FREE PALESTINE
16 mars 2008

C’est comme ça qu’Israël exporte de l’eau vers la Suisse

C’est comme ça qu’Israël exporte de l’eau vers la Suisse

Amira Hass

Haaretz, 6 mars 2008

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=961144

Version anglaise : Water, water everywhere (amputée de la dernière section) - www.haaretz.com/hasen/spages/961667.html

Israël n’est pas une terre aride, affirme Clemens Messerschmidt, un hydrogéologue allemand qui fait un sort à plusieurs mythes et agace Israéliens et Palestiniens aussi bien. A Jérusalem, tombent davantage de précipitations qu’à Berlin, et à Ramallah plus qu’à Paris. Le problème, c‘est le gaspillage. Par exemple, lorsqu’on utilise l’eau pour cultiver des fleurs qu’on exporte vers l’Europe.

Les amis de Ramallah et de Jérusalem ont parfaitement intériorisé le message véhiculé par ses regards terribles quand il les prenait à laver la vaisselle sous le robinet ouvert sans arrêt. Même s’il n’est pas dans les parages, ils fermeront le robinet en l’honneur de Clemens Messerschmidt, cet hydrogéologue de 43 ans, originaire d’Allemagne. Messerschmidt confirme d’un sourire la description qui est faite, mais ce pays, dit-il, est loin d’être cette terre qu’on a l’habitude de tenir pour aride, pauvre en ressources d’eau. A Berlin et Paris, par exemple, la quantité annuelle de précipitations est plus faible qu’à Jérusalem et Ramallah. Respectivement : 550 mm à Berlin contre 564 mm à Jérusalem, d’après une moyenne examinée sur 150 ans (selon le service météorologique : 554 mm). A Paris, 630 mm et à Ramallah, la moyenne annuelle a été, pour les années 1975-2004, de 689,6 mm.

L’affirmation que ce pays – dans les frontières du Mandat, de la mer jusqu’au fleuve – n’est pas du tout aride est commune à deux listes séparées mais concordantes établies par Messerschmidt : l’une détaille les idées fausses palestiniennes en ce qui concerne la politique israélienne de l’eau et l’autre, les mythes israéliens de l’eau. Quand les Palestiniens sont persuadés qu’il n’y a pas assez d’eau dans le pays, c’est une idée fausse. Quand les Israéliens déclarent cela, c’est un mythe qui sert un objectif : le maintien du partage inéquitable de la ressource en eau, au détriment des Palestiniens.

Lorsqu’il est venu pour la première fois dans le pays, il y a 11 ans, Messerschmidt tenait lui aussi pour vrais quelques-uns de ces mythes et de ces idées fausses. Le travail de terrain et la recherche, dit-il, ont commencé à remettre de l’ordre dans sa tête. Durant quatre ans, il a collaboré au creusement de puits, comme employé d’une organisation allemande de coopération technique (GTZ) qui met en œuvre des projets avec la municipalité de Naplouse et la compagnie des eaux de Ramallah. Ensuite, pendant quatre ans, il a travaillé à une recherche appliquée sur un projet anglo-palestinien appelé « gestion durable des aquifères ». Maintenant, à côté de son travail pour un doctorat (dont le sujet est le « Remplissage du bassin Yarkon-Taninim », l’aquifère du mont occidental), il fait fonction de conseiller des organisations européennes et palestiniennes de développement. La semaine passée, par exemple, il s’est rendu sur le terrain où doit s’établir le principal site de dépôt d’immondices du district de Ramallah, pour faire une évaluation de la situation hydrogéologique, dans le but d’éviter toute atteinte aux eaux en sous-sol.

« Personne ne dit qu’Israël/Palestine est riche en eau. Mais ce n’est pas un désert comme la Jordanie », explique Messerschmidt. « Et s’il y a des endroits au Proche-Orient qui ont assez d’eau, ce sont le Liban, la Galilée, la Cisjordanie et des parties du Yémen. Les principales zones habitées ici relèvent du climat sub-humide – c’est le cas du nord et de la zone côtière centrale, en particulier les collines de Cisjordanie. Les zones sèches du sud sont de toute façon moins peuplées. »

- Qu’est-ce qu’ « assez d’eau » ?

« Il ne suffit pas de parler de quantité de précipitations mais de leur mise en réserve. Dans ce pays, il y a une eau excellente sous nos pieds, grâce à trois facteurs de remplissage rapide de l’aquifère de la montagne : une pluie concentrée sur la période de l’hiver où l’évaporation est faible, une roche karstique et une couche de terre mince. La roche karstique est une roche soluble qui permet aux pluies de percoler rapidement en profondeur et de trouver place non pas dans de petites dépressions mais dans des fissures, des fractures et même des grottes, hors d’atteinte des racines des arbres et des plantes. On a facilement l’impression, durant l’été, quand on voit, en Cisjordanie et en Galilée, les flancs occidentaux de la montagne, rocheux et dénudés, que la région est aride. Mais ici, c’est précisément un signe inversé, qui nous apprend que sous cette apparence, il y a beaucoup d’eau. »

Parier sur l’eau

A partir du mythe d’une terre sans eau, s’est développé un second mythe israélien, dit Messerschmidt : celui des sécheresses fréquentes et des crises de l’eau, régulières et inévitables. Il y a effectivement des fluctuations dans les quantités de précipitations, il y a des hivers secs et des hivers pluvieux, mais « la crise de l’eau qui apparaît ici de façon périodique, tous les cinq ou dix ans, est virtuelle, elle est due à l’homme. Israël s’autorise un gaspillage énorme de l’eau et des ressources en eau, principalement pour l’agriculture. Israël emploie, comme on sait, plus de 60% de son eau dans l’agriculture qui participe pour environ 2% au produit intérieur brut – soit l’équivalent du coût de trois jours de grèves pour l’économie. En Israël, l’agriculture est importante du point de vue de la préservation de l’ethos national, mais elle ne prend pas en considération les conditions véritables de l’économie de l’eau. »

Pour la consommation domestique également, y compris celle des écoles, des hôpitaux et des municipalités, Israël gaspille beaucoup, dit Messerschmidt : « Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, chaque individu a besoin de 100 litres d’eau par jour – une eau propre, sûre et accessible. En Israël, la consommation moyenne par jour et par personne se situe entre 240 et 280 litres (une centaine de m³ par personne et par an, d’après le plan directeur du commissariat à l’eau pour le développement de l’économie de l’eau pour les années 2002 à 2010). En Allemagne, elle est de 136 litres par jour. Il y a vingt ans, elle était de 145. Autrement dit, en Allemagne, les gens ont appris à économiser l’eau, en ayant à l’esprit les générations futures. En Israël, c’est le contraire. On prend toujours pour objectif une augmentation des quantités. On parle de sécheresse, mais on arrose les pelouses des villes. »

Durant des années, Messerschmidt a accepté un mythe israélien largement répandu jusque dans la « communauté de l’eau » – comme il surnomme ses confrères – à l’étranger, le mythe d’une procédure développée et rationnelle de l’économie israélienne de l’eau. Mais il a changé d’avis quand il a commencé à comprendre comment, après chaque hiver sec, le pompage dans les puits augmentait afin de maintenir les niveaux élevés de gaspillage de l’eau dans l’agriculture. « Le style de la gestion israélienne de l’économie de l’eau est celui du parieur. On mise toujours sur l’hiver à venir, sur le fait qu’il sera pluvieux. »

En 1998, dit Messerschmidt, l’agriculture israélienne a eu besoin de 860 millions de m³ d’eau douce, sur 1 266 millions de m³. L’objectif du plan directeur est de ne pas descendre sous les 530 millions de m³ d’eau douce (sur 1 122) – ce qui représente encore plus du double de la consommation globale des Palestiniens. En outre, dit-il, Israël n’utilise pas les meilleures méthodes permettant d’économiser l’eau : on trouve aujourd’hui encore, dans le Golan et la Vallée du Jourdain, des systèmes d’arrosage fonctionnant en été, au beau milieu de la journée, quand le taux d’évaporation est de 90% ; dans la plaine côtière, on utilise, certes, des eaux usées traitées, mais à l’aide d’arroseurs ; le faible coût de l’eau pour l’agriculture encourage le gaspillage ; de grandes quantités d’eaux d’égouts et de déchets industriels sont encore déversés dans la mer, ce qui fait d’Israël un des plus grand pollueur de la mer Méditerranée. Israël se vante de ses installations d’épuration des eaux d’égouts mais il est à la traîne derrière les pays occidentaux. Jérusalem-Ouest ne bénéficie d’une installation d’épuration moderne que depuis mars 2001. A Jérusalem-Est, il n’y a tout simplement pas d’installation.

Messerschmidt n’est pas seul : des conclusions semblables aux siennes, sur la gestion de l’économie de l’eau, il en a trouvé dans le rapport de la commission parlementaire de l’eau, dirigée par le député David Magen, rapport présenté au Parlement en juin 2002, et qu’il pourrait presque citer par cœur : « La multiplication des autorités chargées de s’occuper de la question de l’eau, sans qu’il y ait partage clair des attributions et des pouvoirs… et souvent, des divergences d’opinion fondamentales… donnant naissance à des conflits d’intérêt ; bien que depuis les années 60, divers rapports du Contrôleur de l’Etat aient mis en garde sur les manquements et l’esprit de courte vue de la gestion de l’économie de l’eau, on n’en a tiré ni les conclusions ni les leçons… L’échec retentissant est essentiellement dû à l’homme. »

D’un côté, dit Messerschmidt, le rapport détaillé confirme ce qu’on dit à propos d’Israël : une démocratie où la critique interne s’exprime ouvertement et courageusement. Mais ce n’est vrai que tant qu’on ne touche pas à la suprématie des valeurs sionistes. Parce que cette même commission parlementaire repoussait, dans le même souffle, la plainte que l’agriculture était « gaspilleuse » : « Aux yeux de la commission, l’agriculture a une valeur politico-stratégico-sioniste au-delà de sa contribution économique », peut-on lire dans le rapport. Et c’est comme ça, se plaint Messerschmidt, qu’elle écarte la mesure urgente et essentielle à une solution. Le résultat, c’est qu’Israël, où on se plaint d’une crise de l’eau, exporte non seulement des produits agricoles, mais aussi de l’eau. Avec ses fleurs, il exporte de l’eau vers la Suisse et la Hollande.

Où est le désert qu’on a fait fleurir ?

A partir de là, le chemin est court qui mène au quatrième mythe, celui du « désert qu’on a fait fleurir ». Messerschmidt convient que c’est là un mythe qui n’est déjà plus si répandu en Israël. « Israël s’adapte au discours mondial sur les questions liées à l’eau qui, après l’enthousiasme de la révolution "bleue", hydrologique, de l’introduction de pompes, du développement de l’accessibilité aux eaux souterraines et de l’annulation de la dépendance à l’égard des pluies, est passé à un débat sur l’excès de pompage et sur la pollution. » Pourtant, le mythe subsiste et se donne à entendre à des fins idéologiques. A l’étranger, témoigne Messerschmidt, il y en a qui y croient – y compris dans la communauté de l’eau.

Et les faits ? « La majeure partie de l’espace cultivé, en Israël, était cultivée bien avant 48, par des Palestiniens. C’est vrai que c’était une agriculture beaucoup moins intensive ; on commençait seulement à creuser des puits à l’époque – si les Britanniques en donnaient l’autorisation. Mais les Palestiniens exploitaient la moindre parcelle de terre qu’ils pouvaient et perpétuaient la technique ancienne de la culture en terrasse, respectueuse de l’environnement et qui constitue un facteur important pour assurer la reconstitution des réserves d’eaux souterraines et parer aux inondations. Les territoires sur lesquels Israël a étendu l’exploitation agricole et qui n’étaient pas cultivés avant 48, sont marginaux : ils s’étendent sur un espace entre Kiryat Gat et Beer Sheva, de la ligne des 450 mm de pluie par an à celle des 250 mm.

« Des délégations d’étudiants et de professeurs viennent d’Europe en Israël, et on les emmène à Sde Boker, comme illustration d’une ferme ultramoderne. Ils s’en retournent impressionnés par la manière dont Israël fait pousser des cactus et des cultures spéciales en accord avec les conditions de lieu et d’eau. Mais c’est l’exception : le style répandu en Israël n’est ni économe ni d’avant-garde, mais gaspilleur et sans considération pour l’environnement. Leur voyage se poursuit par la visite du kibboutz Yotvata, noyé dans la végétation, et ils se retrouvent impressionnés par ce désert que l’on a fait verdoyer. C’est un exemple caractéristique du gaspillage de l’eau, mais si on prend en considération la localisation géographique, c’est aussi l’exception qui confirme la règle : le Néguev, dans sa toute grande majorité, reste ce qu’il est. »

Le mythe du désert qu’on a fait fleurir – comme mythe colonial éculé qui présente la terre comme étant dépourvue de valeur pour la population locale, jusqu’à ce qu’arrive l’homme blanc et qu’il « la « sauve » – agace particulièrement Messerschmidt, parce que ce mythe a continué à se métamorphoser en un autre, le cinquième de sa liste : du point de vue de l’économie de l’eau, « les Palestiniens n’existent pas », dit-il. « Toutes les grandes réalisations israéliennes dans l’économie de l’eau et le développement de l’agriculture sont, dans le discours israélien, totalement coupées du fait tout simple qu’elles sont fondées sur une terre et une eau qui ont été prises aux Palestiniens en 1948 et qui étaient utilisées par les Palestiniens. Et il en est ainsi aujourd’hui encore : pour qu’Israël puisse consommer l’eau qu’il consomme, il lui faut l’ôter à ses voisins et au peuple qu’il occupe : Golan, Liban, Jordanie et Territoires occupés. Israël exploite l’eau du Golan, la Jordanie sort perdante de l’accord sur l’usage des eaux du Yarmouk, le Liban n’a pas été autorisé à utiliser des quantités raisonnables des eaux du Hatzbani. »

- Mais même en Allemagne, 60% seulement des sources d’approvisionnement en eau dérivent des précipitations à l’intérieur de son territoire, le reste venant d’en dehors de ses frontières. Quelle est alors la différence ?

« Partout où Israël se trouve sur le cours d’une rivière, il emploie la force militaire pour s’assurer que la plus grande partie des quantités d’eau coulant dans cette rivière parviendra en Israël. Israël occupe le Golan, fait peser la menace de guerres et, en Cisjordanie, il recourt à des décrets militaires pour interdire le creusement de puits. Il ne s’agit pas ici de coopération : il s’agit d’imposer un partage inégal. Imaginez la Hollande qui contraindrait l’Allemagne à ne pas utiliser les eaux du Rhin. »

Si, dans le discours israélien, l’eau d’Israël même est déconnectée du passé d’une présence palestinienne et d’une agriculture palestinienne, par ailleurs, quand il s’agit de l’eau en Cisjordanie, Israël se comporte aujourd’hui encore comme s’il n’y avait pas de Palestiniens, déclare Messerschmidt. « Le fait le plus fort, c’est que depuis 67, le nombre de puits qui ont été creusés dans l’aquifère occidental, pour les besoins des Palestiniens, est de zéro. » Israël a, de cette manière, stoppé le processus de développement de l’accès aux eaux souterraines et au creusement de puits que la Jordanie avait lancé, là, à la veille de la guerre de 67. Par la suite, Israël a forgé le mantra du « statu quo de sa consommation » qui a pérennisé le partage inéquitable de l’eau entre les Israéliens et les Palestiniens, et que les accord d’Oslo préservent quasi intégralement.

Contrairement à Israël, les Palestiniens de Cisjordanie ne disposent pas d’autres sources : « Le Jourdain est un fleuve au passé, un mythe de fleuve » – il n’en reste rien depuis qu’Israël pompe et pompe dans le lac de Tibériade. Les accords d’Oslo reconnaissaient le besoin des Palestiniens d’un supplément d’eau (entre 70 et 80 millions de m³ par an), qui pour partie serait vendu par Israël et pour le reste, serait obtenu par un développement palestinien de sources d’eau convenues entre les deux parties. Jusqu’à présent, il s’est agi de l’aquifère de la montagne est. Aujourd’hui, 13 ans après l’accord d’Oslo II, le développement de puits dans cet aquifère, moins abondant qu’on ne l’avait évalué initialement, ne produit que les quantités insuffisantes de 12,3 millions de m³, environ. Et il est toujours interdit aux Palestiniens de creuser des puits pour atteindre les eaux de l’aquifère de la montagne ouest.

Les puits de l’autre côté de la clôture

Un seul fait tout simple lie les cinq mythes israéliens et les quatre conceptions erronées palestiniennes : alors que les Israéliens consomment en moyenne 240-280 litres d’eau par jour et par personne, les Palestiniens de Cisjordanie en consomment 60 litres – et ceci comprend l’eau perdue dans les canalisations et l’eau qui va à l’industrie. Il y a des endroits où la consommation est plus élevée, comme à Ramallah – 92 litres par personne. Mais dans la région d’Hébron, l‘approvisionnement permet une moyenne de 15 litres par personne et par jour. « A Dahariya, par exemple », raconte Messerschmidt, « tous ceux que j’ai interrogés en novembre 2007 se souvenaient du 16 juillet comme étant le dernier jour où ils avaient pu prendre de l’eau aux robinets ». C’est pourquoi Messerschmidt n’est pas surpris de rencontrer des Palestiniens qui tombent dans le piège du mythe israélien d’une terre qui n’aurait pas assez d’eau. Mais chez eux, il s’agit d’une « idée fausse », la première des quatre qu’il énumère.

La conviction erronée qu’« il n’y a pas assez d’eau » explique la seconde idée fausse palestinienne : de l’avis de beaucoup, dit Messerschmidt, y compris parmi ceux qui militent contre le mur de séparation et chez une partie de la « communauté palestinienne de l’eau », le tracé du mur de séparation est établi pour s’approprier ou voler des puits palestiniens. Cette affirmation n’est pas juste, dit-il. « Les puits palestiniens situés de l’autre côté de la clôture de séparation et dans la zone de sécurité à l’est de celle-ci, produisent 12 millions de m³ par an, soit plus de la moitié de ce que les Palestiniens ont le droit de pomper dans l’aquifère occidental selon les accords d’Oslo (21,9 millions de m³ par an, au total). Ces puits ont été creusés avant 67. Il y en a qui ont été démoli pour la construction de la clôture, il y en a dont l’accès est problématique. Il y a des villages qui ont, aujourd’hui, accès à leur puits et à l’eau mais, dans la mesure où tout est arbitraire et change fréquemment, peut-être demain n’y accèderont-ils plus. Mais aujourd’hui, la majorité des puits continuent de fournir de l’eau. »

De ce même aquifère occidental – qui est la plus riche des trois ressources en eau communes aux Israéliens et aux Palestiniens – les accords d’Oslo permettent à Israël de pomper 340 millions de m³ par an. Mais en réalité, Israël utilise 388 millions de m³. En l’an 2000, la production israélienne à partir de ce même aquifère a atteint 580 millions de m³, soit 240 millions de m³ de plus que ce qui a été fixé à Oslo. La quantité globale d’eau qu’Israël consomme à partir de toutes les ressources dont il dispose, est d’environ 2 100 millions de m³ par an. Et ceci, face aux Palestiniens de Cisjordanie, qui s’étaient vu allouer environ 190 millions de m³ par an, dont 42 à 50 millions m³ achetés à la [compagnie nationale israélienne des eaux] Mekorot.

Que sont alors 12 millions de m³ ? Beaucoup pour les Palestiniens, rien pour les Israéliens. « En quoi Israël aurait-il besoin de ces misérables puits ? », demande Messerschmidt, d’une manière rhétorique. « Les puits qu’Israël a creusé à l’ouest de la Ligne Verte afin d’atteindre les eaux de l’aquifère occidental de la montagne sont bien meilleurs pour le pompage, plus productifs, meilleur marché et plus efficaces que les puits palestiniens dans le même aquifère. L’eau y est à une forte pression et arrive presque sous la surface ou jusqu’à la surface. C’est pour cette raison qu’Israël n’a pas creusé plus de trois puits pour l’usage israélien, à l’ouest de la Cisjordanie. »

Cette erreur recèle néanmoins une vérité : Israël, déclare Messerschmidt, travaille effectivement à déposséder les Palestiniens de cette source d’eau. Le territoire situé entre le tracé du Mur et la Ligne Verte est la seule zone présentant un potentiel de creusements productifs dans l’aquifère occidental. Depuis 67, des ordres militaires et la présence militaire israélienne interdisent l’exploitation de ce potentiel. Le Mur, qui annexe de facto ce territoire à Israël, et dont le tracé a été fixé dans l’idée d’une future frontière, sape d’avance la possibilité que les Palestiniens exploite ce potentiel essentiel afin d’accroître leur accès indépendant à l’eau et un partage équitable des eaux de cet aquifère commun.

- Mais alors, il s’agit d’une formulation erronée du côté des Palestiniens, et pas d’une idée fausse ?

« C’est plus qu’une formulation erronée. Il y a une différence entre dire que les Israéliens ont démoli une maison et dire qu’ils ont pris une terre pour qu’on n’y construise pas de maison. Israël n’est même pas intéressé par l’idée de creuser à cet endroit, dans cette zone. Quand des négociations seront menées, si des négociations sont jamais menées, il importera de savoir la différence entre affirmer qu’on est en train de voler de l’eau maintenant et analyser qu’Israël empêche un développement palestinien d’une ressource commune en eau qui est la principale pour les Palestiniens et qui n’est pas la seule pour les Israéliens. Quelle guigne pour les Palestiniens, que pour cette ressource-là, sa réalimentation se concentre en Cisjordanie mais que la production et le flux se font en territoire israélien. La suprématie politique et militaire d’Israël lui permet de s’attribuer la part du lion de cet aquifère. »

De l’eau pour les colonies

Une autre idée fausse est liée à la consommation d’eau des colonies. Une allégation palestinienne courante est que « les colons volent toute l’eau ». Cela non plus n’est pas juste, dit Messerschmidt. Quand il tient ce propos devant un public palestinien, un murmure d’insatisfaction circule parmi celui-ci, mais Messerschmidt demande à ses auditeurs de s’en tenir aux faits : « La population de colons, bien qu’elle ait fortement augmenté depuis Oslo, reste relativement faible du point de vue de la consommation d’eau. La majorité des colonies ne reçoit pas de l’eau des puits de Cisjordanie ».

Messerschmidt pense que les chiffres d’une consommation excessive d’eau dans les colonies (en tenant compte des piscines de natation) sont également exagérés. Il est possible que dans certaines colonies, on détourne l’eau allouée à la consommation domestique vers la consommation agricole – en particulier dans la Vallée du Jourdain, dit-il. Mais dans beaucoup d’autres colonies, les gens ne mènent pas un niveau de vie particulièrement élevé, et en particulier dans les colonies citadines où la consommation est normale.

Le seul endroit où l’affirmation que « les colonies volent l’eau des Palestiniens » est vraie, c’est la Vallée du Jourdain. La nappe d’eau orientale est presque exclusivement alimentée par les eaux de pluie tombant sur les territoires de la Cisjordanie. Seule une petite quantité d’eau s’infiltre vers cette nappe, du côté israélien de la Ligne Verte, dans la région de Ein Gedi et dans le nord de la Vallée. Or justement, Israël a creusé au fil des ans, dans la Vallée du Jourdain, de nombreux puits pour l’utilisation israélienne – ce qui est contraire au droit international. Israël puise en Cisjordanie 44,1 millions de m³ par an. Sur ce volume, 33,9 millions de m³ sont pompés dans la Vallée du Jourdain, la partie la plus productive de l’aquifère oriental. Mais ces quantités ne sont encore rien à côté des eaux de l’aquifère commun auquel Israël interdit l’accès aux Palestiniens.

Une autre idée fausse palestinienne concerne l’eau qu’Israël leur vend, via la compagnie Mekorot. Selon une affirmation répandue, elle aussi erronée, Israël tirerait profit de la vente d’eau aux Palestiniens. Israël vend effectivement de l’eau au Palestinien, mais au même prix que celui perçu en Israël auprès des municipalités et des conseils locaux : 2,294 shekels le m³ [0,42 € le m³] (dans 1 m³, il y a 1 000 litres). Ce qui est vrai, c’est que du fait du partage inéquitable des ressources en eau entre Israéliens et Palestiniens, et du fait qu’environ 40% des villages de Cisjordanie (rassemblant environ un cinquième de la population palestinienne de Cisjordanie) ne sont pas reliés au réseau de distribution de l’eau, des Palestiniens comblent le manque en achetant de l’eau par camions-citernes. L’eau est alors plus chère, et elle a même été rendue encore plus chère du fait des checkpoints et autres barrages qui interdisent les routes principales au trafic palestinien (dans la Bande de Gaza –dont il ne peut être traité convenablement dans le cadre de cet article – tout le monde est obligé de consommer une eau traitée et chère, à cause d’un excès de pompage chronique et de la pollution des eaux en sous-sol). « De là une situation que l’on connaît aussi dans d’autres pays », dit Messerschmidt : « Les pauvres paient l’eau beaucoup plus cher, mais cet argent va à l’essence, au chauffeur et au temps perdu, pas à Israël ».

- Et pas de solution ?

« Si, bien sûr : un partage équitable de l’eau et un changement des modes de consommation israéliens. En Israël, on ne se lasse pas de recommander la désalinisation comme unique planche de salut, mais c’est une manière d’éviter le débat sur la discrimination et sur le gaspillage. Il s’agit d’une eau très chère et il a déjà été démontré que cela renforçait la tendance au gaspillage dans l’agriculture. En tant qu’hydrogéologue, je vois dans la désalinisation – ici, comme partout ailleurs dans le monde – une absurdité outrageante : il est insensé d’employer des ressources non renouvelables créées il y a des millions d’années, pour produire l’élément le plus changeant de l’univers : l’eau. Il est insensé d’employer une ressource non renouvelable et chère, d’un point de vue écologique, comme le charbon, le pétrole ou le gaz, enfouie dans le sol depuis des centaines de millions d’années, pour produire une ressource en situation de mobilité permanente : pluie, infiltration, eau de sous-sol, sources, évaporation, pluies et ainsi de suite, une ressource en mouvement permanent, une ressource qui est l’essence du renouvellement. »

L’Autorité gouvernementale de l’Eau repousse la critique et accuse les voisins arabes

Ouri Chour, porte-parole de l’Autorité de l’Eau : Les arguments avancés sont tendancieux et parfaitement inexacts, et ils essaient de fausser la situation. Israël est pauvre en sources d’approvisionnement en eau ; la demande d’eau, en Israël, est supérieure à la production naturelle et nous faisons face à un manque qui ne cesse de croître. A la suite de quatre années au cours desquelles les quantités de précipitations ont été significativement plus basses que la moyenne, nous en sommes arrivés à une situation dans laquelle nous sommes tout près des lignes rouges les plus basses (lignes qu’il serait dangereux de dépasser, tant pour la source d’eau que pour la qualité de cet eau). L’été prochain, nous nous attendons à descendre sous ces lignes pour les trois principales sources d’eau, et cela malgré des réductions importantes et douloureuses dans l’agriculture et d’autres secteurs.

Israël gère l’économie de l’eau avec efficacité. Le manque d’eau encourage des développements technologiques pour rendre plus efficace l’utilisation de l’eau dans l’agriculture, dans l’industrie et chez le particulier. Les eaux d’égouts sont recyclées et dirigées vers l’agriculture. La plus grande partie de l’agriculture recourt à de l’eau usée traitée et à de l’eau de pluie, et l’utilisation d’eau douce subsiste essentiellement dans des endroits où il y a une sensibilité hydrologique. L’objectif est une utilisation agricole de 530 millions de m³ d’eau douce par an, mais cette année, la quantité est réduite à 450 millions de m³ à cause du peu de précipitations. Israël recycle aujourd’hui environ 70% des eaux usées qu’il produit. Si l’Autorité Palestinienne traitait ses eaux usées et exploitait l’eau usée traitée pour l’arrosage agricole, elle augmenterait la quantité d’eau douce à sa disposition de plus de 35 millions de m³.

Il y a de nombreux pays dans le monde qui disposent de sources d’eau à profusion et dans lesquels, malgré cela, il y a des régions qui souffrent d’un manque d’eau. C’est, par exemple, le cas en Turquie, d’où à une certaine époque on parlait, en Israël, d’importer de l’eau. En Israël, l’économie de l’eau est gérée à l’aide d’un système national reliant les sources d’eau et permettant une gestion optimale. La consommation domestique moyenne en Israël est d’environ 160 litres par jour et par personne, consommation municipale non comprise. En Israël, la population est invitée à faire bon usage de l’eau et même à réduire davantage la consommation domestique. A cette fin, on produit de nombreux supports d’information, des exposés sont organisés dans les jardins d’enfants et les écoles, et de temps en temps, une grande campagne d’information est lancée (une telle campagne est programmée pour ce mois-ci).

La région tout entière souffre d’un problème d’eau qui conduit à une réduction des quantités d’eau naturelle parvenant en Israël depuis le Liban, la Syrie et d’autres. L’eau qui arrivait naturellement dans le lac de Tibériade est barrée et captée. Il existe plusieurs accords entre nous et nos voisins, comme celui établi avec la Jordanie, auxquels Israël se tient en dépit d’un grave manque d’eau. Aux Palestiniens, Israël fournit une plus grande quantité que ce à quoi il s’était engagé dans l’accord d’Oslo. La solution au manque d’eau dans la région tient dans la production de nouvelles sources d’eau, à savoir la désalinisation de l’eau de mer et le recyclage des eaux usées traitées.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

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