FREE PALESTINE
4 janvier 2016

2015: L’année où le fascisme israélien a affiché ses couleurs sans vergogne

20120317121834930871

2015: L’année où le fascisme israélien a affiché ses couleurs sans vergogne

palestine 2
Des Palestiniens regardent une maison qui a été démolie par l’armée israélienne, dans le camp de réfugiés de Qalandia, à la périphérie de la ville cisjordanienne de Ramallah, le 16 novembre 2015 (AP)

Jeudi soir a scellé la fin d’une année plutôt exécrable. Il n’y a même pas eu de guerres orientées sur le changement, qui auraient laissé Israël se débrouiller avec soi-même. Il est des moments où le fait de déclencher une guerre propre, dans le style particulièrement entretenu et affectionné par Israël, semblerait la meilleure chose qui puisse arriver. Devoir traiter avec soi-même ne fait aucun bien à Israël. Quand il ne peut se retrancher derrière son habituelle « guerre inévitable », toutes ses plaies et cicatrices ressortent de façon bien plus visible.

Selon l’Indice 2015 de la Démocratie, publié le mois dernier par l’Institut israélien de la démocratie, les Israéliens marquent des points. Telle fut la réponse des trois quarts d’entre eux, mieux encore que les deux tiers qui s’étaient dit très contents en 2014.

Qu’est-ce qui s’est amélioré, cette année ? Le top-modèle Bar Refaeli s’est mariée (et s’est fait arrêter) ; la chanteuse et musicienne Ninet Tayeb (et le présentateur des infos Yonit Levi) ont eu des bébés ; 80% des Israéliens croient que la situation du pays est bonne ; 88% des Juifs estiment que ça baigne.

Mais voyez ce qu’il en a été du côté arabe : 32% seulement éprouvent des affinités avec l’État, alors qu’ils étaient encore 59% l’année d’avant – la dégringolade la plus importante et la plus embarrassante de l’année. Mais qui tient les comptes et qui s’en soucie ?

Ce qui importe, c’est que 86% des Juifs affirment qu’ils sont sionistes, que 61% appuient la déclaration de loyauté comme condition au droit de vote, que 60% (avec davantage de jeunes que de personnes plus âgées) croient que l’État devrait être autorisé à contrôler l’utilisation d’Internet par les citoyens et qu’une majorité croit que les organisations des droits de l’homme sont une grave nuisance.

Selon la numérologie, ce fut une année particulière – 67 ans après la fondation de l’État en 1948 ; 48 ans après l’occupation qui a débuté en 1967. Ils sont nombreux à se poser la question : cela va-t-il durer 50 années de plus ? L’occupation va-t-elle durer 50 années de plus ? Il n’existe pas d’autre pays dans lequel on se pose ce genre de questions.

Jusqu’à présent, 24 Israéliens et 128 Palestiniens ont été tués dans l’actuelle mini-Intifada. L’équilibre démographique est préservé : plus de cinq Palestiniens ont été tués pour chaque Juif, bien que la croissance soit nettement moindre par rapport aux précédents succès. Cent Palestiniens tués pour un Israélien, lors de l’opérationPlomb durci ; 37 Palestiniens pour un Israélien, lors de l’opération Bordure protectrice. Mais jamais auparavant il n’y avait eu d’ordre officiel de tuer, comme ce fut le cas cette année.

Ce fut une année au cours de laquelle il n’y eut même pas un semblant de pourparlers de paix ni de processus diplomatique. Mais c’est probablement une bonne chose : On en avait plus qu’assez des devinettes ! Ce fut également l’année qui vit les États-Unis donner à Israël carte blanche pour agir comme bon lui semblerait – et peut-être plus encore que toute autre année. Les manifestations les plus houleuses ont été celles des gens d’origine éthiopienne, et les parents des « sardines » (les enfants des classes surpeuplées) ont également fait entendre leurs voix. Telle fut la limite supérieure des protestations en Israël même.

Les élections de mars ont donné le gouvernement le plus à droite de l’histoire et une Knesset la plus nationaliste de tous les temps et qui légifère en ce sens. Ce fut une année absolument libérée du moindre semblant de honte. Il n’est plus nécessaire d’expliquer pourquoi les organisations de gauche doivent être ultra-transparentes, au contraire des groupes d’extrême droite; ni pourquoi, en des temps où seule la droite est violente, c’est la gauche qui se fait taxer de trahison.

Ce fut l’année qui annonça le début d’un fascisme israélien désormais dénué du moindre faux semblant. On ne pouvait pas en dire autant auparavant. Mais, un an après l’opération Bordure protectrice, une année au cours de laquelle les citoyens ont eu peur de protester, le fruit a mûri. La bataille pour le régime a été abandonnée sans même combattre. L’affaire bat toujours son plein, mais les résultats sont connus ; il ne reste plus personne pour arrêter la descente.

Les Israéliens ont été préoccupés par un tas de choses, cette année, depuis l’affaire des bouteilles cautionnées mettant en cause Sara Netanyahou, jusqu’au suicide de l’ancien officier supérieur de la police, Ephraim Bracha.

Des trente articles les plus lus sur le site Internet de Haaretz en hébreu, pas un seul n’avait trait à l’occupation ou aux fissures dans la démocratie israélienne. C’est autre chose que la belle histoire récente du garçonnet juif qui s’en était pris à une conductrice de bus arabe (« T’as un couteau ? ») ; pour finir, le gamin lui avait fait un gros câlin : un véritable dénouement hollywoodien !

Bel épilogue pour une sale année. Et la prochaine s’annonce encore pire…

Gideon Levy

Publié le 31 décembre 2015 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal

Israël a toujours été xénophobe, mais jadis savait mieux le dissimuler [Gideon Levy]

Longtemps avant que Benjamin Netanyahou soit Premier ministre et que Ayalet Shaked soit Ministre de la Justice, il n’y avait pas de réelle démocratie en Israël. Il y avait beaucoup de haine des Arabes, mais tout était dissimulé, contrairement à aujourd’hui. Finalement, qu’est-ce qui vaut le mieux ?

C’est ainsi que nous étions, bien avant que Naftali Bennet soit ministre de l’Éducation : des enfants de nationalistes, enfermés, tout à fait ignorants – nous ne le savions tout simplement pas. C’est ainsi que les choses allaient durant des merveilleuses années où les ministres de l’Éducation étaient de gauche – des années qu’il est de bon ton de regretter.

Le lavage de cerveaux, la censure et l’endoctrinement étaient bien pires alors que ce qu’ils sont aujourd’hui, seulement ils rencontraient beaucoup moins de résistance. Nous pensions que tout allait bien avec notre système d’éducation. Le vendredi, nous devions porter du bleu et du blanc, les couleurs nationales; nous donnions de l’argent au Fonds National Juif (Keren Kayemet LeIsrael) [1], pour qu’il puisse planter des forêts destinées à recouvrir les ruines des villages arabes qu’ils ne voulaient pas que nous puissions voir.

A une époque où l’écrivaine Dorit Rabinyan [2] n’était même pas née, nous n’avions jamais rencontré un Arabe. Ils vivaient sous la loi militaire [3] et ils n’étaient pas autorisés à nous approcher sans autorisation. Une histoire d’amour entre une Juive et un Arabe n’aurait même pas été envisageable dans une histoire de science fiction, dans une galaxie lointaine, très loin de là où nous grandissions.Les Druzes étaient légèrement plus acceptables : ils servaient dans l’armée. Je me souviens du premier Druze que j’ai rencontré, c’était en 11ème année [4].

Nous n’avions jamais entendu parler de Nakba [5] non plus, le mot palestinien pour désigner la formation de l’État d’Israël. Nous voyions les ruines de maisons – et nous ne voyions rien. Longtemps avant le “mariage de la haine” [6], dans notre feu de camp de Lag Ba’omer [7] nous brûlions des effigies du Président égyptien Gamal Abdel Nasser – nous l’appelions “le tyran égyptien”. Dans les écoles non confessionnelles de Tel Aviv, nous embrassions les Bibles, si – Dieu nous en garde ! – elles tombaient sur le sol. Nous portions des kippas durant les leçons d’études bibliques, c’était bien avant la création des “centres pour l’approfondissement de l’identité juive”. Nous entendions à peine parler du Nouveau Testament. Personne n’aurait imaginé l’étudier à l’école : il était considéré comme presque aussi dangereux que “Mein Kampf” [8].

Beaucoup d’entre nous crachaient en passant devant la porte d’une église. Peu d’entre nous osaient s’aventurer à l’intérieur, et si nous le faisions nous nous en sentions extrêmement coupables. Faire le signe de la croix, même en plaisantant, était considéré comme un acte suicidaire. Pour nous, les chrétiens étaient “idolâtres”, et les idolâtres, d’après ce que nous savions, était ce qu’il y a de plus bas.

Nous savions qu’il y avait une “mission” à Jaffa, dont nous devions nous tenir à l’écart comme du feu. Un enfant qui s’y rendait pour étudier était considéré comme perdu. La première génération de l’indépendance [d’Israël] savait que tous les chrétiens étaient antisémites. Nous savions, bien entendu, que nous étions le peuple élu, et tout était dit. C’est ce que nous inculquait le système d’éducation éclairé de l’État naissant.

L’assimilation était considérée comme le plus grand des péchés — plus grave encore que de quitter le pays pour aller vivre ailleurs. La rumeur disant que l’oncle d’un des enfants avait épousé une non-juive était un déshonneur qu’il fallait garder secret. La signification effrayante du concept morbide d’«assimilation» ne nous effleurait même pas. Nous grandissions dans une société unifiée, racialement pure, dans ce petit Tel Aviv : sans étrangers, sans Arabes, presque sans Juifs originaires du Moyen Orient.
Jaffa [9] était le bout du monde, et personne ne pensait y aller : c’était dangereux.

Ils nous ont appris à penser de manière uniforme, et à nous méfier de toute déviation. La discussion la plus subversive dont je me rappelle, à cette époque, était de savoir si les Juifs étaient “allés à l’abattoir comme des moutons”.

Un jour, je me suis arrêté près d’une petite manifestation de l’organisation de gauche Matzpen, sur les marches du siège de l’association des journalistes, afin de parler avec N., qui était dans ma classe à l’école. Le lendemain, à l’école, j’ai été convoqué d’urgence au bureau du Principal : il brandit une photo de moi à cette manif qui lui avait été transmise par le Shin Bet [10], et exigea des explications. C’était bien avant la “loi sur les ONG” [11] et la “loi sur le boycott” [12].

Bien avant le Premier ministre Benjamin Netanyahou, la Ministre de la Justice Ayelet Shaked et l’interdiction du roman “Borderlife” de Dorit Rabinyan [2], il n’y avait pas ici de réelle démocratie. Bien avant l’anti-assimilationniste Bentzi Gopstein [13] et l’activiste d’extrême-droite Itamar Ben-Gvir [14], il y avait de la xénophobie et beaucoup de haine des Arabes. Mais tout était caché, enveloppé dans le bruyant cellophane des excuses, enterré profondément sous terre.

Qu’est-ce que vaut le mieux ? La question reste ouverte.


[1] le Fonds national juif  est connu du grand public comme étant une organisation caritative,  environnementale ou d’utilité publique, ce qui lui vaut de jouir en général d’une excellente réputation. Peu savent que c’est en réalité un organisme para-étatique dont la mission est avant tout politique: agent historique de colonisation de la Palestine, le FNJ a joué et joue encore un rôle déterminant dans la forme que prend la politique foncière – discriminatoire – israélienne. Le FNJ excelle dans le « greenwashing »: arbres plantés, parcs récréatifs et centres touristiques sont autant d’outils qui lui servent à « blanchir » par l’écologie les activités coloniales dans lesquelles il est impliqué. Voir ce dossier sur le site de l’Association Belgo-Palestinienne. – NDLR
[2] Dorit Rabinyan est l’auteure d’un roman que le Ministre de l’éducation israélien a interdit d’utiliser dans les cours de littérature dans les écoles israéliennes, car il narre une histoire d’amour entre une juive israélienne et un Palestinien, et à ce titre constitue selon lui “une menace pour l’identité juive”. – NDLR
[3] Au cours de la guerre de 1948 les autorités civiles israéliennes ont délé­gué leurs pouvoirs à l’armée dans toutes les “régions stratégiques” contiguës aux frontières des pays voisins à prédominance arabe. Il en a été de même dans toutes les agglomérations caractérisées par une forte concentration d’arabes. L’administration militaire s’y est laissée guider par le principe que les arabes en territoire israélien, que des liens familiaux rattachaient fréquemment aux réfugiés instal­lés en «territoire ennemi» étaient une cinquième colonne en puissance. Après la fin des hostilités, le régime a été perpétué “pour des raisons de sécurité” (motivation universelle qui depuis 70 ans bientôt sert d’explication définitive à toutes les violations des droits humains des Palestiniens). A partir de 1951, comme on l’a vu, le système a été aboli en faveur des arabes résidant dans les ré­gions à forte densité juive, telle que les agglomérations de Tel­ Aviv – Jaffa, Haïfa, Lydda et Ramlè. De sorte que vers de 1956 160.000 à 180.000 des 200.000 arabes israéliens subissaient encore toutes les rigueurs de l’administration mili­taire.  L’administration militaire est habituellement justifiée par une série de considérations qui se ramènent toutes en dernière analyse à la sécurité de l’État d’Israël. En fait, ces explications recouvrent souvent des intérêts politiques et écono­mi­ques bien précis.  Voir à ce propos dans l’excellent ouvrage (quoique répudié par l’auteur, devenu sur le tard sioniste) de Nathan Weinstock «Le sionisme contre Israël» (Ed. Maspéro – 1969) le chapitre «Le sort de la minorité arabe» et particulièrement les pages 394 et suiv. auxquelles l’essentiel des lignes qui précèdent est emprunté. – NDLR
[4] vers 17 ans – NDLR
[5] le mot arabe “nakba” désigne littéralement un désastre naturel (tremblement de terre, éruption volcanique,…) mais dans le cas des Palestiniens de 1948 il s’agit de l’exode de centaines de milliers de personnes chassées de chez elles par la force armée. Voir par exemple cet article. – NDLR
[6] référence à un mariage juif au cours duquel des colons extrémistes ont célébré avec exubérance (et des armes) la mort des Palestiniens, et particulièrement d’un bébé, dont la maison a été incendiée dans le village de Duma. Voir par exemple cet article. – NDLR
[7] Lag Ba’omer : fête juive d’institution rabbinique, donnant lieu à des feux de joie et, pour certains, à des pèlerinages sur les tombes des “justes”. Voir Wikipédia. – NDLR
[8] “Mein Kampf” : (en français : “Mon combat” ) est un livre rédigé par Adolf Hitler entre 1924 et 1925. Tombé dans le domaine public en 2016, il est sur le point d’être réédité. – NDLR
[9] Jaffa, anciennement ville arabe, après l’exode de sa population, a été fusionnée en 1950 avec Tel Aviv, dont elle constitue maintenant la partie ancienne, au sud. Jaffa, dont l’existence est attestée depuis plus de 3.500 ans est un des plus vieux ports de la Méditerranée.

[10] Shin Bet : service de sécurité intérieure, aussi connu sous le nom de Shabak. – NDLR
[11] “loi sur les ONG” : loi récemment adoptée qui oblige les représentants des ONG qui reçoivent des fonds de l’étranger à arborer un badge spécial pour se rendre au Parlement israélien. Cette loi vise essentiellement les ONG réputées “de gauche” (classification discutable, comme on peut le lire ICI), celle qui sont classées à droite tirant quant à elles leurs ressources (abondantes) de dons d’entreprises israéliennes (y compris des entreprises publiques). Voir par exemple cet article. – NDLR
[12] loi sur le boycott : il y a en fait plusieurs lois israéliennes concernant le boycott. La première interdit le boycott des produits israéliens, et comporte essentiellement des sanctions civiles (les entreprises qui auraient été lésées par un appel au boycott peut réclamer des compensations sans avoir à apporter la preuve de leur dommage). Une autre, en projet, vise à interdire l’accès au territoire à toute personne ayant appelé au boycott des produits des colonies. – NDLR
[13] Gopstein a récemment réclamé l’interdiction de la célébration de Noël en Israël, et traité les chrétiens de “vampires qui sucent notre sang”. Voir ICI
[14] porte-parole de l’organisation d’extrême-droite “Front National Juif”, ancien activiste du Kach, la branche la plus à droite du nationalisme israélien. – NDLR

Cet article a été publié par Haaretz le 3 janvier 2016 sous le titre : «Israel Has Always Been Xenophobic, It Just Used to Be Better at Hiding It»
Traduction : Luc Delval

Gideon Levy est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du journal Haaretz.
Il a rejoint 
Haaretz en 1982 et a passé quatre ans comme vice-rédacteur en chef du journal. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Il est l’auteur du livre The Punishment of Gaza, qui a été traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009

Source

Commentaires
Derniers commentaires
Recevez nos infos gratuites
Visiteurs
Depuis la création 866 143
Archives