FREE PALESTINE
13 juin 2017

Ce que j’ai vu en 30 ans de reportages sur l’occupation israélienne

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Ce que j’ai vu en 30 ans de reportages sur l’occupation israélienne
5 juin| Gideon Levy and Alex Levac pour Haaretz |Traduction J.Ch. pour l’AURDIP |Tribunes

L’occupation a son propre langage : Un Arabe est un ‘terroriste’, la détention sans procès est ‘administrative’, la puissance occupante est à jamais la victime et écrire au sujet de ses crimes est une trahison.

Il y a quinze jours, samedi, quelques dizaines d’Israéliens assistaient au vernissage d’une nouvelle exposition dans la galerie Ben Ami au sud de Tel Aviv. L’artiste, dont l’oeuvre était présentée pour la première fois, était assise sur une chaise. Elle est incapable de se tenir debout, ni de respirer sans assistance. En fait, elle ne peut bouger aucune partie de son corps, excepté son visage. Elle peint avec la bouche.

L’artiste est une jeune fille de 15 ans. Elle était extrêmement excitée par cette première – et son père tout autant, qui a pris soin d’elle jour et nuit pendant les 11 dernières années. Coïncidence poignante, l’exposition s’est ouverte précisément pour le 11ème anniversaire de sa tragédie. Un jour où presque toute sa famille a été anéantie ; seuls elle, son plus jeune frère et leur père ont survécu à ce missile intelligent lancé par l’aviation « morale » d’Israël. Elle en est sortie gravement handicapée, réduite à vivre en fauteuil roulant, branchée à un aérateur.

Maria Aman avait quatre ans quand le missile a frappé la voiture de sa famille, qu’ils avaient achetée le matin même. Elle était assise sur les genoux de sa grand-mère sur le siège arrière et dansait, sa mère assise à côté d’elle, juste avant que le missile percute le véhicule et détruise ses chances d’une vie normale. Le commandant de l’aviation s’est dissocié de l’incident, qui a eu lieu en 2006 dans la Bande de Gaza. Les Forces de Défense Israéliennes ne se sont jamais avisées de présenter des excuses, l’identité du pilote n’a jamais été révélée et il n’a jamais assumé ses responsabilités, et les Israéliens n’ont pas été émus devant un missile de plus qui balayait une famille innocente de plus.

Le tir du missile qui a si gravement blessé Aman n’est pas considéré comme un acte de terrorisme en Israël et le pilote qui l’a tiré n’est pas considéré comme un terroriste – après tout, ce n’était pas son intention. Ce n’est jamais leur intention. Depuis 50 ans, Israël n’a jamais eu cette intention. Israël n’a jamais cette intention ; l’occupation y était apparemment obligée, contre son gré. Cinquante ans : Ils ont tous été bien intentionnés, avec de bonnes intentions, morales et éthiques, et seule la cruelle situation – ou devrions nous dire les Palestiniens - nous a obligés à toute cette méchanceté.

L’exposition comporte une peinture d’Aman représentant trois arbres, qui évoquent les trois survivants de sa famille, à côté d’une voiture brûlée. Il y a aussi un autoportrait en fauteuil roulant et une peinture de sa mère au ciel. Sa famille a été tuée « par erreur ». Aman a été paralysée « par erreur ». Israël n’a jamais eu l’intention de blesser une fille innocente. Ni les plus de 500 enfants qu’il a tués au cours de l’été 2014 pendant l’Opération Bordure Protectrice, dans la Bande. Ni les 250 femmes qu’il a tuées ce même été, certaines d’entre elles à côté de leurs enfants, parfois ensemble avec toute la famille. La route vers l’enfer a toujours été pavée des bonnes intentions d’Israël, du moins à ses propres yeux.

Le lendemain de la tragédie, je suis allé voir la famille d’Aman dans le camp de réfugiés de Tel al-Hawa à Gaza. C’est l’une des nombreuses visites que j’y ai rendues chez les familles dévastées, durant les années où Israël autorisait encore les journalistes israéliens à entrer dans la Bande. A l’époque, Aman planait entre la vie et la mort à l’hôpital Shifa de Gaza ville ; son père, Hamdi, n’a pas voulu pas nous parler. Il clopinait dans la cour couverte de sable – lui aussi avait été blessé dans l’attaque du missile – nous lançant des regards furibonds. Son cousin est venu parler avec nous.

Pendant toutes les années où j’ai couvert l’occupation, ce fut l’un des rares cas dont je me souvienne où une victime n’a pas voulu parler avec nous. Trente ans nous ont amenés devant des centaines de victimes, généralement peu après leur frappe tragique, et elles nous ont toujours ouvert leur maison et leur coeur, à nous, hôtes israéliens non invités dont ils n’avaient jamais entendu parler. Il n’est pas difficile d’imaginer ce qui se serait passé dans le cas opposé – un journaliste palestinien rendant visite à une victime israélienne du terrorisme le lendemain de l’attaque. Mais ceci n’est qu’une des différences.

Oser comparer

J’ai commencé à écrire sur l’occupation presque par hasard, après un bon nombre d’années durant lesquelles, comme tous les Israéliens, j’avais subi un lavage de cerveau, convaincu de la justice de notre cause, certain que nous étions David et eux Goliath, sachant que les Arabes n’aiment pas leurs enfants comme nous les aimons (si tant est qu’ils les aiment ) et que, contrairement à nous, ils sont nés pour tuer.

Dedi Zucker, alors député du Ratz, a suggéré que nous allions voir quelques oliviers qui avaient été déracinés dans le verger d’un vieux Palestinien qui vivait en Cisjordanie. Nous sommes venus, nous avons vu, nous avons perdu. Ce fut le début, graduel et non planifié, d’exactement trente ans de couverture des crimes de l’occupation. La plupart des Israéliens ne voulaient pas en entendre parler et ne veulent toujours pas en entendre parler. Aux yeux de nombreux citoyens, l’action même de couvrir ce sujet dans les médias est une transgression.

Traiter les Palestiniens de victimes et les crimes perpétrés contre eux de crimes est considéré comme une trahison. Et même, dépeindre les Palestiniens comme des êtres humain est regardé comme provocant en Israël. Quelle fureur a provoqué en 1998 la réponse d’Ehud Barak à la simple question sur ce qu’il aurait fait s’il était né Palestinien (il est vraisemblable qu’il aurait rejoint l’une des organisations de résistance, a-t-il dit).

Comment peut-on même comparer ? Je me souviens des soldats qui me menaçaient avec leurs fusils chargés, à un checkpoint de la ville de Jénine en Cisjordanie, quand je leur ai demandé ce qu’ils feraient si leur père mourant était évacué dans une ambulance palestinienne, tandis que les soldats jouaient au backgammon dans une tente voisine et retenaient l’ambulance pendant des heures. Comment est-ce que j’ose comparer ? Comment est-ce que j’ose comparer leurs pères au Palestinien dans l’ambulance ?

Mais ma première visite dans les territoires occupés est une visite que j’aimerais oublier. C’était pendant l’été 1967, et un garçon de 14 ans était venu avec ses parents voir les zones libérées de sa patrie, quelques semaines seulement après la fin de la guerre avant laquelle lui, comme tout le monde, était certain que le pays était à la veille d’être détruit. Holocauste II. C’est ce qu’on nous avait dit, ce que nous avions été entraînés à penser. Et puis, dans l’espace de quelques jours, nous sommes allés voir le Tombeau des Patriarches à Hébron, le Mur Occidental de la Vieille Ville de Jérusalem et le Tombeau de Rachel à Bethléem (je ne sais pourquoi, nous avions une copie en cuivre du Tombeau de Rachel dans une armoire à la maison).

J’étais surexcité. Je n’ai pas vu les gens à ce moment là, seulement les draps blancs sur les balcons, et les lieux dont on nous a dit qu’ils étaient saints. Je participais à une vaste orgie religio-nationaliste, qui débutait alors et n’a jamais pris fin. Ma gueule de bois a mis 20 ans à arriver.

La majorité des Israéliens ne veulent rien savoir sur l’occupation. Peu d’entre eux ont une petite idée de ce que c’est. Ils n’y sont jamais allés. Nous n’avons aucune idée de ce que cela signifie quand nous disons « occupation ». Nous n’avons aucune idée de comment nous nous comporterions si nous nous trouvions sous son régime. Peut-être que si les Israéliens étaient mieux informés, certains d’entre eux seraient choqués.

Seule une minorité d’Israéliens est heureuse de l’existence de l’occupation, mais pour la majorité d’entre eux, cela ne les perturbe pas le moins du monde. Ce sont des gens qui s’assurent que les choses ne vont pas changer. Il y a ceux qui protègent la majorité tranquille et indifférente et lui permettent de se sentir bien dans sa peau – non troublée par des doutes ou des scrupules moraux, convaincue que son armée – et son pays – sont les plus moraux du monde, croyant que le monde entier n’est là que pour anéantir Israël. Même lorsque, devant notre porte, si près de notre propre maison, l’obscurité plane, sous la couverture de laquelle toutes ces horreurs sont perpétrées jour et nuit – nous sommes toujours si magnifiques à nos propres yeux.

Pas une nuit, pas un jour sans que des crimes soient commis à une très courte distance de nos maison israéliennes. Pas une jour ne se passe sans eux, il n’existe rien de tel qu’une nuit tranquille. Et nous n’avons encore rien dit de l’occupation en tant que telle, qui est criminelle par définition. Et qui a toujours laissé les Israéliens sans émotion.

Pour couvrir ses crimes, l’occupation a toujours eu besoin de médias guidés par la propagande et qui trahissent l’honnêteté de leur mission, d’un système éducatif recruté pour ses besoins, de la mise en place d’une fausse sécurité, de politiciens sans conscience et d’une société civile sans indices. On a dû développer un nouveau système de valeurs ajusté à l’occupation, dans lequel le culte de la sécurité permet, justifie et blanchit tout, dans lequel la population laïque apprécie le messianisme, et aussi, un sens des fonctions de victimisation pour camoufler, et où le sentiment de « (Dieu)Tu nous as choisis » ne fait pas de mal non plus.

Il a fallu aussi en arriver à un une novlangue, la langue de l’occupant. Selon cette novlangue, par exemple, une arrestation sans procès est appelée « détention administrative » et le gouvernement militaire est connu sous le nom d’ »Administration Civile ». Dans la langue de l’occupant, tout enfant avec une paire de ciseaux est un « terroriste », tout individu détenu par les forces de sécurité est un « meurtrier », et toute personne qui essaie désespérément de pourvoir aux besoins de sa famille à n’importe quel prix est « illégalement présente » en Israël. D’où la création d’une langue et d’un mode de vie où tout Palestinien est un objet de suspicion.

Sans toute cette assistance, que l’appareil sécuritaire nous a fournie grâce à l’aide de médias dociles, la réalité aurait pu s’avérer dérangeante. Malheureusement, Israël possède des aides en abondance. Les 50 premières années ont vu des améliorations rapides dans le lavage de cerveau, le déni, la répression et l’auto-tromperie. Grâce aux médias, au système éducatif, aux politiciens, aux généraux et à l’immense armée de propagandistes encouragée par l’apathie, l’ignorance et l’aveuglement – Israël est une société dans le déni, délibérément dissociée de la réalité, probablement un cas sans pareil au monde de refus prémédité de voir les choses comme elles sont.

Intérêt perdu

Le rideau est tombé. Au cours de ces 20 dernières années, l’occupation a disparu le l’agenda public israélien. Les campagnes électorales vont et viennent sans qu’aucun débat n’ait lieu sur la question la plus fatidique pour l’avenir d’Israël. Le public a perdu son intérêt. Le nombre d’aides maternelles dans les jardins d’enfants est une question pressante ; l’occupation ne l’est pas . Au début, c’était un sujet de conversation à presque tous les repas de veille du Shabbath : Dans les années 1970, d’âpres discussions faisaient rage à propos de ce qu’il fallait faire dans « les territoires ».

Aujourd’hui, un nombre croissant d’Israéliens nient l’existence même d’une occupation. « Il n’y a pas d’occupation » est le dernier buzz, le descendant de la déclaration du Premier ministre Golda Meir disant « Il n’y a pas de Palestiniens », et presque aussi grotesque. Quand vous déclarez qu’il n’y a pas d’occupation, ou qu’il n’y a pas de Palestiniens, vous perdez effectivement contact avec la réalité d’une façon qui ne peut s’expliquer qu’en ayant recours à la terminologie issue du domaine de la pathologie et de la maladie mentale. Et voilà où nous en sommes.

Une situation basique en noir et blanc d’occupant-occupé est présentée comme faisant étroitement partie de la seule démocratie du Moyen Orient, la conséquence d’une guerre de survie inévitable. Et le refus d’Israël de mettre fin à l’occupation se transforme, aux mains du mécanisme de la propagande, en une situation « sans partenaire ». C’est un cas historique rare : L’occupant est la victime. La justice est du côté de l’occupant seul, et la guerre incessante est menée pour sa sécurité et son existence. Y a-t-il jamais eu quoi que ce soit qui y ressemble ?

Au-dessus de tout cela plane le mensonge du temporaire. Israël a réussi à tromper lui même et le monde en faisant penser que l’occupation est un phénomène transitoire : dans une minute, elle ne sera plus là. Depuis son premier jour jusqu’à son jubilé, l’occupation a porté un masque de l’éphémère. Que les Palestiniens se comportent simplement gentiment et l’occupation disparaîtra. Sa fin attend apparemment au coin de la rue. Pendant 50 ans, elle a attendu là. Il n’y a pas de plus gros mensonge. Israël n’a jamais pensé à mettre fin à l’occupation, pas une minute. La preuve : il n’a jamais arrêté de construire des colonies. Ceux qui construisent un baraque de l’autre côté de la Ligne Verte n’ont pas l’intention de l’évacuer. L’occupation est là pour rester.

Qu’est-ce qui a changé pendant ces 50 ans ? Tout – et rien. Israël a changé, et les Palestiniens aussi. L’occupation reste la même occupation, mais elle est devenue plus brutale, comme cela arrive avec toute occupation. Dans les années 1996, les Israéliens avaient été légèrement choqués en entendant l’histoire de la première Palestinienne qui avait perdu son nouveau-né quand, à trois différents checkpoints, les soldats avaient refusé de la laisser arriver à l’hôpital, jusqu’à ce que le bébé meure de froid – les cas suivants n’ont pour ainsi dire ému personne.

« La Quatrième Dimension » a rapporté des histoires d’autres femmes dans les douleurs de l’enfantement qui ont perdu leur bébé aux checkpoints, et Israël en a baillé de désintérêt. Quelque 30 ans séparent la première rubrique de la dernière, et il n’y a pas de différence entre elles. « Vous ne cessez de vous répéter », nous dit-on, comme si ce n’était pas l’occupation qui se répétait. Elle traverse des périodes orageuses, mortelles et d’autres périodes plus calmes. Il y a des mois où le sang coule, et d’autres où nous avons affaire à des vergers où les arbres ont été coupés, des maisons qui ont été démolies, des habitants qui ont été déportés et des gens détenus sans jugement.

Pendant ce temps, la terre s’est couverte de colonies, avec des centaines de milliers de colons qui ont continué à se multiplier au fur et à mesure que le « processus de paix » se poursuivait. C’est le seul résultat du « processus ». Toute apparence d’avancée a toujours été accompagnée de plus en plus de colons, dans la meilleure tradition de l’extorsion et de la reddition. Les Accords d’Oslo ont doublé et triplé le nombre de colons. Ehud Barak, qui a presque, qui a été sur le point de faire la paix, a été le plus grand des bâtisseurs dans les territoires. En Israël, même aujourd’hui, vous pouvez être en faveur de deux Etats et continuer à construire dans les territoires.

Israël a tué plus de 10.000 Palestiniens pendant ces 50 ans et en a emprisonné environ 800.000. Ces chiffres incompréhensibles ont été acceptés comme quelque chose de routinier, de parfaitement évident, d’inévitable et, bien sûr, entièrement juste.Le blâme retombe évidemment sur ceux qui ont été tués et emprisonnés. Israël croit de toutes ses forces à ses FDI, à son service de sécurité du Shin Bet et à son système juridique militaire, qui tous ont toujours trouvé une excuse à tout et n’ont jamais reconnu quoique ce soit , même après que tous leurs mensonges tordus aient été découverts. Même jeter le doute sur eux est insupportable. Dans la plupart des langues, cela s’appelle de l’aveuglement.

La Ligne Verte effacée

Au centre du carrefour giratoire de la jonction du bloc de colonies d’Etzion, un des endroits les plus chargés de Cisjordanie, encombré de véhicules israéliens et palestiniens, flotte un drapeau israélien. On peut voir bien plus de ces drapeaux nationaux en Cisjordanie qu’en Israël. Et bien plus de ces drapeaux flottent en Cisjordanie que le drapeau du peuple qui constitue la majorité absolue de cette zone occupée. Il n’y a presque aucune signalisation pour les villes et villages palestiniens, seulement pour les colonies ; les panneaux de signalisation qui existent sont bientôt oblitérés avec de la peinture noire. Pourtant, l’insécurité est si largement ressentie que les colons croient qu’en effaçant les noms des communautés palestiniennes, ils les feront disparaître.

Ce qui a été effacé, c’est la Ligne Verte. La seule séparation qui existe en Israël est ethnique, pas géographique. Israël est un seul Etat, qui s’étend de la mer au Jourdain, sans frontières et avec deux régimes différents pour deux peuples. Cela a été ainsi pendant les 50 dernières années, et il n’y a aucun projet de changement. Les colons sont Israël et donc, également l’est l’occupation : les deux ne peuvent plus être séparés. L’agence bancaire de la luxueuse place Kikar Hamedina de Tel Aviv a sa jumelle dans la colonie urbaine de Cisjordanie Ma’aleh Adumim. La clinique du quartier chic de Rehavia à Jérusalem a son reflet identique dans la colonie de Karmel Shomron. Tous les Israéliens y sont associés. La notion comme quoi il y a Israël et il y a des territoires occupés – en tant qu’entités séparées – est une autre de ces tromperies portées par un vent de sable. Il permet aux gens d’aimer Israël et de détester l’occupation. Mais la séparation est aussi truquée qu’artificielle.

Les pères fondateurs étaient issus du mouvement travailliste – personne n’est davantage à blâmer pour l’occupation. Moshe Dayan est plus à blâmer pour l’occupation qu’Avigdor Lieberman, Yigal Allon est responsable de plus de colonies que Gilad Erdan. Golda Meir, Israel Galili, Shimon Peres et Yitzhak Rabin ont créé plus de colonies que Benjamin Netanyahu, Naftali Bennett et Ayelet Shaked réunis. Le mouvement Gush Emunim a allumé la flamme et le Parti Travailliste a dévotement fourni l’essence, en utilisant à la fois la tromperie et un parapluie protecteur. Le prétexte offert par Shimon Peres pour construire la colonie d’Ofra a été le besoin d’une antenne sur le site, et tout le monde a prétendu croire à ce mensonge.

Il n’y a jamais eu un seul premier ministre israélien qui ait vu les Palestiniens comme des êtres humains ou comme une nation avec des droits égaux, ni jamais aucun d’entre eux qui ait sérieusement voulu mettre fin à l’occupation. Pas un seul. Le discours sur deux Etats a permis de jouer avec le temps, le processus de paix a procuré au monde un camouflage pour garder le silence et pour souscrire à l’occupation. Tous les plans de paix, qui se couvrent de poussière dans des tiroirs, se ressemblent tous étonnamment, et ils ont tous partagé un destin similaire : leur rejet par Israël. En cela aussi, Israël a ainsi continué intentionnellement à se mentir à lui même en disant qu’il veut la paix. La liste des mensonges de l’occupation continue de s’agrandir.

Des morts ambulants

Les parents affligés ont vieilli, les jeunes qui avaient participé à la première intifada sont devenus la population d’âge mur de 2017 et ceux de la seconde intifada sont des morts ambulants. Certains des héros décrits dans cette rubrique ont été oubliés, d’autres non. Des images envahissent la mémoire maintenant, pendant les fêtes du jubilé.

Il y a là une rangée de jeunes amputés en fauteuil roulant, fumant une cigarette à la fenêtre du couloir de l’Hôpital Shifa de Gaza ville, victimes de l’effroyable bombardement des champs de fraises à Beit Lahia, qui a exterminé une famille. Et les enfants qui ont survécu à l’attaque dans laquelle le dirigeant du Hamas Salah Shehadeh a été assassiné – les FDI avaient initialement déclaré qu’il avait été liquidé dans un « appentis inhabité ». Il y a la jeune femme de Gaza lors de sa première et dernière visite quelques années plus tôt au Ramat Gan Safari, au Hayarkon Park de Tel Aviv et à la plage de cette ville, la veille de sa mort – elle est morte d’un cancer après être arrivée fatalement trop tard pour un traitement médical en Israël. Et le garçon de Bethléem qui a été condamné à six mois de prison – un mois pour chaque pierre lancée, alors qu’elles n’ont atteint personne ni causé aucun dommage.

Il y a eu la visite à un détenu administratif dans une prison militaire, qui faisait passer en fraude ses lettres dans un anglais shakespearien opaque. Le futur marié tué le jour de son anniversaire ; le père du camp de réfugiés de Qalandiah qui a perdu deux fils en l’espace de 40 jours, alors qu’un autre de ses fils a été tué quelques années plus tard quand un commandant de la Brigade Binyamin des FDI lui a tiré dans le dos alors qu’il s’enfuyait ; la mère célibataire paralysée dont la fille unique a été tuée par un missile qui a frappé leur logement à Gaza alors qu’elle la portait dans ses bras. Et les enfants du jardin d’enfants Indira Gandhi qui ont vu leur professeur tué sous leurs yeux et dont nous avons parlé après notre dernier voyage à Gaza, il y a plus de 10 ans ; le chef du département d’architecture de l’université de Bir Zeit, qui a été torturé par le Shin Bet ; le médecin de Tulkarem qui a été assassiné.

Il y a eu le père, qui avait perdu une main et les deux jambes, dans la chambre 602 de l’hôpital Shifa de Gaza ville en juin 1994, qui essayait de nourri son fils mourant ; Lulu, la fille du camp de Shabura, près de Rafah dans la Bande de Gaza, qui est morte 10 ans après avoir reçu une balle dans la tête ; les trois hommes du camp de réfugiés de Deisheh près de Bethléem qui ont perdu les yeux ; le garçon amputé du camp de réfugiés d’al-Fawwar au sud d’Hébron, qui a été arrêté et battu ; les garçons au couteau et les filles aux ciseaux qui ont été inutilement abattus aux checkpoints ces derniers mois ; et le manifestant qui lançait des pierres, décrit dans ces pages la semaine dernière, qui a souffert toute une nuit de mauvais traitements aux mains des soldats, au cours de laquelle il a été battu, humilié et des touffes de ses cheveux arrachées. Ce qui est arrivé à Bara Kana’an, le jeune charpentier de Beit Rima, près de Ramallah, est arrivé deux, trois et quatre décennies plus tôt à beaucoup de Palestiniens.

Les FDI, la Police des Frontières et l’Administration Civile ont toujours justifié, trouvé des excuses, blanchi et souvent simplement menti lorsqu’ils fournissaient des réponses automatiques. Elles ne se sont non plus jamais excusées, ni n’ont admis leurs fautes. Elles ont rarement exprimé un regret et certainement jamais offert une compensation. En ce qui les concerne – ainsi que la plupart des Israéliens -, tout a été mené correctement.

Oeuvre d’art

A l’ouverture de l’exposition de Maria Aman il y a deux semaines, vous pouviez constater par vous même combien tout avait été mené correctement ces 50 dernières années. Voilà Aman, paralysée et sous aérateur – qui a perdu sa mère, sa grand-mère, son tout petit frère et sa tante pendant une innocente ballade en voiture dans une rue encombrée de Gaza ville, en plein dans la saison des assassinats. Pour une rare occasion, Israël est sorti de ses habitudes et, après un combat obstiné de la famille d’Aman et d’autres, a accepté de lui permettre d’être soignée en Israël. Ce qu’elle montre, c’est la vie et la mort en peinture. Aman a une exposition à Tel Aviv. Des milliers d’autres victimes, qui ont subi des destins similaires au sien, n’ont jamais eu cette chance. Maria est devenue un symbole ; ses semblables handicapés restent anonymes, leur sort est inconnu en Israël.

Les quelques dizaines de personnes qui ont assisté au vernissage, dont certains ont accompagné cette fille et son formidable père depuis des années, font partie des rares personnes qui, en Israël, savent que tout ne s’est pas passé correctement de 1967 à 2017. Les 50 premières années de l’occupation ont été une longue suite d’atrocités.

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