FREE PALESTINE
14 mars 2007

du nettoyage ethnique à l’ethnocide

clinton Publicité comparative sur des poudres à laver. Kosovo : mauvais nettoyage ethnique. Israel : bon nettoyage ethnique, élue meilleure poudre depuis 50 ans. Blancs plus blancs, rend des terres musulmanes JUIVES !

Palestine : du nettoyage ethnique à l’ethnocide

mardi 13 mars 2007 - Raphaël Kempf

La politique israélienne dépasse l’entendement, voyez plutôt : des actions militaires meurtrières que le mot magique de “sécurité” parvient de plus en plus difficilement à justifier, des discours hypocrites au regard de ce qui se passe sur le terrain, des engagements non tenus, un comportement de renard dans des négociations internationales qui n’impressionnent plus personne. Pourtant, il faut bien qualifier cette politique.

Comprendre là où Israël veut aller doit nous permettre au mieux de définir correctement les responsabilités dans ce conflit centenaire, au pis de donner à notre humanisme béat matière à révolte contre ce que des hommes peuvent faire à d’autres hommes.

La paix maintenant ?

Soyons naïfs : Israël veut-il la paix ? Oui, probablement, car le premier ministre Ehoud Olmert a accepté de participer à un sommet avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, à Jérusalem le 20 février dernier sous les auspices de la secrétaire d’Etat américaine Condoleeza Rice, et dont l’objectif était de relancer les négociations en vue de la paix. Malheureusement, force est de constater que ce ne fut qu’une fanfaronade médiatique qui ne devait mener à rien. En effet, peu avant le sommet, M. Olmert avait déclaré qu’il refuserait de négocier sur les questions des réfugiés palestiniens, du statut de Jérusalem, et du retrait israélien des Territoires occupés en 1967. Autrement dit, il refusait de discuter des trois problèmes les plus importants qu’il faut nécessairement résoudre pour atteindre la paix.

Israël justifie son acharnement à ne pas discuter sous prétexte que le gouvernement palestinien refuse de reconnaître le droit d’Israël à exister en paix et en sécurité. Pourtant, l’accord de La Mecque du 8 février formant un gouvernement palestinien d’union nationale a été interprété par une partie de la presse israélienne comme une reconnaissance implicite d’Israël (1). Par ailleurs, le porte-parole du gouvernement Hamas sortant, Ghazi Hamad, a déclaré récemment que les exigences palestiniennes concernaient un Etat dans les frontières de 1967 (2). N’est-ce pas là une reconnaissance d’Israël au delà de ces frontières ?

A vrai dire, ce qui doit nous frapper est l’insistance d’Israël et du Quartette (Etats-Unis, Union Européenne, Nations Unies et Russie) sur cette obligation - la reconnaissance -, comme si aucune obligation ne pesait sur Israël, et comme si le droit pouvait s’appliquer différemment selon les parties. Or, la feuille de route, arrachée de haute lutte à Israël par le Quartette en 2003 (3), et qui devait mener à la création d’un Etat palestinien fin 2005, précise notamment qu’Israël doit geler la construction des colonies (y compris leur croissance naturelle) et retirer celles qui ont été construites depuis 2001. Un petit tour à l’est de Ma’ale Adumin, la plus grande colonie israélienne en Cisjordanie, considérée comme une banlieue de Jérusalem, devrait vous convaincre qu’Israël ne respecte pas ses obligations. Les buldozzers s’acharnent à bâtir de nouvelles maisons, toutes identiques, en haut des collines de cette région magnifique. Si vous poursuivez un peu plus à l’est, vous tomberez sur un “avant-poste”, un embryon de colonie fait de quelques dizaines de caravanes où vivent des soldats et quelques Israéliens convaincus que c’est leur devoir d’étendre Eretz Israël. Dans quelques années, les roulottes seront probablement remplacées par des maisons identiques aux précédentes.

Bref, Ehoud Olmert va rencontrer Mahmoud Abbas sans intention de négocier, tandis que la colonisation des Territoires occupés poursuit tranquillement son bonhomme de chemin. Cela devrait nous convaincre que la “paix” n’est plus qu’une poudre de perlimpimpin qu’Israël jette aux yeux du monde entier pour masquer ce qu’il fait sur le terrain.

Si Israël ne veut pas la paix, que veut-il ? Voici une pièce en trois actes qui devrait nous aider à le savoir.

Acte I - Un projet clair et un bon début

Le sionisme est un “projet de remplacement (4)” d’une population (palestinienne) par une autre (juive). Son but est de “transformer cette terre en une terre juive (5) ”. Mais comme l’immense majorité de la population de cette terre n’était pas juive au moment de la création de l’Etat d’Israël, on comprend qu’un tel projet ne pouvait se réaliser de façon pacifique en demandant poliment aux Palestiniens d’avoir la délicatesse de quitter leurs maisons et villages. Il fallait donc planifier le départ des indigènes. Le dirigeant du mouvement sioniste, David Ben-Gourion, l’avait bien compris qui, dès 1937, écrit dans une lettre à son fils que “les Arabes devront partir, mais il faudra attendre le moment opportun pour que cela se passe, une guerre par exemple”. Les sionistes n’ont guère chômé dans l’attente de cette guerre : dans les années 1940, ils ont recueilli des informations très précises sur les villages palestiniens : leur structure topographique, les accès routiers, le nombre d’habitants, la présence ou non d’éléments hostiles au sionisme, mais encore le nombre de gardes ou d’armes - rares - que pouvaient posséder les villages.

Ces informations furent utiles aux militaires - parmi lesquels la “colombe” Yitshak Rabin - dont la mission était d’appliquer le Plan Dalet, adopté le 10 mars 1948 par les dirigeants sionistes pour désarabiser la Palestine. Lequel Plan précisait : “Les opérations sont réparties selon les types suivants : destruction de villages (par le feu, le bombardement et le minage), en particulier les villages dont nous n’aurons pas acquis le contrôle ; prise de contrôle par l’encerclement et fouille de chaque village ; destruction de ses groupes armés et expulsion de sa population de l’autre côté des frontières de l’Etat juif.” Six mois plus tard, l’opération aura détruit 531 villages et expulsé plus de 750 000 personnes, devenues réfugiés.

L’historien Ilan Pappé qualifie cette opération de “nettoyage ethnique (6) ”, car les Palestiniens furent expulsés “pour qu’ils ne puissent plus jamais revenir”, comme l’a dit Yosef Weitz, un des dirigeants sionistes. Le projet et sa réalisation, simplement affreux, peuvent également être qualifiés, au regard du droit international, de crime contre l’humanité. En effet, le “transfert forcé de population” est rangé dans cette catégorie par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998). Ce fait historique - ou al-Nakba, la catastrophe, comme disent les Palestiniens - est ignoré par Israël, qui refuse de le reconnaître, alors même qu’il est à l’origine du problème des réfugiés palestiniens qui empêche toute solution - aujourd’hui - du conflit israélo-palestinien.

Acte II - L’erreur

Même si les résultats du Plan Dalet sont impressionants, peut-on qualifier cette opération de succès ? Les sionistes ont-ils atteint leur objectif ? Clairement non, répond l’historien Benny Morris, dont le parcours intellectuel tres particulier devoile les limites morales du sionisme. Après avoir été chef de file des “nouveaux historiens”, connus pour avoir mis au jour une version des faits survenus en Palestine entre 1947 et 1949 différente de l’histoire officielle israélienne - qui proclame que les Arabes sont partis d’eux-mêmes -, il s’est mis répondre de façon amorale au problème qu’il avait contribué à créer : comment résoudre la contradiction entre la défense du sionisme et la reconnaissance de ce qui s’est véritablement passé au moment de la création de l’Etat d’Israël ? Autrement dit, comment continuer à défendre la légitimité d’Israël, alors même qu’il est né dans le péchê ? Au lieu de choisir une voie consistant à reconnaître les atrocités commises en 1948, et ses conséquences (des réparations financières, par exemple, pour les réfugiés palestiniens), Benny Morris a préféré justifier ce qu’ont fait les sionistes il y a soixante ans.

“Ben-Gourion avait raison. S’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, un Etat n’aurait jamais pu naître. (...) Sans le déracinement des Palestiniens, un Etat juif n’aurait jamais vu le jour ici. (...) Dans certaines conditions, l’expulsion n’est pas un crime de guerre. (...) Il y a des circonstances historiques qui justifient le nettoyage ethnique. (...) Il était nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population.” Pourtant, Benny Morris pense que Ben-Gourion n’a pas été assez loin. “Il aurait dû finir le boulot. (...) S’il avait réalisé une expulsion complète - plutôt que partielle - il aurait stabilisé l’Etat d’Israël pour des générations. (...) L’inachèvement du transfert fut une erreur.(7)”

Aujourd’hui, cette erreur ne peut guère être réparée de la même façon qu’en 1948. La réalisation d’un nouveau nettoyage ethnique est impensable - même s’il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, certains hommes politiques israéliens appellent ouvertement au transfert des citoyens palestiniens d’Israël dans le futur Etat palestinien, de façon à garantir une majorité démographique juive en Israël. D’autres techniques politiques doivent donc être mises en oeuvres pour “finir le boulot”.

Acte III - “Finir le boulot”

L’ethnocide est un autre moyen de se débarrasser de l’autre. Non en l’expulsant, mais en le transformant, en le réduisant au même. “L’ethnocide, c’est la destruction systématique des modes de vie et de pensée de gens différents de ceux qui mènent cette entreprise de destruction. En somme, le génocide assassine les peuples dans leur corps, l’ethnocide les tue dans leur esprit.(8) ” On pourra nous objecter avec raison qu’Israël ne souhaite pas transformer les Palestiniens en Juifs, mais il peut tout faire pour qu’ils cessent de se sentir Palestiniens. Nous pensons que la politique menée aujourd’hui par Israël s’apparente à un ethnocide du peuple palestinien. Mais il s’agit ici de distinguer entre les Palestiniens citoyens de l’Etat d’Israël de ceux qui vivent dans les Territoires occupés.

Les Palestiniens d’Israël, plus d’un million de personnes, vivent dans un Etat qui se définit comme “juif et démocratique (9) ”. Cette double définition leur paraît contradictoire. En effet, les Palestiniens n’ont pas les mêmes droits que les Juifs en Israël en matière d’éducation, de reconnaissance de la langue arabe, de regroupement familial, de reconnaissance de leur statut de minorité nationale autochtone, etc.(10) Mais surtout, on leur demande de bien vouloir se sentir israéliens, autrement dit, de laisser tomber leur identité palestinienne et d’accepter les principes fondamentaux du sionisme. On leur dit : “Sois sioniste, ou crève”. En effet, les candidats aux élections et partis politiques n’ont pas le droit de se présenter ou de mener leurs activités politiques s’ils rejettent l’identité d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique (11). Israël n’est une démocratie que pour les Juifs.

Dans les Territoires occupés, la situation est quelque peu différente en ce qu’Israël ne cherche pas à transformer ses habitants en défenseurs du sionisme, il ne tente que de leur rendre la vie impossible et de détruire l’identité palestinienne à travers une politique de division des populations et de destruction de l’agriculture. La Cisjordanie connaît aujourd’hui un processus de cantonisation, elle tend à être divisée en trois régions autour des villes de Naplouse, Ramallah et Hébron, qui ont de moins en moins de contacts entre elles en raison des points de passage contrôlés par l’armée israélienne. Le mur participe de ce processus de division des populations en créant des enclaves, en encerclant des villages qui n’ont parfois qu’un point de passage ouvert selon l’arbitraire de “l’administration civile” (dénomination officielle de l’administration militaire) des Territoires pour rejoindre le reste de la Cisjordanie. On connaît par ailleurs l’importance des oliviers et des paysages (12) comme ciments de l’identité palestinienne. Une barrière qui épouse la forme des collines, comme autour du village de Bil’in, n’est pas seulement laide à cause de la route bétonnée qui la longe, des oliviers qu’elle détruit, elle est surtout laide car elle empêche le rêveur de s’abandonner dans le paysage. Désormais, celui-ci a une limite. Même si on ne la voit pas toujours et partout, elle est là et on la sent, elle détruit l’environnement sans limites du paysage.

C’est donc à une entreprise de destruction systématique de ce qui fait l’identité palestinienne que se livre Israël, avec l’idée implicite que moins les Palestiniens se sentiront Palestiniens, moins ils se révolteront et exigeront l’application de leurs droits. Bien entendu, cela pourrait régler le problème. Mais accepterait-on de passer par pertes et profits l’âme d’un peuple ? Les forces culturelles globalisantes l’accepteraient sans remords. Un ethnocide n’est rien si cela permet à une partie de l’humanité de rejoindre la culture du maître. Inutile d’argumenter pour défendre “l’âme des peuples (13)”, le seul débat doit se faire autour des moyens de lutte. Et peut-être, comme dit mon ami Nabil, que “nous ne devons exclure aucun moyens, fussent-ils en dehors du droit.”

Raphaël Kempf - raphaelkempf@mada-research.org

Notes :

1 - Editorial, “A Potential Turning Point”, Haaretz, 11 février 2007.

2 - Interview de Ghazi Hamad, “Wide and flexible”, bitterlemons.org, 26 février 2007.

3 - “Le gouvernement israélien (...) avait fini par accepter, du bout des lèvres, la feuille de route, mais avec quatorze réserves. Pour les résumer, le gouvernement israélien n’adhérait aux dispositions du texte qu’à condition que ce ne soit ni une feuille ni une route, qu’elle parte d’ailleurs que de son point de départ, ne conduise pas là où elle aboutit, et passe par un autre itinéraire.” Ilan Halevi, “La ‘feuille de route’ - malgré tout”, Revue d’études palestiniennes, Hiver 2007.

4 - Elias Sanbar, Figures du Palestinien, Gallimard, 2004.

5 - Dov Hanin, député à la Knesset (Hadash - parti communiste judéo-arabe), entretien, Jérusalem, 12 février 2007.

6 - Ilan Pappé, “The 1948 Ethnic Cleansing of

Palestine

”, Journal of

Palestine

Studies, Fall 2006.

7 - Interview de Benny Morris, “Survival of the Fittest”, Haaretz, 9 janvier 2004.

8 - Pierre Clastres, “Ethnocide”, Encyclopedia Universalis.

9 - Loi fondamentale - Dignité humaine et liberté, 1992.

10 - Nadim Rouhana & Nimer Sultany, “Redrawing the Boundaries of Citizenship :

Israel

’s New Hegemony”,

Journal of

Palestine

Studies, Fall 2003.

11 - Loi fondamentale - la Knesset, section 7A, telle qu’amendée le 15 mai 2002.

12 - Elias Sanbar parle des Palestiniens expulsés en 1948 comme de “porteurs de paysages”, op. cit. 13 - Pierre Clastres.

Mada al-Carmel est un institut de recherche qui s’intéresse à la question de la minorité palestinienne en Israël. Il a été fondé en 2000, à Haïfa, par Nadim Rouhana, professeur de sociologie, auteur notamment du livre "Palestinian citizens in an Ethnic Jewish State : Identities in Conflict" (Yale University Press, 1997).

Préoccupé par le développement humain et national des Palestiniens d’Israël, Mada al-Carmel cherche à promouvoir la recherche théorique et appliquée concernant cette minorité nationale. Mada al-Carmel se concentre sur les besoins sociaux, éducatifs et économiques des Palestiniens d’Israël, ainsi que sur les notions d’identité nationale et de citoyenneté démocratique. D’autres questions, plus larges, sont également abordées, comme l’identité, la citoyenneté, et la démocratie dans les Etats multiethniques.

Ces recherches sont réunies dans un grand nombre de publications, en arabe, hébreu et anglais. Parmi celles-ci, Mada al-Carmel publie chaque année son "Political Monitoring Report" qui réunit des articles universitaires et recense les discriminations commises par Israël à l’encontre de la minorité nationale palestinienne, sous diverses formes  : lois, prises de position par des politiciens, articles de journaux, actes de violence, etc.

Mada al-Carmel, Haïfa, mars 2007

www.info-palestine.net 

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