où j’ai pu, cet été, observer les effets dévastateurs du siège israélo égyptien, aggravé récemment par de nouvelles dispositions prises par l’Autorité Palestinienne, je ne pouvais que me réjouir qu’une journaliste d’un grand média se soit rendue sur place. Sans remettre en cause la qualité de l’article qui met bien en évidence les effets catastrophiques du blocus sur la population civile – effondrement de l’économie, plusieurs dizaines de milliers de Gazaouis empêchés de se rendre à l’étrangers – la lecture de l’article ne peut manquer de susciter un malaise.

L’accroche de l’article : une jeune femme de Gaza cherchant à rejoindre son fiancé à Istanbul. « La demande de sortie « déposée en janvier auprès de l’administration du Hamas qui contrôle la Bande de Gaza, vient seulement d’être validée ». Ceci laisse à penser que c’est le Hamas, et non l’administration égyptienne qui bloque les sorties ! 30 000 Gazaouis ont déposés à l’heure actuelle une demande, et l’Egypte ne laisse passer que quelques dizaines de personnes les rares jours où elle consent à ouvrir la frontière. Sembler attribuer cette situation au Hamas est curieux.

L’auteure écrit plus loin que Gaza est soumise au blocus « depuis la prise du pouvoir en 2007 par le Hamas, le mouvement islamiste armé ». L’auteure oublie de dire que le Hamas était alors un parti politique qui a remporté des élections dont la régularité a été reconnue par tous les observateurs internationaux. Succès électoral très vite soldé d’une réaction armée du parti perdant, tentant d’inverser le résultat des élections. C’est dans ce contexte que le Hamas a « pris le pouvoir », assurant depuis dix ans le fonctionnement des écoles, des universités, des hôpitaux. Tandis que nombre de ses parlementaires, régulièrement élus en Cisjordanie, sont dans les prisons israéliennes ou palestiniennes et que l’activité du parlement est suspendue ! Avec cet éclairage, la formule « mouvement islamiste armé », qui renvoie à Daech ou Boko Aram, est particulièrement déloyale. Et dangereuse alors que l’amalgame est repris par les administrations américaine et européenne. Signalons à cet égard que la Cour de Justice de l’Union Européenne, saisie, a retiré le Hamas de la liste des organisations terroristes. L’affaire est en appel, et rien ne permet de dire que la première décision ne sera pas confirmée.

Un paragraphe entier est consacré à « l’économie parallèle » liée « aux milliers de tunnels de contrebande » qui fonctionnaient à plein régime avant la prise du pouvoir en Egypte par Mr Sissi. Une prise du pouvoir qualifiée par l’auteure de « destitution ». En fait une destitution est un processus légal déclenché à la suite de fautes graves commises par un dirigeant et reconnues comme telles par une autorité indépendante : dans le cas de Mr Sissi, il s’est agi d’un coup d’Etat sanglant suivi d’une répression impitoyable qui a fait des milliers de victimes, de prisonniers, de disparus, et de déplacés (dans le cas de la destruction d’une partie de la ville de Rafah).

Une économie « parallèle » suggère qu’il existe deux économies. Or le commerce par les tunnels constituait le seul commerce possible avec l’Egypte, le commerce terrestre étant proscrit. Le mot « contrebande » suggère qu’il s’agisse d’un commerce caché et illicite du point de vue des autorités. C’était tout le contraire : les entreprises des tunneliers étaient enregistrées auprès de l’administration, les travailleurs déclarés et même assurés.

L’auteure ajoute que cette économie était « très lucrative et étroitement contrôlée par le Hamas ». Effectivement, elle a permis à la Bande de Gaza d’afficher un taux de croissance de 11% par an pendant les années Morsi, et à l’administration du Hamas de payer l’intégralité des 40 000 fonctionnaires de Gaza à l’aide des taxes prélevées sur les importations. Point de « lucre ».

Plus loin l’auteure signale que le Caire accusait le Hamas « de soutenir les réseaux djihadistes dans le Sinaï ». Il eut été loyal de signaler que jamais la moindre preuve en ce sens n’a été apportée par un observateur indépendant, que le Hamas n’a jamais revendiqué ni été accusé d’un attentat en dehors du territoire de la Palestine, que la force politique et militaire de Gaza représente une poussière par rapport aux forces armées égyptiennes et qu’il serait suicidaire de s’y attaquer. Ligne dont n’a jamais dévié le Hamas.

Enfin l’auteure rapporte les propos d’Ahmed Youssef « figure politique modérée du Hamas ». Je connais personnellement Ahmed Youssef qui ne fait pas partie du Hamas. Très occidentalisé – il a passé plusieurs dizaines d’années aux Etats-Unis et publié des ouvrages de référence dont un excellent « American Muslims » -, Ahmed Youssef fut conseiller diplomatique du Premier ministre Ismaël Haniyeh, ce qui montre d’ailleurs un certain éclectisme du « parti islamiste ». Il demeure actuellement directeur d’un centre de réflexion intitulé « House of Wisdom » fréquenté par des universitaires et étudiants en sciences politiques. Sans nier la qualité de réflexion d’Ahmed Youssef, pourquoi n’avoir pas sollicité directement les responsables du Hamas, ceux qui sont effectivement en charge des négociations avec l’Egypte sur la question de l’allégement du blocus ? Se rendre dans la Bande de Gaza assiégée sans demander le point de vue de l’administration qui la dirige, n’est-ce pas un peu participer au siège ? De passage à Gaza en Mai 2017, l’archevêque de Canterbury a déclaré : « Il y a un moment où il faut parler à tout le monde ».

 

* Chirurgien, séjournant à Gaza trois fois par an depuis 2001, auteur de plusieurs documents sur la question Palestinienne (dernier ouvrage : « Chrétiens de Gaza », Erick Bonnier, à paraitre novembre 2017)

 

** A Gaza, l’attente d’un desserrement du blocus.

La réouverture du poste de Rafah est au cœur des négociations complexes entre Le Caire et le Hamas

Reportage Claire Bastier, envoyée spéciale, Rafah (Bande de Gaza). Article publié le vendredi 1er septembre 2017 dans le journal Le Monde

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