Egypte-Israël : un dossier tout chargé de crimes de guerre commis par Tsahal.
Al-Ahram Hebdo Semaine du 14 au 20 mars 2007, numéro 653
Evénement
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2007/3/14/leve0.htm
Egypte-Israël
L'esprit du mal
Le film L’esprit de Shaked, diffusé par la télévision d’Etat
israélienne, montrant des présumés massacres de soldats égyptiens, ouvre
un dossier tout chargé de crimes de guerre commis par Tsahal. Cependant,
des poursuites judiciaires restent un simple souhait.
« Ben Eliezer a un long registre à son actif »
Uri Avnery, écrivain et journaliste israélien, militant des droits
palestiniens et pacifiste convaincu, affirme que la liquidation des
soldats égyptiens en 1967 n’est pas le seul crime de guerre israélien.
« C’est un processus sensible qui doit être mené en profondeur »
Fouad Riyad, ancien juge au Tribunal sur l’ex-Yougoslavie, appelle à la
formation d’une commission d’enquête pour vérifier si Israël a commis un
massacre contre des soldats égyptiens.
Un commando sans foi ni loi
L’unité militaire auteure du massacre des soldats égyptiens a toute une
histoire faite de cruauté et d’indiscipline.
Al-Ahram Hebdo Semaine du 14 au 20 mars 2007, numéro 653
Evénement
Egypte-Israël . Le film L’esprit de Shaked, diffusé par la télévision
d’Etat israélienne, montrant des présumés massacres de soldats
égyptiens, ouvre un dossier tout chargé de crimes de guerre commis par
Tsahal. Cependant, des poursuites judiciaires restent un simple souhait.
L'esprit du mal
Gaza,
De notre correspondant —
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2007/3/14/leve1.htm
Les événements et les réactions qui ont suivi la diffusion du
documentaire israélien Rouah Shaked, ou l’esprit de Shaked, démontrent
que Shaked n’était pas le seul mauvais esprit qui s’était emparé de
l’armée israélienne lors de ses guerres avec les Arabes. Le commandement
de l’armée israélienne a témoigné de l’émergence d’autres « démons » qui
ont commis des crimes contre les militaires autant que les civils. C’est
dire que l’on pourrait considérer que la liquidation des 250 soldats est
un fait assez simple, en comparaison à ce dont ont témoigné Egyptiens et
Palestiniens, voire les historiens israéliens eux-mêmes. En effet, le
nombre de prisonniers tués serait dans les environs de 10 000.
Le réalisateur du documentaire, Ran Edelist, a certes tenté de se
disculper en parlant d’une erreur, mais il s’avère quand même que ce qui
a été filmé n’est qu’une partie minime de la réalité. En fait, c’était
la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les massacres contre les
prisonniers sont difficiles à énumérer. De plus, Rouah Shaked a
occasionné un véritable choc auprès de l’opinion mondiale, voire d’une
partie de la société israélienne elle-même. Celle-ci n’avait jamais
imaginé que son armée pourrait être prise en flagrant délit pour crimes
contre l’humanité, à l’exemple de ceux dont le peuple juif a été victime
sous la férule des Nazis. Ces mêmes carnages pour lesquels les créateurs
de l’Etat hébreu ont bénéficié d’une grande sympathie qu’ils ont
exploitée pour s’emparer de la Palestine.
En réalité, les crimes ne concernent pas la seule agression de juin
1967, mais ont eu lieu lors des autres conflits en 1956 et 1967, une
époque où ce sont les pères fondateurs d’Israël qui tenaient les rênes
du pouvoir, dont Haim Weizman et David ben Gourion.
Au début et bien que les médias israéliens aient tenté d’imposer un
black-out sur le film, celui-ci montre les images du massacre commis par
le commando Shaked sous les ordres à l’époque de Benyamin ben Eliezer,
actuel ministre des Infrastructures, et qui a liquidé 250 militaires
égyptiens faits prisonniers à la fin de la guerre israélo-arabe de juin
1967. Le film évoque les événements survenus à la fin de cette guerre de
juin 1967 lors desquels le commando Shaked avait reçu pour mission de
prendre en chasse et d’anéantir des unités de commandos égyptiens qui
étaient déployés dans la bande de Gaza et tentaient de gagner le Sinaï.
Israël a depuis procédé à une valse hésitation. Et le réalisateur a
tenté de démentir avec des arguments qui n’ont pu convaincre personne.
De toute façon, le gouvernement israélien a envoyé le documentaire au
ministère égyptien des Affaires étrangères à la demande de celui-ci.
Une fois l’affaire révélée grâce au film, des journalistes et des
écrivains arabes israéliens et des habitants des régions palestiniennes
nous ont contactés pour lever le voile sur d’autres massacres dont les
prisonniers ont été victimes. Voire, ils se sont référés, à cet égard, à
des historiens israéliens. Ils affirment que le film qui a soulevé cette
réaction n’est pas la première reconnaissance par Israël du meurtre des
prisonniers égyptiens. Des témoignages et des études israéliens faits
par des historiens anciens et nouveaux ont détruit le mythe de l’armée
israélienne. Dans son livre « L’unité Shaked », le professeur Uri
Milistein dénombre et donne des détails sur des crimes de guerre, voire
présente une photo de Ben Eliezer avec comme légende : « Liquidations
après la guerre ».
Shaked avait hérité cette tradition de meurtre d’une précédente unité
dirigée par Ariel Sharon appelée 101 (lire page 5). Le général israélien
Arieh Biro était le premier à dévoiler en 1995, dans des entretiens à
Maariv et au Jerusalem Post, que 48 prisonniers de guerre égyptiens ont
été liquidés en 1956. Il s’agissait de mineurs et Biro, à l’époque le
commandant du bataillon 890 des parachutistes, ajoute : « Je ne le
regrette pas. Au contraire, j’en suis fier ». Les témoignages ne
manquent pas. L’éthique et les valeurs morales de l’armée israélienne
s’écroulaient avec l’occupation et l’euphorie issue des victoires.
L’esprit du mal s’emparait de plus en plus de Tsahal. Les faits
n’étaient pourtant un secret pour personne. Quand en 1995, des fosses
communes ont été découvertes à proximité d’Al-Arich, la colère des
Egyptiens a monté. La plaie était encore ouverte. Aujourd’hui encore,
rien n’a changé. Mais s’il y a 12 ans, le gouvernement n’a pas cherché à
approfondir les choses, il ne peut plus se le permettre. « Il y a
cependant tant de pressions de la part des ONG, des médias et des
parlementaires », estime Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation
égyptienne des droits de l’homme. Depuis 1995, l’organisation s’efforce
de recueillir toutes les preuves possibles des crimes de guerre
israéliens. Une campagne qui a d’abord commencé par la collecte des
témoignages de 54 survivants des guerres de 1956 et 1967, avec leurs
carnets militaires et les records de la Croix-Rouge ainsi que les
témoignages des militaires israéliens et les publications militaires de
Tsahal.
Du surplace comme réaction
En 2001, le premier ministre de l’époque, Atef Ebeid, avait décidé de
créer une commission ministérielle de la Justice, de la Défense, des
Affaires étrangères et de l’Information, pour suivre le dossier. Mais
cette commission n’a jamais vu le jour et les plaintes déposées chez le
procureur général ont reçu une fin de non-recevoir. La volonté politique
manque. « Le régime s’est trouvé dans l’embarras à la suite du film.
Cette fois-ci, le dossier est ouvert du côté israélien et donc, les
Egyptiens doivent réagir », précise Emad Gad, rédacteur en chef
d’Israeli Digest. Selon lui, Le Caire ne veut pas nuire à ses relations
avec Israël ni avec les Etats-Unis. Preuve en est, le ministre des
Affaires étrangères a déclaré que l’Egypte ne toucherait pas au Traité
de paix avec Israël. « Mais qui a dit que le fait d’exiger une enquête
et de revendiquer nos droits veut dire rompre la paix ? », s’indigne
Abou-Seada. Israël n’a-t-il et en dépit des accords de paix demandé des
indemnités pour les colonies qui étaient construites dans le Sinaï
occupé ? 300 millions de dollars ont été payés. En dépit des accords de
Camp David, Israël n’a-t-il pas intenté un procès contre l’ex-rédacteur
en chef d’Al-Ahram l’accusant d’antisémitisme ? Gad croit qu’il « existe
un accord tacite entre les deux parties pour ne pas fouiller dans les
vieilles archives ou plutôt les vieilles tombes, le régime laisserait la
colère éclater dans les médias pour un certain temps, c’est tout ».
Et cette colère, jusqu’où pourrait-elle aller ? Difficile à prédire. Les
ONG sont en tout cas mobilisées. On collecte des preuves et on signe des
pétitions. Le Conseil national des droits de l’homme, qui est d’ailleurs
une instance gouvernementale a créé une commission qui examine en ce
moment les procédures juridiques qui, dans un premier temps, permettrait
de mener une enquête criminelle qui permettrait de confirmer la véracité
des faits et en désigner les responsables.
Deux articles de la Convention de Genève permettront une telle poursuite
judiciaire. L’article 12 qui concerne les crimes menés par des
individus, et l’article 13 qui détermine la responsabilité des Etats. «
On n’a pas besoin d’intenter un procès à l’étranger ou devant le
Tribunal pénal international. Ces présumés crimes ont touché des
Egyptiens et se sont déroulés sur un territoire égyptien. Il suffit que
le procureur général ou le procureur militaire entame les procédures »,
explique l’avocat Abou-Seada. Mais jusqu’à preuve du contraire, aucune
demande ni démarche, à part celle d’obtenir une copie du documentaire
L’esprit Shaked, n’a été entreprise par le gouvernement.
Achraf Aboul-Hol
avec Samar Al-Gamal, au Caire
Chronique sanglante
« Ils assassinaient de sang-froid et d’une manière humiliante. C’était
comme un jeu pour eux. Tout d’abord, les officiers, ensuite, les
sous-officiers, et enfin, les soldats qui savaient lire et écrire. Les
officiers étaient fusillés ou bien écrasés par les chars. Plus tard,
nous avons remarqué que plusieurs soldats d’entre nous étaient emmenés
hors des camps. Ils retournaient après avoir subi des opérations
chirurgicales. Nous avons appris que les Israéliens les utilisaient pour
le trafic d’organes ».
Le sergent Amin Ramadan, ancien prisonnier de la guerre de 1967.
« Nous avons été retenus dans un camp pendant 45 jours. On nous privait
d’eau et de nourriture. On avait juste ce qui pouvait permettre à un
gamin, voire un chat de subsister. Chaque jour, un officier israélien
venait prendre 10 d’entre nous. Ils étaient tous tués et jetés hors du
camp. Au bout de ces 45 jours, 450 officiers et soldats ont été tués de
sang-froid avant que la Croix-Rouge n’arrive pour sauver les 250
restants ».
Le sergent Mohamad Sayed Faramawi, ancien prisonnier de la guerre de 1967.
« Les Israéliens transportaient les prisonniers dans des camions près
d’Abou-Saql (non loin du Canal de Suez). Ils leur demandaient de se
diriger vers le Canal sous prétexte qu’ils seraient transportés à
domicile et ensuite, ils les fusillaient dans le dos. Les cadavres sont
restés ainsi sur le sable pendant 10 jours avant que les habitants de la
région, les bédouins, ne les enterrent ».
Hag Hassan Hussein Al-Maleh, habitant de la région.
« Les Israéliens ont attaqué les camps des soldats égyptiens. Ils les
ont forcés à se coucher sur le sol et ils les ont écrasés avec leurs
chars ».
Cheikh Saleh Abou-Holi, habitant de Rafah.
Al-Ahram Hebdo Semaine du 14 au 20 mars 2007, numéro 653
Evénement
Egypte-Israël .
Uri Avnery, écrivain et journaliste israélien, militant
des droits palestiniens et pacifiste convaincu, affirme que la
liquidation des soldats égyptiens en 1967 n’est pas le seul crime de
guerre israélien.
« Ben Eliezer a un long registre à son actif »
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2007/3/14/leve2.htm
Al-Ahram Hebdo : Avez-vous vu ce documentaire L’esprit de Shaked à
l’origine de cette affaire ?
Uri Avnery : Certainement. D’ailleurs, nous savons qu’à la fin de la
guerre de juin 1967, un grand nombre de soldats égyptiens ont été tués
dans le Sinaï pendant leur retrait en direction du Canal de Suez. C’est
un fait bien établi. Mais la question qui s’est posée était de savoir si
l’armée israélienne avait dû oui ou non leur donner de l’eau puisque
nombreux d’entre eux sont morts de soif et d’épuisement. Un tel
comportement se rapproche beaucoup d’un crime de guerre. Nous l’avions
appris à l’époque, mais l’on ne pouvait pas le publier étant donné la
censure militaire qui a interdit de diffuser de telles informations. A
l’époque, j’étais le rédacteur en chef d’un hebdomadaire et je n’ai pas
réussi à publier le fait. Ce n’était d’ailleurs pas le premier crime de
guerre de ce genre contre les soldats égyptiens. En 1956, Rafael Eitan,
qui est devenu chef d’état-major, a permis à ses troupes de tuer un
grand nombre de soldats égyptiens entre Charm Al-Cheikh et Al-Tor, dans
le Sud-Sinaï. Ils étaient pris en tenailles entre le bataillon israélien
qui avait envahi Charm Al-Cheikh à partir des frontières orientales et
les paras commandés par Eitan, connus sous le nom de Raful, après avoir
progressé d’Al-Tor au sud.
Un même scénario s’est répété en 1956 lorsque les Britanniques et les
Français ont attaqué le Canal de Suez. Un grand nombre de soldats
égyptiens se sont trouvés encerclés entre Israéliens et
Franco-britanniques. C’est ce qui a poussé le commandement égyptien à
ordonner à ses troupes de se retirer sur la ligne du Canal de Suez le
plus rapidement possible pour qu’elles ne soient pas liquidées. La chose
s’est répétée en 1967.
— Le document souligne que c’est Benyamin ben Eliezer, actuel ministre
des Infrastructures, qui a conduit l’opération de liquidation des
soldats égyptiens en 1967. Etiez-vous au courant de ce fait ?
— Non, je ne le savais pas. Mais Ben Eliezer a, à son actif, un long
registre, lorsqu’il commandait les troupes israéliennes en Cisjordanie
en juin 1967, puis, lorsqu’il est devenu le responsable des contacts
avec le Parti des Phalanges au Liban. C’est lui qui a préparé l’invasion
israélienne du Liban en 1982.
— Dans le film, il y a ces témoignages selon lesquels les avions
israéliens survolaient les soldats égyptiens, les poursuivaient dans le
désert puis les mitraillaient. Est-ce un fait avéré ?
— Oui. C’est une histoire très triste et qui aurait dû être condamnée.
Mais je suis sûr qu’aucun membre du commandement militaire israélien de
l’époque n’aurait rien fait pour interdire ces pratiques. La seule qui a
été soulevée était celle de savoir s’il fallait donner de l’eau ou non
aux soldats égyptiens qui se retiraient du Sinaï.
— Pensez-vous qu’il faut traduire en justice des officiers ou des
soldats de l’unité Shaked ?
— S’il y a des gens qui le veulent en Egypte, pourquoi pas ?
— Selon la loi israélienne, les Egyptiens ou les activistes des droits
de l’homme israéliens peuvent-ils mener une poursuite judiciaire pour la
liquidation des prisonniers égyptiens ?
— La loi israélienne n’est pas claire en ce qui concerne cette question,
d’autant plus que les soldats n’ont pas parlé de capture ou du meurtre
de soldats égyptiens. Cependant, la loi israélienne, tout comme le droit
international, interdit l’exécution des prisonniers de guerre. Et si une
personne donne l’ordre de tuer des prisonniers de guerre, cela serait
illégal et aux soldats de ne pas lui obéir. Mais si les soldats avaient
reconnu les faits, cela serait devenu automatiquement un crime de
guerre. Ceci parce que, comme je viens de l’affirmer, la loi israélienne
et le droit international interdisent de tuer les prisonniers.
Mais je n’ai pas d’informations suffisantes sur les conditions de cette
opération. Il faut donc consulter un expert juridique.
Achraf Aboul-Hol
Al-Ahram Hebdo Semaine du 14 au 20 mars 2007, numéro 653
Evénement
Egypte-Israël . Fouad Riyad, ancien juge au Tribunal sur
l’ex-Yougoslavie, appelle à la formation d’une commission d’enquête pour
vérifier si Israël a commis un massacre contre des soldats égyptiens.
« C’est un processus sensible qui doit être mené en profondeur »
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2007/3/14/leve3.htm
Al-Ahram Hebdo : Est-ce que les accusations lancées contre Israël
peuvent s’inscrire dans le cadre des crimes de guerre ?
Fouad Riyad : Ces crimes sont tout à fait identiques à ceux commis en
Bosnie. Ce qu’ont commis les Israéliens est un crime de guerre, un crime
contre l’humanité. C’est pourquoi je demande d’appliquer sur Israël la
même méthode que celle qui a été suivie dans le cas de l’ex-Yougoslavie.
Il s’agit de créer une commission d’enquête à travers laquelle il serait
question de s’assurer des faits, de rassembler les témoignages et de
collecter le plus de preuves possible. C’est un processus sensible qui
doit être mené en profondeur pour désigner la personne coupable, ou
celle à la tête du crime, comme ceci était le cas en Yougoslavie où
Milosevic a failli être condamné pour génocides pour ne pas avoir essayé
de les empêcher. Il est très important de savoir que ceux qui ont commis
les crimes ne sont pas uniquement les soldats, mais aussi leur chef qui
aurait pu empêcher ce massacre. Il ne l’a cependant pas fait.
— Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des accusations de
massacres sont lancées à l’encontre d’Israël. Pourquoi, selon vous,
l’affaire a-t-elle pris cette fois-ci une dimension plus importante ?
— C’est le documentaire Rouah Shaked qui a provoqué tout ce tollé. Il a
remis à la surface des crimes dont on parlait depuis très longtemps,
depuis les guerre de 1956 et de 1967. Il y avait toute une liste de
témoignages recueillis depuis les années 1970 et 1980 lorsque plusieurs
Egyptiens sont revenus du front. Leurs aveux étaient terrifiants. Ils
affirmaient avoir vu leurs collègues torturés, écrasés par des chars ou
vidés de leurs organes. Tout ceci a suscité une grande amertume et une
colère chez les Egyptiens. Le problème, c’est que ces témoignages,
jusqu’à présent, étaient restés sans preuves concrètes et sont par la
suite passés au tiroir. Mais ces longues années de silence ont enfin été
interrompues.
— Quelles sont les démarches qui doivent être entreprises pour prouver
la véracité de ces crimes ?
— Il faudrait lancer la recherche pour savoir d’abord si ces crimes ont
vraiment été commis et par la suite, poursuivre les responsables. Une
véritable enquête doit voir le jour pour collecter le plus d’éléments
possibles qui viendront s’ajouter aux images diffusées dans le film et
aux déclarations des témoins, pour s’assurer que ces crimes sont vrais.
Si ces accusations s’avèrent vraies, c’est alors que nous pouvons
demander que les responsables de ces crimes soient jugés. Et si l’on
prouve le contraire, on aura au moins rassuré le peuple égyptien.
— Et quelles sont les voies par lesquelles nous pouvons les traduire en
justice ?
— Suite à la commission d’enquête, nous pouvons, pour le moment,
commencer par un premier pas qui est d’intenter un procès dans les
tribunaux égyptiens pour demander la punition de ceux qui ont perpétré
ces crimes. On peut aussi recourir à la justice israélienne qui se vante
toujours d’être équitable. Il est peut-être temps de les mettre en
examen et de leur demander de poursuivre ces criminels en justice.
— Et sur le plan international ?
— Nous pouvons faire appel à un tribunal international ad hoc, qui
serait établi par le Conseil de sécurité. Mais ceci reste une solution
difficile car il va se heurter au veto américain qui défend toujours
Israël. Nous pouvons alors nous adresser à l’Assemblée générale. On doit
d’abord procéder à une sorte de sensibilisation, c’est-à-dire s’adresser
à toutes les organisations internationales et à tous les pays pour
essayer d’avoir leur assistance. Il faut aussi essayer d’atteindre les
publics, non seulement les gouvernements, pour obtenir l’appui
nécessaire à la question. Un procès dit populaire international qui,
normalement, est mené par des organisations civiles, des organisations
juridiques d’ex-premiers responsables et d’anciens juges pourrait avoir
lieu. Il s’agit de faire un jugement populaire et de faire appel à des
témoins. Ceci a été le cas en Egypte lorsque l’Union arabe des avocats a
jugé Blair, Bush et Sharon comme criminels. Même s’ils ne sont pas
condamnés, c’est un moyen de conserver leurs crimes dans l’Histoire.
— Le film et les témoignages sont-ils suffisants pour poursuivre Israël
en justice ?
— Bien sûr que ces preuves ne sont pas suffisantes. Mais nous pouvons
dire que nous avons vu le sommet de l’iceberg et il est vraiment
souhaitable de continuer à creuser pour essayer de trouver d’autres
preuves plus fortes. C’est justement pour cette raison que j’insiste à
ce que la commission d’enquête soit créée. Il faudrait essayer
d’authentifier les preuves et de ne pas perdre de temps. C’est ici que
vient donc le rôle de la Ligue arabe, du gouvernement égyptien et du
ministère de la Justice qui doivent agir rapidement et sur tous les
fronts pour réunir le plus de preuves dans les plus brefs délais.
Chaïmaa Abdel-Hamid
Petites phrases sur de grands massacres
« J’ai vu un homme creuser un trou pendant environ 15 minutes. Puis, des
militaires israéliens lui demandaient de jeter la pelle. Ensuite, un
d’entre eux a pointé une mitraillette Uzi sur lui, tirant deux charges
chacune avec trois ou quatre balles ».
L’historien israélien Gabby Born, dans Yediot Aharonot.
« On était suffisamment proches pour pouvoir voir la mosquée de la ville
à l’œil nu. Le matin du 8 juin 1967, dans le Sinaï, dans la ville
d’Arich, des troupes israéliennes ont systématiquement exécuté 1 000 et
plus de prisonniers de guerre égyptiens (...) Les Israéliens demandaient
à ces prisonniers de creuser leur propre tombe avant, ensuite, de les
achever ».
James Ennes, ancien militaire américain de l’USS Liberty, le bateau
d’espionnage américain bombardé en 1967.
« Une soixantaine de prisonniers étaient alignés en rang, les mains
liées derrière leur dos, puis les soldats israéliens ont tiré jusqu’à ce
que le sable pâle du désert se transformât en rouge. Ensuite, ils
obligeaient d’autres prisonniers à les enterrer dans des fosses communes ».
James Bamford, dans son livre Body of Secrets.
« Ils n’ont pas pleuré. Ils étaient sous le choc. Tout était fini en
quelques minutes ».
Le général israélien à la retraite Arieh Biro, parlant des 49 soldats
égyptiens pris prisonniers en 1956, avant d’être tués de sang-froid par
les Israéliens.
« Il y a eu beaucoup d’incidents durant la guerre de 1967, où des
soldats égyptiens ont été tués par les troupes israéliennes, après avoir
levé les bras en signe de reddition. Ce n’était pas une politique
officielle, mais il y avait une atmosphère comme quoi c’était OK d’agir
de la sorte. Certains commandants ont décidé de le faire, d’autres non.
Mais tout le monde en était au courant ».
L’historien israélien Uri Milstein
Al-Ahram Hebdo Semaine du 14 au 20 mars 2007, numéro 653
Evénement
Egypte-Israël .
L’unité militaire auteur du massacre des soldats
égyptiens a toute une histoire faite de cruauté et d’indiscipline.
Un commando sans foi ni loi
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2007/3/14/leve4.htm
Rouah Shaked ou l’esprit de Shaked, ce film à l’origine de toute la
colère aujourd’hui envers Israël, tire son nom d’une unité de l’armée
israélienne. Shaked ... c’est l’abréviation en hébreu des « Shomry Kad
Drom », ou les gardes-frontières de la ligne sud. Cette unité de
commandos israéliens aurait commis des atrocités lors des guerres avec
l’Egypte, en tuant notamment quelque 250 soldats égyptiens, dans le
désert du Sinaï, après la fin de la guerre de 1967. Selon les
observateurs, cette liquidation à sang-froid ne serait pas la seule
commise par cette unité. Une observation tout à fait convaincante si
l’on suit le début de cette unité formée en 1953 et attachée au
commandement central de l’armée israélienne, puis deux ans après au
commandement sud, c’est-à-dire à la frontière avec l’Egypte. Cette
décision a été prise par Ariel Sharon dont le nom ne laisse aucun doute
sur les activités qu’aurait mené cette unité.
A ce moment, cette unité portait le nom de « l’unité 101 ». Sa mission
principale était d’empêcher les opérations de fedayins, lancées à partir
de la Jordanie et de L’Egypte. Elle était formée au début de 25
commandos, dont des druzes et des bédouins. Selon l’armée israélienne,
elle-même, ces combattants n’étaient pas très disciplinés et ont mené
des actes indépendamment de l’armée, de telle sorte que Moshé Dayan a
dit : « Cette unité va mener Israël vers l’impasse ». Ainsi, deux
massacres portent son sceau, celui de la ville de Kabeya, tout proche de
la Galilée, où l’unité 101 a assassiné plus de 65 civils et des dizaines
d’autres dans la ville de Nahalin.
Sa mauvaise réputation a poussé le gouvernement israélien à la dissoudre
avant qu’elle ne voie de nouveau le jour avec la guerre de 1967. Cette
fois-ci, l’unité change de nom et aussi de chef. Shaked est désormais
son nom et son commandant, auquel les Israéliens attribuent le mérite de
l’avoir disciplinée, n’était que Fouad ben Eliezer ou aujourd’hui
Binyamin ben Eliezer, actuel ministre des Infrastructures. Il dirige
l’unité depuis 1967 et durant la guerre d’usure jusqu’en 1970. C’est lui
qui est aujourd’hui accusé d’avoir donné l’ordre de liquider les soldats
égyptiens, on dit même qu’il marquait leur nombre sur son pantalon.
Aliaa Al-Korachi
Al-Ahram Hebdo Semaine du 14 au 20 mars 2007, numéro 653
Opinion
De Himmler à Eliezer
Salama A. Salama
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2007/3/14/opin2.htm
Nous devons avoir, en Egypte, un organisme chargé de réunir les
documents, les informations et les films concernant les événements
survenus au cours des guerres avec Israël. Mais aussi toute information
sur les dirigeants et individus de l’armée israélienne impliqués dans
les crimes de guerre ou des actes barbares contre les otages et civils
égyptiens. Ces informations doivent être révisées, modernisées et
enregistrées afin de suivre le destin de ces personnes, leurs postes et
leurs actions après qu’ils eurent quitté l’armée de la défense
israélienne et rejoint la vie civile.
Ceux-ci doivent être poursuivis et traduits en justice. C’est ce que
font tous les pays du monde qui n’aiment pas se faire humilier, même en
temps de paix. En effet, les crimes d’extermination et les crimes de
guerre qui transgressent le droit international et la convention de
Genève sont imprescriptibles. Il le faut afin de préserver la mémoire
des peuples, leurs dignités et le sang de leurs martyrs. Même si
apparaît un criminel de guerre comme Ben Eliezer, celui-ci peut être
poursuivi et traduit en justice, pour que son arrogance n’atteigne pas
le point de diffuser un film exposant la manière dont il a assassiné 250
prisonniers de guerre égyptiens à la veille de sa visite prévue en
Egypte ! Si nous avions eu ces informations, il n’aurait pas eu l’audace
de poser les pieds sur le sol de ce pays !
Il est vrai que de longues années se sont écoulées sans que les
générations égyptiennes consécutives depuis la guerre d’Octobre 1973
n’aient ressenti les périples de la guerre et ses souffrances.
Cependant, ce n’est pas un prétexte pour que la mémoire des directions
égyptiennes oublie et ferme les yeux sur les crimes israéliens commis à
nos frontières et dans les territoires palestiniens. En effet, de
nombreux dirigeants israéliens ne cachent pas leur haine et leur rancune
malgré les accords de paix qui s’avèrent être devenus de simples textes
froids dans des accords imposés par des conjonctures et des équilibres
internationaux qui changeront certainement un certain jour.
Le massacre présenté par ce film n’est pas le premier. Des aveux et des
témoignages sur de nombreux autres massacres ont été enregistrés par des
historiens et des écrivains israéliens dans de nombreux livres. Nous ne
devons pas réagir envers les crimes barbares d’Israël par l’annulation
de la visite d’un ministre ou par des dénonciations vaines. Nous devons
former un comité égyptien de haut niveau regroupant des experts
militaires et des juristes qui s’appuieront sur les documents de nos
forces armées et de la Croix-Rouge pour déterminer la manière de faire
face à ces crimes et de punir ces coupables, ou pour suivre d’autres
procédés que le monde connaît et qu’Israël exerce en dehors du cadre des
accords de paix !
Il y a quelques jours, un général iranien retraité a disparu en Turquie
dans des circonstances obscures. On soupçonne les services de
renseignements israéliens de l’avoir enlevé parce qu’il détiendrait,
selon eux, des renseignements sur le destin du pilote israélien disparu
au Liban depuis 21 ans, Ron Arad. De plus, les opérations d’espionnage
israélien en Egypte prouvent que la paix ne suffit pas pour préserver la
sécurité. Israël a emprunté tous les moyens pour poursuivre ses ennemis.
D’ailleurs, le monde n’a pas oublié l’enlèvement d’Ighman qui a été
accusé d’avoir liquidé les otages juifs dans les camps nazis et qui a
été jugé et exécuté en Israël.
Les crimes de Ben Eliezer ne diffèrent en rien de ceux de Himmler. Ce
dernier, chef de la Gestapo à l’époque du nazisme, donnait l’ordre
pendant la guerre de tuer les prisonniers de guerre pour se débarrasser
des preuves de culpabilité dans des crimes de toutes sortes. Les jours
se suivent et se ressemblent