Un seul Etat palestinien?
«A quelques exceptions près, les classes dirigeantes arabes, intellectuellement, "consomment" occidental et de préférence en anglais, et prient en arabe. Des raisons qui expliquent pourquoi ces dirigeants n’ont pas le temps de penser!»
Le 19 mai 2020, le Président de l’Autorité Nationale palestinienne (ANP) Mahmud Abbas a annoncé que «l’Organisation de libération de la Palestine [OLP] et l’État palestinien se retirent à partir d’aujourd’hui de tous les accords signés avec les gouvernements des États-Unis et d’Israël.»(1)
Mahmud Abbas précisa que ce retrait concerne également la sécurité. Par sécurité, il faut entendre la coopération sécuritaire entre l’occupant et l’ANP. Cette décision palestinienne fait suite à la déclaration du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu devant le parlement réuni pour un vote de confiance au gouvernement d’union.
Sujet principal de son intervention, l’annexion de la Cisjordanie est présentée comme un acte naturel puisqu’elle fait partie de «ces territoires [sont là] où le peuple juif est né et s’est développé.» Et par conséquent, «il est temps d’appliquer la loi israélienne et d’écrire un nouveau chapitre glorieux dans l’histoire du sionisme.»(2)
Et pour que tous les Etats ainsi que les instances internationales dont l’ONU comprennent bien la déclaration solennelle du Premier ministre, il ajouta: «La vérité, et tout le monde le sait, c’est que les centaines de milliers de résidents de Judée-Samarie [Cisjordanie] resteront toujours chez eux, quel que soit l’accord de paix trouvé in fine.»(2)
Sûr de lui, il martela que cette annexion «ne nous éloignera pas de la paix, elle nous en rapprochera.»(2)
Mais revenons à la déclaration du Président palestinien. Ce dernier annonce le retrait de l’OLP, de tous les accords mais encore faut-il qu’un congrès de cette dernière ait lieu pour, d’une part, la sortir de son état léthargique et d’autre part, prendre acte que le chemin tracé par les Accords d’Oslo est en définitive une impasse.
Et en affirmant que «l’Etat palestinien se retire…», M.Abbas a-t-il conscience que le retrait d’un Etat virtuel et de plus sous contrôle de l’occupant, n’a aucune conséquence politique sur les évènements en cours ou à venir?
Un faux Etat qui a «favorisé la formation d’une bourgeoise [palestinienne] affairiste, en liens étroits avec l’Autorité et les pays donateurs, et qui prospère en préparant la création de l’Etat palestinien…»(3). Un véritable conte des mille et une nuits!
En s’appuyant sur cette bourgeoisie affairiste, l’ANP a, volontairement ou non, légitimé la colonisation et la répression de la population palestinienne, soumise aux desiderata de l’occupant.
A ce stade de la réflexion, il est utile de souligner que les propos cités du premier ministre israélien traduisent dans les faits la continuité stratégique du mouvement sioniste depuis sa naissance politique en 1897. Ce qui signifie qu’un invariant guide les différents partis politiques gouvernementaux israéliens, fidèles au sionisme politique.
Cet invariant est l’avènement du Grand Israël
Et en persistant sur la voie de deux Etats, l’ANP a servi cette stratégie. Une voie inscrite dans le cadre de la politique arabe de normalisation, entreprise dès 1974.
Et en constatant en 2009 que «l’état actuel des pourparlers de paix avec Israël incite les Palestiniens à envisager la possibilité d’abandonner la solution des deux Etats en faveur de la solution d’un seul Etat»(3), le principal négociateur palestinien, Saeb Erekat n’a fait que confirmer sans le dire que la voie de la normalisation est sans issue pour le peuple palestinien… Et pour les peuples arabes?
Seuls l’opportunisme et la corruption d’une partie de la direction du Fatah constituée de gens qui ne se soucient que de «leurs propres affaires, leurs commerces, l’argent, les banques…»(4) a semé l’illusion que la Palestine est divisible géographiquement et politiquement!
Interroger le passé pour comprendre le présent
Quelques rappels historiques permettent de comprendre que le 'Deal du siècle' n’est qu’une continuité d’une même stratégie, à savoir, l’effacement de la Palestine en tant que patrie des trois monothéismes. Et les Accords d’Oslo, une simple étape dans cette stratégie…
Nous sommes le 6 juin 1982, le Liban est envahi par l’armée israélienne. Du 21 août au 1er septembre 1982, évacuation des combattants palestiniens de Beyrouth. Ce départ de Beyrouth après celui de Jordanie (1970) a brisé la dynamique de la résistance palestinienne.
De plus, l’acceptation par Y. Arafat d’évacuer le Liban a mis au grand jour la dissidence politique et militaire latente au sein de Fatah… Car dès 1974, la direction du Fatah sous la direction de Y. Arafat adopta un programme transitoire qui consistait à "établir une autorité nationale" sur toute parcelle libérée de la Palestine.
Un programme qui donna naissance aux plan de Fez (1982) légitimant ainsi le plan Reagan. Un point de convergence entre les deux plans: la démilitarisation de l’OLP et la reconnaissance de l’Etat d’Israël dans les frontières de 1967.
Des plans qui font suite aux Accords de Camp David entre l’Egypte et Israël (1978) et la reconnaissance en 1987 par l’OLP de la résolution 242. Premiers signes précurseurs de la normalisation politique de certains Etats arabes dont les monarchies du Golfe avec l’État d’Israël au détriment du droit à l’autodétermination du peuple palestinien et de l’intérêt des peuples arabes.
C’est ce contexte géopolitique qui donna naissance à la dissidence politique et militaire au sein du Fatah en 1983. Interrogé par le journal britannique 'The Guardian' le colonel Abu Mussa, membre du Fatah, justifia cette dissidence dans des termes sans ambiguïté:
«Depuis 1974, quand le programme politique intermédiaire a été adopté, nous avons alors dit que cela était le début du renoncement à notre objectif stratégique et que, si l’on continuait ainsi, la tactique serait érigée en stratégie menant à l’abandon de la cause nationale… Nous avons commencé par la libération totale puis nous avons recherché la libération de toute portion de la Palestine et maintenant nous traitons le plan Reagan comme s’il s’agissait d’un plan patriotique.»(4)
Un autre membre du Fatah, le colonel Abu Khaled al-Oumlet, abonda dans le même sens: «Nous voulons que l’OLP soit une organisation de libération efficace et non une agence immobilière chargée de la vente de la Palestine.»(4)
Un constat que le célèbre poète Mahmud Darwich exprima ainsi:
«J’ai pu sentir à quel point le Palestinien était capable d’énergie, de sacrifices pour réaliser son rêve; bien plus que ses dirigeants. Je ne parle pas de notre direction mais des cadres moyens corrompus. Cette catégorie est un très mauvais conducteur de l’énergie de la base vers la direction et un très mauvais transmetteur des directives de cette même direction à sa base.»(4)
Est-il nécessaire de souligner que les propos du poète qui dénonça par ailleurs les Accords d’Oslo sont toujours d’actualité?
Une actualité qui exige de toutes les forces politiques palestiniennes d’être à l’écoute du peuple palestinien en commençant par apprendre de l’ennemi qui, face au danger, sait taire les 'querelles de voisinage', pour faire face à l’ennemi principal.
Le programme à venir des forces palestiniennes est de mettre fin aux divisions politiques entre les différentes tendances palestiniennes et de les rassembler autour d’une même Résistance populaire et militaire.
Et c’est possible à condition d’admettre qu’il y a un invariant historique: l’indivisibilité territoriale de la Palestine, et que l’Occident ne se situe pas au Moyen-Orient!
Notes:
(1)http://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/153655
(3)Eric hazan, Eyal Sivan. Un Etat commun. Edition La fabrique. p. 16 et 46
(4)Revue d’études palestiniennes N°10. Hiver 1984. Interview d’ Abou Moussa par le journal britannique Guardian: p.137 et 138. Propos d’Abou Khaled, p.150… Entretien avec M.Darwich: p.19
Mohamed El Bachir -
08.06.20
Source: Mondialisation.ca