FREE PALESTINE
18 mai 2007

La mémoire comme esquisse de l'avenir.

George Bisharat : La mémoire comme esquisse de l'avenir.

Pourquoi certains ont-ils le droit de se souvenir, alors qu'on demande à d'autres d'oublier ?

Cette question est particulièrement poignante à ce moment précis de l'année, où nous passons du Jour du Souvenir de l'Holocauste, au début du printemps, à l'anniversaire aujourd'hui de la déclaration d'indépendance d'Israël du 14 mai 1948.

Dans les mois qui ont précédé ou suivi cette date, les forces juives ont chassé, ou poussé à fuir, environ 750.000 Palestiniens. Une société vivante, avec du souffle, qui existait en Palestine depuis des siècles a été écrasée et fragmentée, et une nouvelle société a été construite sur ses ruines.

Depuis cette période, chaque famille palestinien a quelque chose à raconter sur la perte – un oncle tué, ou une branche de la famille qui a fui vers le nord alors que les autres fuyaient vers l'est, jamais réunifiée, ou des maisons, des bureaux, des vergers et autres propriétés saisies.

Depuis lors, les Palestiniens, dans le monde entier, ont commémoré le 15 mai comme le jour de la Nakba (la Catastrophe).

Aucun individu ayant un peu d'éthique ne demanderait aux Juifs "d'oublier l'Holocauste". Et les décennies récentes ont vu les victimes témoigner de cette terrible époque non seulement en se souvenant, mais également en récupérant des toiles ou des capitaux financiers saisis par les nazis – et c'était justifié.

D'autres victimes d'injustices massives – les Américains Japonais internés, les Américains Africains asservis et les Arméniens subissant un génocide qui a peut-être, plus tard, convaincu Hitler de la faisabilité de massacres de masse – ont reçu au moins la considération respectueuse sur leur tragédie, même si les réponses à leurs plaintes furent différentes.

Pourtant, dans les dialogues avec les Israéliens et avec quelques Américains, les Palestiniens sont en permanence priés d' "oublier le passé", que regarder en arrière "n'est pas constructif" et "ne nous rapproche pas d'une solution".

Ironiquement, les Palestiniens vivent chaque jour dans les conséquences du passé – que ce soit comme exilés de leur patrie, ou comme membres d'une minorité opprimée en Israël, ou comme les sujets d'une occupation militaire brutale et violente.

En Occident, on nous rappelle sans cesse les souffrances du peuple juif pendant la 2ème Guerre Mondiale. Nos journaux sont pleins d'histoires des survivants de l'Holocauste nazi, au moment du Jour du Souvenir de l'Holocauste (un jour férié national israélien qui est largement suivi aux Etats-Unis). Ma fille a lu au moins un livre sur l'holocauste nazi, chaque année, depuis l'école primaire. L'année dernière, rien qu'une Littérature anglaise en 3ème, elle en a lu trois. Mais nous faisons rarement face à l'impact des politiques israéliennes sur les Palestiniens.

C'est la "sécurité du peuple juif" qui a rationalisé la prise de contrôle d'Israël sur les terres palestiniennes, par le passé en Israël et plus récemment en Cisjordanie occupée. Là, la plupart des enfants palestiniens doivent franchir l'un des 500 checkpoints israéliens et autres barrières, juste pour aller à l'école chaque jour.

Pendant ce temps, le programme israélien de colonisation de la Cisjordanie progresse sans relâche, implantant toujours plus de colons israéliens qui doivent être "protégés" de ces Palestiniens qui ne se sont pas résignés au vol de leurs maisons et de leurs champs.

La primauté de la sécurité juive sur les droits des Palestiniens – à la propriété, à l'éducation, aux soins de santé, à la possibilité d'organiser leur vie et, aussi, à la sécurité – est rarement contestée.

Malheureusement, le souvenir de l'Holocauste nazi – qui incombe moralement à chacun d'entre nous – semble s'être empêtré, et est même devenu l'instrument de l'amnésie à laquelle certains voudraient contraindre les Palestiniens. Israël est nimbé d'une aura de bienséance éthique qui rend inconvenant, et même "antisémite" de questionner son déni des droits palestiniens.

La journaliste israélienne Amira Hass observait récemment : "Faire de l'Holocauste un atout politique sert essentiellement Israël dans sa lutte contre les Palestiniens. Lorsque l'Holocauste est d'un côté de la balance, avec la conscience coupable (normale) de l'Occident, la dépossession du peuple palestinien de sa patrie en 1948 est minimisée et estompée."

Ceci démontre que la mémoire n'est pas qu'une fonction improductive. Pouvoir se souvenir et obliger l'autre à oublier est, fondamentalement, une expression de pouvoir.

Toutefois, et c'est d'égale importance, la mémoire peut fournir une esquisse de l'avenir- une vision d'une solution à chercher, ou une issue à éviter. Mon père palestinien a grandi à Jérusalem avant la création d'Israël et l'expulsion des Palestiniens, lorsque les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs vivaient en paix et dans un respect mutuel. Le souvenir de ce passé peut fournir une vision d'un autre avenir, qui impliquerait des droits égaux et de la tolérance plutôt que la domination d'un groupe ethno-religieux sur les autres.

En fait, ce qu'on demande aux Palestiniens, ce n'est pas seulement d'oublier leur passé, mais aussi d'oublier leur futur. Ce qu'ils ne feront jamais.

George Bisharat

George Bisharat est professeur de droit à San Francisco. Il écrit souvent des articles sur le Moyen Orient. Cet article, paru le 13 mai 2007 en page E-3 du San Francisco Chronicle, a été repris sur Electronic Intifada avec l'autorisation de l'auteur.

Sources ISM

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