FREE PALESTINE
21 octobre 2008

Entre Acre et les rives du Jourdain

Entre Acre et les rives du Jourdain

Akiva Eldar

Haaretz, 13 octobre 2008

www.haaretz.co.il/hasite/spages/1028493.html

Version anglaise : We are all 'mixed'

www.haaretz.com/hasen/spages/1028427.html

De nouveau, la Gauche fouillera dans les budgets des autorités locales et parlera du sentiment de discrimination qui échauffe les esprits à Acre. Et de nouveau, la Droite brandira les chiffres de l’implication des « Arabes d’Israël » dans des attentats terroristes et elle mettra en garde contre les sentiments nationalistes qui les poussent à la rébellion. Les uns demanderont qu’on verse de l’argent sur les flammes d’Acre avant que le feu ne se propage à d’autres « villes mixtes ». Les autres réclameront que l’on montre, à Acre, davantage de rigueur à l’égard des instigateurs, afin de faire un exemple à l’intention de Jaffa. Comme toujours, les deux camps se rendent la vie trop facile.

Il n’est pas nécessaire d’être professeur de sociologie pour comprendre que la discrimination chronique des citoyens arabes d’Israël dans tout ce qui touche aux services, aux infrastructures, à l’enseignement et à l’emploi, ne contribue pas au rapprochement entre eux et la majorité juive. Mais la première Intifada, qui a éclaté dans les Territoires fin 1987, a révélé les limites de la méthode du bâton et de la carotte. Israël a appris, à la rude, que l’augmentation significative du niveau de vie comparé à la situation qui régnait là-bas à l’époque de l’administration jordanienne, et la baisse marquée de la mortalité infantile, n’avaient pas métamorphosé les Palestiniens en Amants de Sion.

L’augmentation sensible du soutien en faveur du Hamas à Jérusalem-Est témoigne de l’influence limitée – voire nulle – de la liberté de mouvement et autres avantages, comme les allocations de l’assurance nationale, dont jouissent les habitants de la partie orientale de la ville. La liquidation méthodique des dirigeants du Hamas en Cisjordanie et à Jérusalem, les arrestations massives de ses militants et la fermeture des institutions caritatives de l’organisation ont accru sa force d’attraction, essentiellement au sein de la jeune génération. Le cas de Jérusalem nous enseigne néanmoins qu’une annexion de territoires et un contrôle formel sur la population, y compris par la manière forte – clôture de séparation, détentions administratives et limitations mises au changement de lieu de résidence – ne constituent pas une recette pour la sécurité, pour ne rien dire de la coexistence (fin septembre, on en était à 104 personnes arrêtées sur le soupçon d’une implication dans le terrorisme, contre 37 pour toute l’année 2007).

Les cris de guerre d’Effi Eitam et ses amis de l’extrême droite contre les Arabes d’Israël, suite aux échauffourées d’Acre, n’apaiseront pas les esprits dans la ville mais feront des instigateurs de la querelle les héros du jour. Et les cris de lamentation de la Gauche à propos de la discrimination de la minorité arabe n’empêcheront pas non plus la prochaine éruption. Un partage plus juste des ressources nationales ne ferait assurément pas de tort aux relations entre majorité et minorité. Une approche plus équitable des plans directeurs dans les localités arabes peut réduire quelque peu l’aliénation entre la jeune génération, qui est la première à souffrir du manque de terrains à bâtir, et les institutions israéliennes. Mais aucun argent au monde ne fera d’une population arabe/palestinienne, musulmane, chrétienne ou laïque, une composante organique d’un Etat qui se définit lui-même, selon le nationalisme de la majorité, comme « Etat juif ».

L’exclusion des citoyens arabes d’Israël de l’identité de l’Etat et des symboles nationaux, et le fait de faire d’eux un « problème démographique » les poussent à rechercher ailleurs leur identité. Le brouillage de la Ligne Verte, l’annexion rampante et l’attache nationale des citoyens arabes d’Israël, outre leur proximité sociale et familiale avec les Palestiniens vivant au-delà de cette même frontière, tout cela a fait de l’ensemble des territoires situés entre la côte d’Acre et les rives du fleuve Jourdain un pays mixte. Du point de vue des citoyens arabes d’Israël, l’ensemble Israël/Palestine tout entier est depuis longtemps une entité binationale et semi-démocratique. Une enquête menée en 1976 avait montré que 45% des Arabes d’Israël intégraient une composante palestinienne dans leur manière de se définir eux-mêmes. Par comparaison, dans les années 1985-1999, ce chiffre atteignait environ les deux tiers des personnes interrogées. Beaucoup se dégagent de l’étiquette « Arabes israéliens » et demandent à être appelés Palestiniens.

L’assassinat de Rabin, la déception venant de l’accord d’Oslo et la seconde Intifada ont amplifié ces tensions, renforcé l’identification des Arabes d’Israël avec les habitants des Territoires, fortifié les sentiments nationalistes, particulièrement parmi la jeune génération. Les membres de la Commission Or chargée d’enquêter sur les événements d’octobre 2000 ont souligné d’une part que cela ne signifiait pas que le secteur arabe dans son ensemble soutenait tous les moyens de lutte des Palestiniens, et d’autre part que dans sa majorité, il persévérait dans son adhésion au processus de paix. Mais dans le même temps, il s’identifie totalement avec l’aspiration à la création d’un Etat palestinien et tient la politique israélienne pour le principal obstacle à sa réalisation.

Le rapport de la Commission Or, à la fois important et négligé, citait ce propos affligé du député du Mapam, Abdel Aziz Al-Zouabi : « Mon pays est en état de guerre avec mon peuple ». Tant que leur pays est en état de guerre avec leur peuple, une braise suffit, un jour de Kippour, pour allumer l’incendie. Aucune allocation ni aucune arrestation ne l’éteindra.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

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