FREE PALESTINE
18 novembre 2021

En Allemagne, les universités mènent la charge contre la solidarité avec la Palestine

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Le conservatisme et une culpabilité historique réduisent en Allemagne l’espace pour le militantisme en faveur de la Palestine — et les campus sont parmi les champs de bataille les plus violents de tous

 

En 2017, Eleonora Roldán Mendívil, une universitaire enseignant à l’Université libre de Berlin, s’est brusquement retrouvée sans emploi, après avoir commenté sur le post d’un blog qu’Israël était «un projet colonial» et un «Etat d’apartheid». Les groupes pro-Israël en Allemagne ont ciblé Roldán Mendívil, en l’étiquetant "antisémite".

L’université a lancé une enquête sur ses commentaires, menée par Wolfgang Benz, un chercheur nationalement reconnu sur l’antisémitisme. Le rapport de Benz l’exonérait de toutes les accusations d’antisémitisme, mais l’université a refusé de rendre publics ses résultats, selon Roldán Mendívil (l’université n’a pas répondu à notre demande de commentaires). Au lieu de cela, ils voulaient qu’elle accepte un accord de confidentialité pour l’empêcher de parler publiquement du rapport. Roldán Mendívil a refusé.

Dans une autre affaire, un centre important de recherche et de récolte de données, Recherche-und Informationsstelle Antisemitismus (RIAS), a préparé un dossier secret sur Anna-Esther Younes, une universitaire palestino-allemande spécialiste de la théorie critique de la race, du fait d’être Blanc, et des théories psychanalytiques en Allemagne, pour la faire désinviter d’un événement où elle parlait.

Pendant l’événement, les organisateurs ont associé Younes à un tireur d’extrême-droite ayant ciblé une synagogue, une association basée sur le fait qu’elle avait signé une lettre critiquant une résolution anti-BDS que le Bundestag [Parlement fédéral allemand] avait ratifiée. Ayant été exclue de l’événement, Younes était dans l’incapacité de se défendre.

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Ensuite, en juillet, durant un vote en ligne sur une résolution anti-Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) dans une université allemande, les étudiants contre la résolution qui portaient des keffiyehs ont brusquement noté que leurs caméras étaient désactivées. Le parlement étudiant de l’université de Münster qui organisait l’événement a affirmé que les keffiyehs étaient une «tenue politiquement inappropriée»; les organisateurs n’ont pas non plus donné au étudiants une chance de répondre, malgré la promesse faite avant le meeting qu’ils pourraient le faire. La résolution, qui a été ratifiée, concerne toute organisation étudiante qui approuve le mouvement BDS.

Ce ne sont que trois affaires parmi d’autres, soulignant le rétrécissement de l’espace laissé au plaidoyer pro-Palestine en Allemagne, où le discours pro-palestinien est rejeté et presque automatiquement conçu comme antisémite. La censure contre les pro-Palestiniens en Allemagne s’est accrue après la ratification d’une résolution anti-BDS au parlement allemand en 2019. En catégorisant le mouvement comme antisémite, la résolution a effectivement empêché toutes les organisations qui approuvent BDS d’accéder à des fonds publics ou à un espace public.

La réduction au silence des militants pro-Palestine va au-delà du débat extrêmement tendu à propos de BDS,  et est enracinée dans le soutien idéologique de longue date de l’Allemagne pour Israël — soutien qu’Angela Merkel a récemment réaffirmé lors de son dernier voyage en Israël en tant que chancelière allemande, rassurant le 1er ministre israélien Naftali Bennett sur le fait que la sécurité d’Israël demeurerait «une question centrale» pour le gouvernement allemand après son départ.

Mais militants et universitaires disent que cet engagement n’est pas exprimé seulement par le soutien diplomatique, militaire et financier de l’Allemagne à Israël: il apparaît aussi, disent-ils, dans la diffamation de personnes et d’organisations qui résistent à l’apartheid israélien, sous couvert de combattre l’antisémitisme. Le choc a été particulièrement important dans les campus des universités allemandes, où étudiants et enseignants disent que cette politique les discrimine en restreignant leur accès aux ressources, en perturbant leur capacité à s’organiser et en interférant avec leurs chances d’emploi.

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Une dette coloniale impayée

Les racines de cette dynamique se trouvent en partie dans les efforts de l’Allemagne pour expier l’holocauste, selon l’historien des droits humains Dirk Moses. Dans un essai récent, Moses décrit un «catéchisme» dans la société allemande qui, avec l’objectif de restaurer l’héritage moral de leur nation terni par l’ère nazie, rend obligatoire une loyauté spéciale à Israël et au sionisme. Ainsi, argue-t-il, la légitimité géopolitique de l’Allemagne et sa position comme superpuissance européenne sont amarrées à «la défense d’une dictature militaire sur les Palestiniens».

Sami Khatib, un théoricien de la culture et philosophe basé à Berlin, argue que c’est ce même «catéchisme» qui prétend à un impératif moral de responsabilité politique, pour lequel les Palestiniens doivent payer le prix. «L’expiation historique de l’Allemagne signifie en définitive que les Palestiniens sont non-existants», dit-il.

«Pour que l’Allemagne règle ses comptes avec son passé, les élites et les politiciens allemands avaient besoin et ont encore besoin, d’un partenaire qui prétend parler pour les survivants de l’holocauste. Les Palestiniens sont juste devenus une agaçante perturbation dans cette relation troublée, et maintenant bien pratique.»

Le soutien à Israël est, donc, devenu une partie fondamentale de l’identité post-guerre de l’Allemagne. Les activistes disent que cela informe les gestes du gouvernement tels que la résolution anti-BDS — qui a eu de sombres implications pour les défenseurs des droits humains palestiniens, qui mentionnent une culture de peur et d’intimidation. La résolution anti-BDS a, selon les critiques, donné aux groupes pro-Israël la licence d’attaquer des organisations palestiniennes, des artistes, des universitaires et des individus, les empêchant d’accéder aux ressources publiques et les excluant de diverses institutions culturelles et académiques.

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Selon ces universitaires et ces militants en Allemagne, une prise en charge incohérente de l’histoire et une profonde tendance conservatrice ont rendu les universités allemandes particulièrement résistantes au narratif palestinien. «L’Allemagne n’a pas été confrontée à son passé colonial et ce n’est pas le sujet principal discuté ni dans les écoles allemandes, ni au niveau universitaire », a dit Ramsy Kilani, un militant étudiant palestinien, membre de l’Association sociale-démocrate des étudiants (Die Linke SDS).

Par contraste avec la reconnaissance publique de l’holocauste, par exemple, c’est seulement cette année — un siècle plus tard — que le gouvernement allemand a reconnu sa responsabilité dans le génocide des Héréros et des Namas pendant son occupation coloniale de ce qui est maintenant la Namibie.

Les parallèles entre la théorie postcoloniale et la situation en Palestine sont donc tus. «Dans la plupart des cas, vous ne pouvez pas parler de la Palestine à l’université parce que la Palestine, pour les Allemands, est un sujet très inquiétant», a dit Khatib, le théoricien de la culture et philosophe. «Les universitaires de la gauche progressiste verraient l’Algérie comme une affaire coloniale, défendraient les droits des victimes du généocide arménien contre la Turquie ou soutiendraient la lutte kurde pour l’auto-détermination — mais ils ne franchiront pas la ligne de considérer les Palestiniens comme des victimes et de reconnaître la légitimité de la lutte palestinienne pour la décolonisation.»

«Ils croient qu’Israël est l’Etat légitime qui parle au nom des victimes de l’holocauste — pour le public allemand, cet Etat est devenu le successeur moralement pur de ces victimes qui ont été assassinées au nom de l’Allemagne», a-t-il ajouté.

Mais outre le contenu, la nature hiérarchique et conservatrice de l’université allemande conduit à l’exclusion des universitaires marginalisés, a dit Shir Hever, un chercheur israélien membre du bureau de Jewish Voice for a Just Peace. A l’intérieur de cette structure, les progressions de carrières sont liées autant aux «connexions personnelles» qu’aux résultats, a-t-il ajouté. «Très peu de personnes de couleur et d’immigrants réussissent dans les professions universitaires, particulièrement aux plus hauts échelons.»

Même quand les Palestiniens obtiennent ces postes universitaires, leur présence est sujette à ce que Sanabel Abdelrahman, une universitaire palestinienne basée en Allemagne, appelle «l’université apologiste». Ce cadre, explique-t-elle, orientalise les études sur la Palestine et se focalise sur des aspects dépolitisés de la culture et de la tradition aux dépens de l’engagement pour la lutte des Palestiniens contre la colonisation israélienne. Les universitaires qui se spécialisent sur la Palestine sont donc souvent obligés de «sauver de la culpabilité allemande le discours et le droit à parler palestiniens, une culpabilité qui érige des barricades et y met fin», écrit-elle.

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Discrimination systémique et exclusion

Cet environnement, selon les universitaires qui ont parlé avec '+972 Magazine', s’est avéré une terre fertile pour la résolution anti-BDS de 2019. La Conférence des recteurs allemands (HRK) — association des universités publiques et reconnues par le gouvernement en Allemagne — ne l’a pas seulement soutenue publiquement, mais a aussi adopté la définition de travail controversée de l’antisémitisme proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste (IHRA), qui cite des critiques de l’Etat israélien comme exemples. (Aussi récemment que 2019, la HRK a mis en garde contre les dangers menaçant la liberté académique dans un âge d’«opinions radicalement polarisées» et a souligné «le besoin de résister aux attaques contre la liberté académique».)

Bien que la résolution n’ait aucun poids constitutionnel, et s’applique uniquement aux organisations et non aux individus, l’«accusation d’antisémitisme a une force de dissuasion plus grande que n’aurait une vraie loi», selon Emily Dische-Becker, une chercheuse d’investigation qui vit à Berlin. «Vous n’avez pas vraiment besoin d’une loi contre les personnes parce qu’une résolution qui est exprimée en termes vagues sera sur-appliquée pour cibler aussi les personnes ».

«Si nous allions au tribunal avec une preuve de discrimination à cause de nos opinions politiques, nous gagnerions bien sûr», a dit Sami Khatib. «Mais si vous n’êtes pas dans le consensus, la discrimination vient sous la forme d’une exclusion structurelle et systémique.»

Younes a eu une expérience directe de cette exclusion. Elle dit que depuis qu’elle a terminé son doctorat, elle a été incapable de trouver un poste permanent d’enseignante à cause des ses déclarations politiques sur la Palestine. Les employeurs potentiels, a-t-elle dit, savent qu’ils ne «peuvent recruter quelqu’un dont la persona déclencherait une coupe sérieuse dans les subventions et une campagne médiatique publique contre l’université».

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«C’est de la discrimination structurelle et institutionnelle mélangée à la peur de perdre son travail, sa carrière et son existence dans un système qui est bâti sur des hiérarchies de pouvoir idéologique», a continué Younes. «Une majorité d’universitaires allemands vous traitera comme si vous étiez une paria et certains sont même nerveux à l’idée d’être vus avec vous. Dans mon esprit, tout cela revient à l’effacement idéologique des Palestiniens, ce qui est devenu plus facile à rationaliser — institutionnnellement et personnellement — depuis la résolution sur BDS.»

La résolution a aussi sapé le travail des groupes cherchant à fournir une éducation sur le narratif palestinien. A la fin de l’an dernier, Weissensee Kunsthochschule, une école d’art berlinoise, a brutalement retiré son financement à un programme organisé par "L’Ecole pour désapprendre le sionisme", un groupe d’artistes juifs israéliens qui cherchent à remettre en cause le narratif sioniste. Quelques jours seulement après le lancement du programme, l’administration de l’université a retiré la page du groupe sans en informer les organisateurs.

La réponse de l’université a été déclenchée par un email d’un journaliste allemand conservateur, Frederik Schindler, qui a cité des liens avec le mouvement BDS comme prétexte pour dénier un financement au groupe. «Nous devions décider rapidement comment gérer la protestation contre la réalisation de cet événement», a dit à '+972' la porte-parole de l’université Birgit Fleischmann. Elle a confirmé que la résolution anti-BDS du parlement était utilisée comme une justification pour le retrait.

Pourtant ce ne sont pas seulement les autorités de l’université qui ont suivi l’exemple de la résolution anti-BDS en cherchant à arrêter le discours sur les droits palestiniens — des étudiants individuels et des organisations étudiantes, également, ont utilisé la résolution comme prétexte pour perturber la défense de la Palestine.

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Kilani, le militant étudiant, dit que beaucoup d’organisations étudiantes qui ont en charge l’administration et la distribution de financements de leurs universités sont «progressistes sauf en ce qui concerne la Palestine» et qu’en conséquence elles peuvent «bloquer le soutien financier et l’accès à un espace aux groupes étudiants pro-Palestine», et également perturber les événéments palestiniens par d’autres moyens.

Et même si ce phénomène existait avant la ratification de la résolution du Bundestag, celle-ci a nénamoins stimulé leurs efforts. En juin 2019, un mois après la ratification de la résolution par le gouvernement, des groupes étudiants allemands liés à des factions politiques larges comme les Verts, les sociaux-démocrates et les chrétiens démocrates d’Angela Merkel, se sont réunis et ont ratifié leur propre résolution condamnant le mouvement BDS et affirmant qu’ils ne s’engageraient dans aucune sorte de coopération avec les soutiens de BDS. La résolution appelait BDS "une expression particulièrement aggressive d’antisémitisme pour laquelle il ne peut y avoir aucun espace dans les universités allemandes". Et cette année a vu le vote anti-BDS qui a bloqué les étudiants portant des keffiyehs.

«Nous ne sommes pas seulement attaqués institutionnellement, mais aussi à l’intérieur des organisations étudiantes, comme ils ont internalisé la criminalisation de toute solidarité avec la Palestine», a dit Kilani. «Nous n’avons pas besoin d’un lobby pro-Israël actif — les Allemands sont prêts à défendre Israël à partir de leurs propres convictions, gratuitement.»

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«La Palestine vraiment sera libre un jour»

Malgré l’atmosphère de surveillance continue et de censure, les défenseurs de la Palestine en Allemagne ont remarqué un changement depuis le bombardement sur Gaza et la violence à Jérusalem en mai dernier. Les militants sur le terrain ont estimé que 15000 manifestants sont allés dans les rues des principales cités allemandes pour exprimer leur solidarité avec les Palestiniens pendant l’escalade.

"Pendant longtemps j’ai eu la conviction que l’une des batailles les plus féroces que nous aurions à combattre pour gagner le combat contre le système israélien soigneusement conçu de domination violemment discriminatoire, légalisée, institutionalisée et normalisée, sur les Palestiniens serait en Allemagne", a écrit  Hanan Toukan, professeure d’études sur le Moyen-Orient au Bard College de Berlin, après les manifestations. "Cela a changé en mai 2021. Il m’est apparu quand j’ai entendu pour la première fois les échos fracassants des chants de liberté pour la Palestine dans les rues de Berlin… que la Palestine vraiment sera libre un jour."

Cela peut se voir aussi dans les salles de cours. Roldán Mendívil, qui a pu trouver une position d’enseignante cette année, affirme que ses étudiants parlent activement de la Palestine dans les cours. «Ce qu’ils ont vu sur les réseaux sociaux était impossible à ignorer», a-t-elle dit.

Hebh Jamal -

12.11.21

Source: Aurdip

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