FREE PALESTINE
17 avril 2007

Lorsqu’un antisémite n’est pas un antisémite

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Lorsqu’un antisémite n’est pas un antisémite

mardi 17 avril 2007 - Arthur Nelsen - The Guardian

Qu’ont en commun Einstein, le Mahatma Gandhi, Ehoud Olmert et moi-même ? Nous pourrions chacun être censurés pour racisme, d’après la « définition de travail de l’antisémitisme » (« working definition of anti-semitism ») de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC), qui a été adoptée, la semaine dernière, comme politique officielle par le National Union of Students.

Cette définition a récemment tout balayé devant elle, endossée partout, depuis le Rapport parlementaire multipartite sur l’antisémitisme jusqu’au délégué spécial du département d’Etat américain pour la lutte contre l’antisémitisme. Le gouvernement britannique s’est engagé à réexaminer sa propre définition de l’antisémitisme si l’organe qui doit succéder à l’EUMC, l’Agence pour les Droits Fondamentaux, ratifie la nouvelle lingua franca.

Il est dès lors quelque peu atterrant de découvrir que la nouvelle définition a été largement rédigée par un avocat pro-Israël qui multiplie les exposés sur la manière d’élider la distinction entre antisionisme et haine des Juifs. Kenneth Stern est l’expert de l’American Jewish Committee en matière d’antisémitisme et, dans Defining Anti-Semitism, un texte publié par l’Institut Stephen Roth de l’Université de Tel Aviv, il expliquait comment il avait développé la définition de travail, « avec d’autres experts », dans la seconde moitié de 2004.

De manière significative, ce texte impliquait de traiter la haine religieuse et raciale des Juifs en même temps que ce qu’il étiquetait d’antisémitisme « politique ». Ce dernier, prétendait-il, est « autrement connu, ces dernières années, comme antisionisme, qui traite Israël comme le Juif classique ». Les antisémites politiques pourraient donc inclure, par exemple, ceux qui « cherchent à contester à Israël son statut de membre à part entière au sein de la communauté des nations », vraisemblablement par la voie d’initiatives de boycott. Naturellement, comparer Israël à l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid est aussi, dans le cadre proposé par Kenneth Stern, « une expression d’antisémitisme ».

Son organisation, l’AJC, se vante de ce que, durant la période de consultation, l’EUMC a accepté sa proposition de convoquer une consultation portant sur la définition de travail. Contrairement à quelques-uns des autres contributeurs juifs au processus de consultation, l’exposé que fait l’AJC de sa mission compte parmi ses préoccupations les plus pressantes, d’accroître le soutien à « la quête d’Israël pour la paix et la sécurité » et de contrecarrer « le traitement fait à Israël au sein des Nations Unies ». Mais Stern paraît tout particulièrement intéressé à discréditer l’antisionisme. L’annonce d’une conférence qu’il donnera, le mois prochain, sur le thème « Antisémitisme et antisionisme », précise qu’il abordera la question : « Quels sont les ingrédients essentiels d’une stratégie visant à combattre l’antisionisme comme antisémitisme, tant ici qu’à l’étranger ? »

Au risque de paraître désinvolte, je dirais que persuader des décideurs politiques de brouiller la différence entre les deux dans leur définition de travail pourrait être un bon départ. C’est précisément ce que l’EUMC a fini par faire. « L’antisémitisme », dit d’entrée de jeu son rapport, « est une certaine perception des Juifs qui peut se traduire par de la haine ». Une telle perception pourrait comprendre des calomnies stéréotypées ou déshumanisantes portant par exemple sur :

Le pouvoir des Juifs comme collectivité - comme en particulier, mais pas exclusivement, le mythe d’une conspiration juive mondiale ou celui des Juifs contrôlant les médias, l’économie, le gouvernement ou d’autres institutions sociétales.

Mais elle pourrait aussi comprendre une litanie de mots d’ordre de lobbyistes, tels que :

            dénier au peuple juif le droit à l’autodétermination (par exemple, en déclarant que l’existence de l’Etat d’Israël est une entreprise raciste) ;

            user de deux poids deux mesures en exigeant d’Israël un comportement que l’on n’attend ni ne demande d’aucune autre nation démocratique... ;

            établir des comparaisons entre la politique actuelle d’Israël et celle des nazis ;

            tenir les Juifs pour collectivement responsables des actions de l’Etat d’Israël.

Les militants de la paix juifs ont toujours reculé devant ce dernier point en se désolidarisant de crimes de guerre commis en leur nom. Malheureusement, Olmert ne s’est pas montré aussi circonspect lorsque, le 7 juillet, il a déclaré aux United Jewish Communities que l’invasion du Liban était « une guerre menée par tous les Juifs ».

Cependant, selon la nouvelle définition, il pourrait bien y avoir « double standard » antisémite dans le fait de réserver la critique au seul Ehoud Olmert alors que les odieux propos de l’ancien dirigeant indien, Mahatma Ghandi, sont encore enseignés dans les écoles de Grande-Bretagne. En 1938, Ghandi disait qu’il considérait que « la Palestine appartenait aux Arabes, au même titre que l’Angleterre appartenait aux Anglais ou la France aux Français ». Il pourrait bien ainsi s’interdire lui-même de pouvoir s’exprimer, aujourd’hui, dans un collège britannique.

Einstein pourtant aurait fait un flop. Après le massacre de Deir Yassin où plus de 250 civils palestiniens ont été tués en 1948, il avait signé une letter to the New York Times décrivant le parti Herout (alias Likoud) comme étant « étroitement apparenté, dans son orientation, ses méthode, sa philosophie politique et son attrait social, aux partis nazi et fasciste ». Son dirigeant de l’époque (et futur premier ministre d’Israël), Menahem Begin, représentait des « éléments fascistes » en Israël et son parti avait « ouvertement prêché la doctrine de l’Etat fasciste ». Ainsi Einstein aurait été recalé au test de la « comparaison entre politique israélienne et politique des nazis », de l’EUMC.

Mais même des autorités supérieures à Einstein pourraient échouer à l’épreuve Stern. Après tout, en Lévitique 25 :23, Dieu chargeait Moïse de dire au peuple juif que « le pays est à moi ; vous n’êtes que des étrangers logés chez moi ». Qu’était-ce là sinon dénier au peuple juif le droit à l’autodétermination ? Demandez-Lui des comptes devant l’AJC, Kenneth.

La terrible ironie de tout ceci, c’est que, dans son programme politique actuel, le British National party pourrait avoir peu de problème avec la définition de travail. Au cours de la guerre du Liban, par exemple, Lee Barnes, chargé des questions juridiques au BNP, écrivait sur le site Internet du parti :

En tant que nationaliste, je peux dire que je soutiens Israël à 100% dans son conflit avec le Hezbollah. En fait, j’espère qu’ils vont rayer le Hezbollah de la carte du Liban et les bombarder jusqu’à ne laisser que de larges cratères poisseux, là où se trouvaient leurs cantons islamiques extrémistes de terreur.

Donc Lee Barnes réussirait le test de l’EUMC. Par comparaison, les antisionistes juifs (comme moi-même) qui ont été physiquement attaqués par des membres dirigeants du BNP et qui ont subi des campagnes antisémites pourraient devoir affronter la censure ou pire. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Certains Palestiniens parlent, assurément, des « Yehouds » d’une manière péjorative, citent des textes diffamatoires sans réfléchir et font des déclarations stupides sur le génocide juif. Mais c’est ce qui arrive au langage lorsque vous pressez votre pied sur la gorge de quelqu’un. Les victimes noires de la ségrégation dans le Sud Profond parlaient des « honkys » et la Nation de l’Islam de Malcolm X prêchait qu’un scientifique maléfique nommé Yaqub avait créé les blancs dans une expérience en éprouvette qui avait mal tourné. Cela n’en faisait pas des racistes, parce que le racisme décrit d’habitude un ensemble concret de relations de pouvoir bien plus qu’il ne fait une collection abstraite de préjugés.

Bien sûr, des relations de pouvoir peuvent elles-mêmes être troubles. Lorsque des franges cinglées du mouvement pro-palestinien tentent de faire alliance avec des néo-nazis en brouillant la distinction entre Juifs et sionistes, il faut s’opposer à eux. Mais le faire devient une entreprise beaucoup plus difficile quand, pour des raisons diverses, des idéologues sionistes et des bureaucrates de Bruxelles brouillent exactement la même distinction, mais d’une manière plus efficace. C’est pourquoi nul ne devrait se laisser intimider à les contester sur leurs exécrables nouvelles directives.

Pour paraphraser la vieille blague sur les féministes : combien faut-il de lobbyistes pro-israéliens pour changer la définition de travail de l’ampoule électrique ? Un, et ce n’est pas antisémite de le dire.

Arthur Neslen est journaliste freelance et travaille à Tel Aviv. Son premier livre : [Occupied Minds : A journey through the Israeli psyche a été publié par Pluto Press en mars 2007. En 2003-2004, Neslen a été le correspondant à Londres d’ Aljazeera.net - le seul journaliste juif du site - et pendant 5 ans, l’éditeur international du magazine Red Pepper.

Arthur Nelsen - The Guardian, le 5 avril 2007

Traduit de l’anglais par Michel Ghys

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