La France et l’extrême droite israélienne
Le retour de Benyamin Netanyahu au pouvoir, flanqué d’alliés infréquentables, pose une question au pouvoir français: notre pays peut-il décemment continuer de réprimer les opposants à la politique d’Israël?
En toute logique, et en toute morale, le retour de Benyamin Netanyahu au pouvoir en Israël devrait poser un problème à la France. Car «Bibi», le corrompu, alourdit chaque fois ses bagages de partenaires toujours plus infréquentables. Le voilà à présent flanqué d’alliés que l’on peut qualifier de fascistes sans craindre l’exagération.
Certes, rien ne peut gêner ce personnage dépourvu de tout scrupule. Mais ce n’est pas le cas de l’Union européenne, qui se pique de certains principes. Et le dilemme devrait particulièrement interroger la France. Celle-ci va-t-elle pouvoir continuer à soutenir le colonialisme israélien avec le nouveau casting qui résulte des récentes législatives?
Car Netanyahu est désormais l’otage consentant de ce qu’il y a de pire dans la société israélienne. Une droite suprémaciste et raciste, héritière de feu le rabbin Kahane. Pour revenir au pouvoir, il a dû faire une place de choix à l’extrémiste Itamar Ben-Gvir, admirateur avoué de Baruch Goldstein, l’auteur du massacre des Palestiniens d’Hébron, en 1994.
Et il n’aura pas fallu vingt ans pour que les amis de l’assassin d’Itzhak Rabin parviennent au pouvoir. En Israël, le crime paie! Il ne faut pas croire que Ben-Gvir est un extrémiste isolé dans la petite cour des miracles de Netanyahu. Il a recueilli 10% des voix. Son parti est le troisième de la Knesset. Et d’autres personnages, comme Bezalel Smotrich ou Naftali Bennett, rivalisent de racisme avec lui.
Avec Netanyahu, une première fois 1er ministre en 1996, on mesure l’évolution de la société israélienne. Mais la droitisation, comme on dit, n’est pas le seul fait de la droite. La gauche y a largement contribué en se sabordant en 2001, sous les auspices du tandem travailliste Ehud Barak-Shimon Peres.
Le premier avait tenté de piéger Yasser Arafat en lui proposant un marché de dupes à Camp David, en juillet 2000. Le second avait porté le coup fatal à son propre parti en rejoignant quatre mois plus tard le leader de la droite de l’époque, Ariel Sharon.
Depuis, l’histoire de la gauche n’est qu’une longue déchéance dont les résultats des dernières législatives sont l’aboutissement tragique, avec un parti travailliste réduit à quatre sièges et la disparition du Meretz. On peut toujours gloser sur la droitisation de la société israélienne, mais que peut-il advenir d’autre quand les partis de gauche se sabordent?
Cet inexorable processus de fascisation devrait enfin interpeller la France. Car le soutien de Paris à la droite israélienne n’est pas fait que de mots. Aujourd’hui, la France est le seul pays qui criminalise les appels au boycott d’Israël. Le seul qui retourne contre les militants anti-apartheid l’accusation de discrimination.
E.Dupond-Moretti, avec sa circulaire d’octobre 2020, dans le sillage de la circulaire Alliot-Marie, dix ans plus tôt, invite les tribunaux à intensifier la répression de ce qu’il nomme «les appels discriminatoires au boycott des produits israéliens». La France est la pièce maîtresse dans un système international qui assure l’impunité à Israël.
E.Dupond-Moretti va-t-il continuer d’ordonner aux tribunaux de condamner les militants qui dénoncent le fasciste Itamar Ben-Gvir? Va-t-il légitimer la répression de ces lanceurs d’alerte que sont les militants du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) en affirmant que le caractère antisémite de l’appel au boycott peut se «déduire du contexte»? Pour arriver à ses fins, l’avocat Dupond-Moretti se hasarde dans le maquis obscur de l’arbitraire.
Quel est donc ce contexte qui devrait nous interdire de dénoncer et de combattre le racisme du gouvernement israélien à l’encontre des Palestiniens? Et justifier que l’on ignore la condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme qui a reconnu, en juin 2020, que les appels au boycott relèvent de la liberté d’expression?
Mais Dupond-Moretti a inventé un raffinement supplémentaire. Il menace de condamner les militants à des «stages» – le mot, déjà, est d’une totale impudeur – au Mémorial de la Shoah. Nous sommes là au comble de l’ignominie. C’est faire des militants contre l’apartheid des antisémites. Et c’est donc faire du fasciste Itamar Ben-Gvir, homophobe, antidémocrate, habité par la haine des Arabes, la figure légitime de la communauté juive.
N’est-ce pas au contraire en protégeant par nos lois les fascistes israéliens, en donnant cette fausse image du judaïsme, que l’on produit de l’antisémitisme? Si Me.Dupond-Moretti effectuait un stage au Mémorial de la Shoah, et s’il comprenait de quoi il parle, il aurait peut-être une chance de devenir lui-même un militant BDS… Il comprendrait que le vrai devoir de mémoire, c’est de lutter contre toutes les discriminations.
Au moment où, après Amnesty International et Human Rights Watch, cinq anciens ministres européens des Affaires étrangères dénoncent officiellement le régime d’apartheid israélien, il est grand temps que le gouvernement français se mette au diapason, et qu’il abroge les circulaires qui incitent à la répression de BDS.
Là où beaucoup de pays européens sont simplement passifs, la France montre une complicité zélée. Elle est même incapable d’obtenir la libération de l’un de ses ressortissants, Salah Hamouri, toujours détenu arbitrairement. À moins que la libération de cet avocat franco-palestinien, la France de MM. Macron, Darmanin et Dupond-Moretti ne la veuille tout simplement pas…
Denis Sieffert -
10.11.22
Source: Aurdip