Quand l’Union Européenne s’inquiète…
Les divers représentants des instances européennes ont une palette impressionnante pour décrire leurs états d’âme. Sans toutefois passer de la parole aux actes
Un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout...
En 2016, quand Israël construit un mur dans la vallée de Crémisan, les missions européennes à Jérusalem et Ramallah exprimaient «leur profonde déception et leur inquiétude.»
En 2018, quand la jeune Ahed Tamimi est arrêtée, ces mêmes missions «s’inquiètent fortement des circonstances de son arrestation, la durée, les conditions de détention ainsi que la manière dont la procédure a été menée dans son cas, et dans des cas similaires.»
Ils affirment aussi «être profondément inquiets de l’utilisation de balles réelles employées par les forces armées israéliennes en cas d’émeute.»
Lors de l’agression contre Gaza en 2021, l’UE est «consternée par le grand nombre de morts et de blessés, y compris des enfants, parmi la population civile» et Josep Borrell déclarait: «Nous sommes consternés et regrettons les pertes de vies humaines de ces 11 derniers jours.»
Quand, le 18 août dernier, six ONG palestiniennes sont pillées et fermées par les autorités israéliennes, l’UE est «profondément concernée».
Lors de la dernière agression contre Gaza en 2022, l’UE suivait «avec une grande inquiétude l’évolution récente de la situation à Gaza et dans ses environs.»
Mais l’Europe peut aussi, en anglais, être «horrified» par le meurtre d’une femme près de Bethlehem. En anglais encore, elle est «alarmed» par les deux enfants de 16 ans, Hussein Taha à Naplus et Momen Jaber à Hébron, abattus par les Forces de sécurité israéliennes (12/08/2022).
L’Europe peut même être «saddened» (attristée) par la mort d’un jeune homme due aux colons (31/07/2022). Etc...
Arrêtons-là le déroulement du répertoire européen des 'inquiétudes' et des 'consternations' et autres expressions qui, d’ailleurs, sont d’usage également pour d’autres pays et interrogeons-nous sur la portée de ces mots.
Toutes ces formes de communication sont de l’ordre du sentiment. Comme si l’Europe était une personne. Demandons-nous aux institutions européennes de nous infliger leurs états d’âme ou bien de juger et d’intervenir en conformité avec les principes du droit humanitaire et international, voire de leurs propres principes?
Mais ne soyons pas partiaux. Il arrive que l’UE condamne… mais…
Quand la police israélienne attaque le cortège des obsèques de la journaliste Shireen Abu Akleh tuée par l’armée d’occupation, le communiqué du Haut représentant déclare que l’Europe est (encore une fois !) «consternée» . Néanmoins, l’UE condamne l’usage disproportionné de la force et le comportement irrespectueux de la police israélienne contre les participants au cortège de deuil et «réitère son appel en faveur d’une enquête approfondie et indépendante qui clarifie toutes les circonstances de la mort de Shireen Abu Akleh et qui traduise en justice les responsables de son assassinat.»
Nous voilà donc un pas au-delà de la simple consternation. Sans doute parce que la journaliste était connue et de nationalité américaine car pour d’autres assassinats de Palestiniens, l’UE ne prend pas de position aussi tranchée.
Récemment, à la suite du projet d’expulsion de masse de Palestiniens à Masafer Yatta et ses environs, le porte-parole des Affaires étrangères et de la Politique de sécurité a répété que «L’expansion des colonies, les démolitions et les expulsions sont illégales au regard du droit international» et déclaré que l’UE «condamne ces éventuels projets et demande instamment à Israël de mettre fin aux démolitions et aux expulsions, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme.» Un bon point pour l’UE.
Alors, on prend des mesures?
Non. On ressort la même rengaine: «En outre, l’UE rappelle que les démolitions et les expulsions, ainsi que les transferts forcés, y compris de Bédouins (sous-entendu: ce ne sont pas des Palestiniens), menacent gravement la solution des deux États et ne feront qu’aggraver un climat déjà tendu dont personne ne peut véritablement tirer profit et qui ne fait que détériorer davantage la situation sur le terrain pour les gens ordinaires des deux côtés.»
Outre que la solution à deux États est devenue impraticable, sauf à exiger la fin de l’occupation et le retrait de toutes les colonies, la déclaration européenne parle de 'climat tendu' et de 'détérioration accrue', un euphémisme pour un nettoyage ethnique en règle.
On remarquera aussi cette aberrante équidistance qui fait dire que la situation risque de se détériorer pour les gens ordinaires «des deux côtés». Les colons vont-ils être affectés? En résumé, une condamnation purement verbale, sans sanctions.
Sanctions
Quand il y a des problèmes au Nicaragua ou au Mali, l’UE condamne et menace de sanctions. Par ailleurs, elle n’a pas hésité à sanctionner la Syrie, la Libye, le Venezuela, le Belarus et le Myanmar. Tout récemment, le train de sanctions prises contre la Russie prouve que l’UE peut prendre très rapidement des mesures de rétorsion, quand elle le veut.
Mais quand il s’agit d’Israël et de la Palestine, le tableau est tout autre. Même si l’UE déclare son soutien à la solution à deux États, même si elle reconnaît l’illégalité des colonies, même si elle s’inquiète des violations par Israël du droit humanitaire et international, même si elle demande la levée du blocus de Gaza… elle ne prend pas de sanctions contre Israël.
Elle pourrait suspendre l’accord d’association avec Israël au nom des principes qui y sont inscrits – à savoir, le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques (article 2) - mais elle ne le fait pas et Josep Borell a annoncé, en juillet, la reprise prochaine des réunions dans le cadre du conseil d’association UE-Israël.
En 2005, l’UE avait signé un plan d’action avec Israël dans le cadre de sa Politique européenne de voisinage (PEV), dont l’une des priorités était de renforcer le dialogue politique et la coopération, basés sur des valeurs communes, dont les droits humains. Mais la PEV n’a pas non plus sanctionné Israël pour sa politique dans le Territoire palestinien occupé1.
En réalité, l’UE dissocie systématiquement ses relations bilatérales avec Israël des actions d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. On le constate aisément concernant l’interdiction des produits des colonies: alors que l’UE déclare les colonies illégales au regard du droit international, il faut une initiative citoyenne européenne pour la pousser à agir en conséquence. Dès lors, en dépit des déclarations de principe, en dépit de ses inquiétudes – petites ou grandes – l’UE a multiplié les accords bilatéraux avec Israël ou accepté la participation de ce pays à des projets qu’elle finance.
Deux poids, deux mesures
L’UE est tributaire de ses Etats membres et du mode de prise de décision à la majorité. De plus, elle pratique systématiquement et sans complexe le deux poids, deux mesures au bénéfice d’Israël. Si l’UE n’a pas hésité à prendre des sanctions quand le résultats des élections palestiniennes de 2006 ne lui a pas plu, elle n’a jamais sanctionné Israël. Y compris quand celui-ci refuse de dédommager l’UE pour ses démolitions de projets européens.
Le dernier mot revient au Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Josep Borrell. Interrogé par El Pais sur la différence de traitement entre l’Ukraine et la Palestine, il déclare: «On nous reproche souvent d’avoir deux poids, deux mesures. Mais la politique internationale est en grande partie l’administration de deux poids, deux mesures. Nous ne faisons pas face à tous les problèmes avec les mêmes critères.”2 Tout est dit.
Notes:
1 Nathalie Satanus, “L’Europe, Israël et les droits des Palestiniens”, cncd.be, 16 juin 2009
2 Ali Abunimah, “Top EU diplomat admits double standards on Palestine”, electronicintifada., 2 septembre 2022
Marianne Blume -
22.09.22
Source: Association belgo-palestinienne