Nouvelle trahison arabe dans le dos des Palestiniens
Si l'annonce, claironnée ce jeudi par Donald Trump, constitue une avancée diplomatique entre les deux pays, elle se fait une fois de plus au détriment des Palestiniens: Israël-Emirats, une normalisation en échange du 'report' de l’annexion
Au Proche-Orient, c’est toujours au moment où le reste du monde se laisse atteindre par la torpeur du creux de l’été que le sol se dérobe sous les pieds des belligérants. La plupart du temps, c’est pour une guerre, comme celle des Six Jours en 1967 ou en 2014 à Gaza.
Cette fois-ci, c’est pour un réchauffement surprise, quoique non surprenant sur le fond, des relations entre Israël et les Emirats arabes unis, chapeauté par Donald Trump. Lequel a annoncé jeudi la nouvelle façon électrochoc sur Twitter, à grand renfort de «HUGE» («ENORME») en lettres capitales.
Légèrement pris de court par l’annonce, Benyamin Netanyahu a dû quitter précipitamment une session de travail consacrée au coronavirus pour saluer, en hébreu dans le texte, «un jour historique», avant de s’adresser à la nation dans la soirée.
Plus mesuré, Mohammed Ben Zayed (MBZ), le prince héritier et homme fort d’Abou Dhabi, a préféré évoquer «une coopération et une feuille de route vers l’établissement d’une relation bilatérale». Surtout, MBZ a mis l’accent sur le prix à payer par Israël pour cette étreinte: l'arrêt de son plan d’annexion d’un tiers de la Cisjordanie occupée, promis depuis des mois par Benyamin Netanyahu.
MBZ se félicite d’avoir «stoppé» l’annexion, quand le communiqué américain évoque une «suspension». Le flou linguistique arrangeant chaque partie… En échange, Israël se voit promettre une liste mirifique d’avancées diplomatiques: des «vols directs» entre les deux pays à l’établissement réciproque d’ambassades.
En soi, vu du Bureau ovale, cet épilogue au feuilleton de l’annexion-qui-ne-vient-pas est une victoire nette de Jared Kushner, dont les liens avec MBZ sont notoires, sur l’ambassadeur américain à Jérusalem, David Friedman. Cet ancien avocat de Donald Trump (c’est lui qui négocia toutes les banqueroutes de son patron) était à Washington le dernier partisan de l’annexion coûte que coûte.
En faisant pencher la balance des priorités - la normalisation avec le monde arabe plutôt que le grignotage territorial - Trump a tranché, une fois encore, du côté de son gendre. Il peut désormais se targuer, en pleine campagne pour sa réélection, d’avoir obtenu un accord de paix au Moyen-Orient.
Pour Netanyahu, la normalisation officielle des relations avec Abou Dhabi, entreprise par petites touches depuis quelques années (des judokas israéliens autorisés à jouer leur hymne et hisser l’Etoile de David lors d’une compétition dans les Emirats en 2018, à l’annonce d’une coopération sanitaire et scientifique contre le Covid) est un lot de consolation, qui lui permet de sauver la face en lâchant - temporairement ou définitivement, l’avenir le dira - son projet d’annexion.
Projet dont la sincérité a toujours fait débat chez les éditorialistes israéliens, les uns y voyant sa volonté de marquer l’histoire, les autres un gimmick électoraliste périssable. Il lui faudra néanmoins vendre sa volte-face à sa base, et notamment aux colons.
Une fois encore, les Palestiniens sont les faux gagnants et vrais perdants dans ce tour de bonneteau diplomatique. A l’exception de l’Egypte (qui a salué la nouvelle) et de la Jordanie, les deux seuls voisins en paix avec Israël, l’établissement d’un Etat palestinien a toujours été la condition première de toute normalisation pour les pays de la Ligue arabe.
Par cet accord, les Emirats déclarent que l’occupation de la Cisjordanie, sans fin en vue, est désormais acceptable. «Israël a été récompensé pour ne pas avoir déclaré ouvertement ce qu’il faisait à la Palestine de manière illégale et persistante depuis le début de l’occupation! s’est indignée Hanan Ashrawi, une dirigeante de l’OLP. Les Emirats arabes unis ont révélé au grand jour leurs relations secrètes et leur normalisation avec Israël. Vous ne nous faites pas une faveur… Nous ne sommes la feuille de vigne de personne!»
Guillaume Gendron (Tel-Aviv) ⁻
13.08.20
Source: Libération