FREE PALESTINE
19 mai 2007

On n'a rien à manger et on se tire dessus

" Tout cela est absurde.

On n'a rien à manger et on se tire dessus "

http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=3869

Le ballet des ambulances à l'hôpital palestinien Chifa est incessant. Toutes sirènes hurlantes, elles déversent devant les portes du plus grand centre hospitalier de la ville de Gaza leurs brancards de morts et de blessés. Seules les détonations et le bruit des rafales d'armes automatiques couvrent, de temps à autre, ce tragique va-et-vient. Les familles se pressent devant la morgue dans la cohue et la confusion pour venir reconnaître et chercher leurs morts. Pleurs, cris de douleur et de colère, gestes de désespoir et de rage face à la disparition d'un être cher enlevé par la tourmente qui s'est emparée de la bande de Gaza depuis vendredi 11 mai.

Le corps de Maher Tahir, 35 ans, membre des services de sécurité du président Mahmoud Abbas, est emmené dans un linceul blanc. Un sniper du Mouvement de la résistance islamique, le Hamas, lui a logé une balle en plein coeur. Son cousin clame sa fureur. "On ne fait plus confiance aux leaders politiques. Ils n'ont plus aucun pouvoir. Le gouvernement d'union nationale est fini, il n'existe plus. C'est la jungle, alors nous allons venger nos morts. Ce sera la guerre civile, mais on n'a plus le choix." La mère de la victime tient à accompagner son fils pour son dernier voyage. Le cortège part en klaxonnant.

Dans la morgue, les casiers sont tous occupés. Sept corps défigurés n'ont pu être identifiés. Mais, déjà, d'autres ambulances arrivent. Les brancards sont déployés, six nouveaux morts sont chargés. Certains ont été mutilés par des éclats, les vêtements déchirés par les balles ; ils sont souillés de sang encore frais, les yeux toujours ouverts. La foule veut voir. Elle se précipite comme si les habitants de Gaza n'étaient pas encore habitués au spectacle de la mort. Les employés de la morgue les repoussent et tentent de fermer les portes. Certaines victimes de la Force exécutive du Hamas auraient été tuées par des tirs amis. D'autres, adversaires des islamistes, auraient été extirpés de leurs voitures et exécutés dans la rue parce qu'ils n'étaient pas du même camp.

Les récits sont confus. Personne ne sait vraiment. Ce qui est sûr, c'est que les "exécutions" à bout portant de frères ennemis armés sont de plus en plus nombreuses. Au total, au moins une quarantaine de personnes ont perdu la vie en quatre jours. On ne compte même plus les blessés. "C'est pire qu'en décembre et en février. La situation est devenue totalement incontrôlable. On essaie de tenir. C'est la lutte pour la survie", fait remarquer Abou Fayed, membre des Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa, groupe paramilitaire issu du Fatah. Un militant du Hamas refuse de parler à la presse.

Les civières souillées de sang sont rangées dans l'attente du prochain arrivage. A l'extérieur, le sang coule sous les portes de la morgue et se répand sur la chaussée. Le docteur Hazar Abed, directeur de l'hôpital, a déjà dénombré vingt-quatre morts. Combien d'autres ont été répertoriés à l'hôpital Al-Qods ? Personne ne le sait.

Les appels au don du sang, lancés à la radio et à la télévision, restent sans réponse. Les habitants ne peuvent pas se déplacer. Les équipes d'urgence et les ambulances circulent difficilement dans les rues barrées par des parpaings, des levées de sable ou des poubelles. Le personnel hospitalier hésite à se rendre au travail ou doit faire d'immenses détours pour éviter les carrefours dangereux et les quartiers névralgiques occupés par les forces de sécurité qui défendent leur territoire. Un militaire de la Sécurité nationale, le visage dissimulé par un passe-montagne, avoue qu'il a peur d'être tué. "Nous savons que nous pouvons être attaqués mais que faut-il faire ? Nous sommes là pour défendre l'Autorité palestinienne, car si tout s'écroule, ce sera le chaos."

Quatre hommes grièvement blessés, dont un en état de mort clinique, viennent d'arriver à la salle des urgences. Ils sont rapidement évacués vers les salles d'opération. Alors que les médecins fument une cigarette et boivent un café pour se détendre, des familles tentent de prendre des nouvelles. Le docteur Adel n'est pas du genre à faire du sentiment mais, cette fois, il trouve que cela suffit. "Tout cela est absurde. On n'a rien à manger et on se tire dessus alors que tout le monde sait que l'on ne peut pas diviser la ville, qu'un camp ne peut pas l'emporter sur l'autre, dit le docteur. Pourtant je sais que cela va continuer, que le pire est à venir. Les Arabes ne veulent pas de solution. Les Israéliens ne veulent pas la paix et se frottent les mains. Les Américains n'ont rien à offrir et attisent les braises. Dans ces conditions, je suis prêt à partir comme beaucoup de Palestiniens. Je suis prêt à aller au Darfour."

Pour les Gazaouis, le gouvernement d'union nationale a échoué. Il n'a pas réussi à empêcher le retour des violences. Ahmed Bahar, président par intérim du Conseil législatif palestinien (Parlement), pense que la responsabilité de ces confrontations "trouve son origine dans l'embargo imposé par les Israéliens et les Américains qui accroissent les tensions". Fawzi Barhoum, porte-parole du Hamas, estime que "la situation s'aggrave d'heure en heure et que la réponse est entre les mains de Mahmoud Abbas, qui doit retirer ses forces des rues et arrêter le laisser-faire".

Un quatrième cessez-le-feu a été instauré dans la soirée de mercredi. A-t-il plus de chances de tenir que les précédents ? Pour le moment, la population reste terrée chez elle. Les écoles sont fermées. Les rideaux de fer des commerces tirés. Rares sont les voitures qui s'aventurent dans les rues où quelques habitants, malgré tout, discutent sur le pas de leur porte. Des enfants profitent des rues désertées pour jouer au football. Après une semaine de grève des éboueurs, les trottoirs sont transformés en tas d'immondices.

Gaza s'enfonce dans la misère et la terreur. Une énorme colonne de fumée s'échappe d'une tour sans doute touchée par un projectile. Des obus de mortiers sont tirés de temps à autre sur la zone qui abrite la présidence. Les détonations résonnent dans cette cité paralysée par la peur. Des hommes armés sont partout, cagoulés, sur le qui-vive, sans que l'on sache à quel camp ils appartiennent.

Dans la soirée, une quarantaine de journalistes se sont retrouvés bloqués pendant près de trois heures au neuvième étage d'un immeuble, dans les locaux de l'agence de presse Ramattan. Des membres des forces de sécurité du Fatah ayant pris position dans le dernier étage, le bâtiment a été la cible d'un feu roulant, pendant trois heures, entre ces combattants et les forces du Hamas.

Plusieurs projectiles sont venus se loger dans les fenêtres et les murs, alors que les cloisons vibraient sous le souffle des déflagrations de roquettes. Les journalistes se sont réfugiés dans la pièce jugée la plus sûre pour éviter d'être pris sous le feu croisé des miliciens. Les combats ont finalement cessé aussi soudainement qu'ils avaient commencé.

Michel Bôle-Richard - Le Monde du 18 mai 2007

http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=3869

En quelques chiffres

Population : près de 1,5 million d'habitants (selon les projections du Bureau palestinien des statistiques). Les deux tiers sont enregistrés comme réfugiés.

Croissance démographique : 3,8 % par an.

Densité démographique : 3 808 habitants par km2.

Chômage : 34 %, selon la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI).
Part de l'emploi public dans l'emploi total :
40 % (BM, FMI).

Pauvreté : 75 % des familles (BM, FMI).

Municipalités : le Hamas contrôle la majorité des villes où des élections ont été organisées en 2005.
Elections législatives :
le Hamas a remporté 15 des 24 sièges en jeu dans le cadre des élections de districts, contre seulement 6 au Fatah.

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