Interview avec David Cronin
Si les américains ont eu droit au fabuleux travail de John Mearsheimer et Stephen Walt dans leur ouvrage intitulé « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine », l’Europe n’a pas à rougir puisque le journaliste irlandais David Cronin nous livre un remarquable ouvrage sur les relations entre l’Union Européenne et Israël sous le titre « Europe Israël : Une alliance contre-nature », publié aux éditions La Guillotine.
David Cronin sait de quoi il parle puisqu’il a fréquenté durant sa carrière de journaliste énormément de hauts fonctionnaires et diplomates européens. Si l’UE nous rappelle sans cesse qu’elle est la plus grande donatrice de l’Autorité Palestinienne, elle est aussi le plus grand soutien à l’occupation israélienne. David Cronin, à travers ce livre, nous montre comment Israël – considéré comme le 51e Etat des Etats-Unis d’Amérique – tisse désormais des liens très étroits avec l’Union Européenne. L’enquête de M. Cronin nous démontre comment les partenariats concernant le domaine civil permettent aussi le développement du domaine militaire israélien, donc du massacre des palestiniens durant chaque conflit.
Le Cercle des Volontaires a eu l’immense privilège d’aller à la rencontre de David Cronin afin de parler des relations qu’entretient l’Union Européenne avec Israël. L’entretien est publié ci-dessous en format audio et en version texte.
Mais avant, nous aimerions remercier Cédric Rutter pour ce fabuleux travail de traduction et de publication de l’ouvrage de M. Cronin afin d’en faire profiter le public francophone. Son association, « La Guillotine« , est une association loi 1901 dont l’objet est de faciliter la production et la diffusion d’œuvres écrites ou audiovisuelles qui n’ont pas la possibilité d’accéder aux circuits commerciaux classiques. Ceci est le premier livre publié par cette jeune association et les fonds seront utilisés afin de réaliser de futures publications.
Voici la retranscription de l’entretien :
Cercle des Volontaires : Bonjour monsieur Cronin, pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas ?
David Cronin : Je suis journaliste irlandais, j’habite à Bruxelles depuis nonante cinq maintenant, quatre-vingt-quinze comme en dit en France (rires) et je m’occupe principalement de politique européenne. J’ai écrit un livre sur les liens entre l’Union Européenne et Israël qui s’appelle « Europe Israël : Une alliance contre-nature et il était publié avant en anglais, et disponible maintenant en français.
CdV : Et concernant votre carrière journalistique ?
DC : J’ai travaillé avec beaucoup de journaux différents. Pendant les années 90 j’étais le correspondant bruxellois pour le journal irlandais « The Sunday Tribune ». Après ça, j’ai travaillé avec « European Voice », un journal qui est focalisé sur la politique européenne et aussi, plus récemment, j’écris des articles pour « The Guardian » en Angleterre et aussi pour « The Wall Street Journal Europe », pour l’agence de presse « Inter Press Service » et pour l’instant je suis rédacteur avec « The Electronic Intifada », une website qui s’occupe de la Palestine et du conflit israélo-palestinien.
CdV : Fondé par un journaliste américain.
DC : Un journaliste palestinien, Ali Abunimah, qui est le fils de réfugiés palestiniens qui étaient expulsés par les sionistes pendant les années quarante. Ali a grandi à Londres et ici à Bruxelles mais pour le moment il habite à Chicago. Il est citoyen des États-Unis.
CdV : Ce soutien de l’Union Européenne à Israël est-il dû à sa responsabilité par le passé dans l’holocauste ou est-ce un véritable travail de lobbying qui s’effectue au sein des institutions européennes ?
DC : Il y plusieurs questions importantes. Sans aucun doute il y a une culpabilité de l’Europe dans l’holocauste, c’est une question très importante. Il y a aucun doute à mon avis qu’on doit tout faire pour éviter quelque chose comme un autre « holocauste », je suis tout à fait clair sur cette question. Mais il y a aussi des lobbys sionistes ici à Bruxelles et internationalement qui ont décidé d’abuser de l’holocauste et qui ont décidé en particulier d’utiliser l’holocauste pour empêcher presque toute critique contre Israël. Je peux te donner un exemple concret de ça. Le 22 janvier, il y a eu une cérémonie prévue au parlement européen à Bruxelles pour rendre hommage à toutes les victimes de l’holocauste. Cette cérémonie est organisée par deux groupes sionistes : The European Jewish Congress et European Friends of Israel. Chaque fois qu’on parle sur Israël, ils disent que l’Union Européenne doit soutenir Israël pour adresser sa culpabilité dans l’holocauste. A mon avis c’est super intéressant ce que le lobby sioniste fait. Ils ont invité par exemple le président du parlement européen Martin Schulz à cette cérémonie et il a accepté cette invitation. Il a en effet décidé d’embrasser le lobby pro-Israël ou sioniste à Bruxelles, même si ce lobby a soutenu les derniers crimes de guerres d’Israël. Par exemple le mois de novembre 2012, Israël a lancé une offensive contre Gaza pendant huit jours et le lobby ici à Bruxelles a soutenu à 100% cette opération. Ils ont dit que toute la faute était du Hamas. C’est vraiment un mensonge. Mais le président du parlement européen a décidé en effet d’avaler ce mensonge avec son alliance avec ce lobby sioniste. Et à mon avis, c’est dégueulasse, vraiment dégueulasse que le lobby sioniste a décidé d’utiliser l’holocauste et toutes les souffrances des juifs en Europe dans une propagande pour soutenir Israël et tous les crimes de ce pays.
CdV : Vous citez dans votre ouvrage une phrase de Benjamin Netanyahou lors de son premier mandat en tant que premier ministre israélien dans les années 90 à un député espagnol lui rappelant l’illégalité de l’occupation israélienne dans les territoires palestiniens. Il lui dit : « Vous, européens, ne regardez que ce qu’il se passe au-dessus de la table. Si vous regardiez en dessous, vous verriez que nous tenons les américains par les couilles ». La question est la suivante : quel est le rapport de force d’Israël sur les États-Unis et vice versa ?
DC : Israël veut penser qu’ils sont les maîtres de l’Union Européenne mais aussi des États-Unis. Je n’ai pas étudié ce sujet d’une manière plus profonde mais tout récemment avec cette question du nouveau secrétaire à la défense américaine Chuck Hagel et le fait qu’il ait dit une ou deux choses un peu critiques sur Israël. Il y a des gens qui ont dit que sa nomination était une grande défaite pour le lobby israélien sioniste aux États-Unis. A mon avis la situation est plus nuancée que ça. Peut-être que les israéliens ne sont pas très heureux avec la nomination de M. Hagel, mais quand même, c’est intéressant que pendant la semaine passée, M. Hagel a dit beaucoup de choses pour rassurer les israéliens qu’il est vraiment un ami d’Israël. Si je peux retourner à ta question sur la puissance du lobby sioniste aux États-Unis. Certainement il y a le lobby sioniste et est très puissant. On peut voir des exemples concrets, comme dans le livre de Mearsheimet et Walt, « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine », des cas quand le lobby sioniste a décidé de détruire les carrières d’hommes politique du Congrès qui avaient l’audace de critiquer Israël. Mais il y a aussi un lobby très puissant aux USA qui s’appelle le lobby des armements, de la guerre. On peut parler de Lockheed Martin, le fabricant des armements américains et qui sont un des fournisseurs principaux de Tsahal. Quand Barack Obama et les USA décident de donner à Israël 3 milliards de dollars par an en aides militaires, c’est aussi une subvention pour Lockheed Martin, c’est Lockheed Martin qui est le bénéficiaire principal de ces décisions. Et certainement il y a des gens qui disent que le lobby israélien est super puissant et que c’est la seule explication du lien très étroit entre les USA et l’Union Européenne. A mon avis, je suis d’accord de dire que le lobby est une question clef et qu’il est puissant, mais ce n’est pas la seule question importante, il y a aussi le lobby des armements et le fait que l’administration américaine a décidé que le fait d’aider Israël est une bonne chose pour l’industrie de guerre américaine. Sans aucun doute il y a un débat intéressant qui a commencé récemment. Je crois que c’était David Petreus, ancien chef de la CIA, qui a dit, j’ai oublié ses mots exactes, a dit que l’alliance entre les USA et Israël est un problème diplomatique pour les USA. En effet, j’imagine qu’il a parlé sur le fait qu’il y a des gouvernements arabes qui ont des liens aussi forts avec les USA mais qui sont un peu « jaloux » que les États-Unis soient si sympathiques avec Israël. C’est intéressant qu’il ait parlé que de ce lien stratégique et que peut-être l’alliance entre les États-Unis et Israël empêche le développement des relations avec les autres pays arabes importants qui sont, entre guillemets. C’est intéressant qu’il ne parle que de la question stratégique et non de la moralité ou des droits de l’homme. Ce n’est pas une priorité pour les États-Unis, doit-on dire. C’est la vérité, la vérité simple.
CdV : Lorsque Daniel Cohn-Bendit, par exemple, dit à Catherine Ashton au parlement européen d’arrêter de « regretter » la politique de colonisation d’Israël, mais de commencer à « condamner ». Qu’est-ce qui empêche donc l’UE d’agir contre la colonisation israélienne ?
DC : C’est une question très intéressante, c’est difficile de donner une réponse claire à cette question, mais je peux essayer quand même. D’abord, tu as raison… Déjà, je n’aime pas beaucoup Daniel Cohn-Bendit pour la vérité…
CdV : Je l’avais plutôt cité pour le contenu de son intervention
DC : Je comprends, mais je suis d’accord avec son analyse dans ce cas particulier. Si on parle un peu sur les relations économiques entre Israël et l’UE, elles sont toutes basées sur des accords, des partenariats et des associations qui entrent en vigueur pendant l’an 2000. L’article 2 de cet accord dit que toutes les préférences commerciales que l’UE offre à Israël sont conditionnelles sur le respect des droits de l’homme. Mais maintenant nous sommes en 2013 et entre temps, Israël a commis beaucoup de crimes de guerre et beaucoup de violations des droits de l’homme. Qu’est-ce que l’Union Européenne a fait ? Rien. Rien du tout. On doit se demander pourquoi l’UE n’a décidé de rien faire. Peut-être qu’on peut comprendre pourquoi l’UE n’a rien fait si on étudie les grands enjeux géostratégiques qui se sont déroulés depuis 2011 et en particulier depuis le 11 septembre 2001 et les guerres contre la terreur que Bush a déclarés. Israël a joué un rôle très intelligent – si ça c’est un bon rôle – durant tous ces « jeux ». Tout de suite après les évènements du 11septembre 2001, le gouvernement israélien a dit qu’on comprend la souffrance des américains car on a la même situation en Israël. Ce n’est pas du tout honnête, mais ils l’ont dit. L’UE et les USA ont décidés d’accepter cette explication et maintenant c’est très intéressant si on lit le livre de Naomie Klein, « La stratégie du choc », on peut comprendre comment Israël a décidé d’utiliser les guerres contre la terreur pour partir dans l’industrie de la sécurité entre guillemets, de surveillance. C’est un euphémisme qu’on puisse l’utiliser. L’UE a aussi décidé de partir dans l’industrie de sécurité et a décidé de consacrer beaucoup de subventions dans le domaine de la recherche scientifique pour le développement de l’industrie de la sécurité. Et j’ai parlé avec plusieurs fonctionnaires européens qui m’ont dit que si l’UE veut développer son industrie technologique, il est nécessaire d’avoir de très bonnes relations avec Israël car Israël est considéré comme un leader dans le monde de la technologie, l’informatique civile et aussi militaire. En privé, des fonctionnaires européens avec qui j’ai parlé ont admis qu’il n’y a pas de séparation entre l’industrie de technologie civile et la fabrication des armements en Israël, ils ont tout de lié. Mais officiellement, la Commission européenne en particulier dit que tous ces projets de recherche sont des projets civils et qu’il n’y a pas des aspects militaires. On peut parler de ça après mais à mon avis, cette explication est malhonnête. Lorsque l’UE décide de subventionner des sociétés comme Elbit ou Israel Aerospace Industries, les grands fabricants des armements israéliens, l’UE subventionne l’occupation de la Palestine. Il n’y a pas de distinction, on ne peut pas séparer ces choses. On ne peut pas dire que l’UE soutient uniquement le civil Israélien. Israël est vraiment un pays très militarisé.
CdV : Vous l’avez vu dans vos voyages que le militaire est partout
DC : Absolument, ils sont partout ! En retournant à la question que tu as posé. Pourquoi l’UE ne fait rien ? A mon avis, tout est lié avec l’influence d’Israël dans les évènements des douze années passées et qu’Israël a décidé d’exploiter la situation après le 11 septembre 2001.
CdV : Vous évoquez dans votre ouvrage les discussions dans les cercles universitaires israéliens de l’idée d’une adhésion d’Israël dans l’Union Européenne. Cette idée est-elle sérieuse et comment est-elle perçue à la fois par les responsables européens ainsi que les citoyens ?
DC : Certainement il y a quelques universitaires qui ont proposés l’idée qu’Israël peut devenir un membre de l’UE. A mon avis, il n’y a pas une grande possibilité qu’Israël puisse devenir membre de l’UE. Mais même si Israël n’est pas officiellement membre de l’UE, il participe avec beaucoup de programmes européens.
CdV : Javier Solana l’avait dit…
DC : Exactement ! Javier Solana, le haut représentant de l’UE a dit en 2009 je crois qu’Israël est vraiment un partenaire clé pour l’UE et qu’il est en effet un État membre de l’UE sans être membre par ses institutions. Et depuis cette déclaration de M. Solana, les relations entre l’UE et Israël sont devenues de plus en plus en trans. D’un côté, l’UE critique Israël, par exemple avec la construction de nouvelles colonies en Cisjordanie. Catherine Ashton a fait des déclarations raisonnablement claires et fortes contre ces constructions, mais en même temps l’UE a décidé pendant le mois de juillet 2012 d’améliorer les relations avec Israël, j’ai oublié le chiffre exact, mais dans beaucoup de domaines différents. On parle par exemple sur les coopérations dans le domaine de la police, on parle beaucoup des questions commerciales, on parle aussi je crois sur la navigation, le transport, l’aviation.
CdV : Et l’aérospatial dont vous parlez (dans votre livre)
DC : Exactement. Beaucoup de questions importantes sur les niveaux économiques. Même la semaine lorsque l’UE a décidé d’améliorer ses relations avec Israël en juillet, Israël a annoncé qu’il voulait détruire beaucoup de propriétés palestiniennes à côté d’Hébron, dans les collines. Chaque fois qu’Israël annonce des décisions pareilles, l’UE dit : « Oh, c’est scandaleux ! Nous sommes vraiment contre ça ! », mais si l’UE est vraiment contre ça, pourquoi a-t-elle décidé la même semaine d’améliorer ses relations avec Israël ? Ce n’est pas du tout une politique cohérente et on doit se demander pourquoi la politique n’est pas cohérente. Pourquoi l’UE fait de beaux gestes sur les droits de l’homme mais quand il y a des intérêts économiques, elle ne respecte plus sa propre politique. Naturellement, le cas d’Israël est très intéressant. On peut vraiment comprendre comment l’UE est vraiment hypocrite sur la question des droits de l’homme quand on étudie les relations entre ces deux parties.
CdV : En 2012, 6676 nouveaux logements ont été construits en Cisjordanie. Plus la judaïsation constante de Jérusalem-Est et Mahmoud Abbas qui avait menacé de dissoudre l’Autorité palestinienne. Quelles seront les conséquences si cette décision venait à être prise ?
DC : OK. La question sur l’Autorité palestinienne. Comme j’ai dit, l’UE est le plus grand donateur de l’Autorité palestinienne. Et Catherine Ashton donne tout le temps l’impression que c’est une chose formidable que les européens sont très chaleureux et généreux avec les palestiniens. Mais elle n’explique jamais que le droit international est très clair. Selon le droit international, c’est la responsabilité de l’occupant de financer les besoins fondamentaux des peuples occupés. La vérité alors c’est que c’est l’Europe qui finance l’Autorité palestinienne. Quand ils financent des services en Cisjordanie par exemple, l’UE finance l’occupation, c’est la vérité. Je comprends bien, bien sûr que les palestiniens ont le droit à ces services, à des hôpitaux, des écoles, etc, c’est important qu’ils soient financés et je n’ai jamais demandé à ce que l’UE coupe son aide, mais je demande l’honnêteté et que Catherine Ashton ne donne pas l’impression que ça soit une bonne chose que l’UE finance l’Autorité palestinienne et qu’elle dise la vérité, que l’UE finance l’occupation. En particulier, elle insiste sur le fait qu’Israël assume sa responsabilité. Quand Israël détruit des projets financés par le contribuable européen, que l’UE commence un processus contre Israël. Jusqu’à maintenant, les institutions européennes, en particulier la commission européenne, a refusé de débuter un processus contre Israël. On doit demander pourquoi l’UE a décidé de soutenir des gens comme Mahmoud Abbas et Salam Fayyad, le premier ministre palestinien. Salam Fayyad n’est pas un premier ministre élu, il était nommé parce qu’il est un ancien fonctionnaire du Fonds Monétaire International (FMI) et qu’il est en effet dans la même doctrine économique, néolibérale que l’Union Européenne, une doctrine qu’il suit religieusement. Si on regarde par exemple toutes les décisions que l’UE a prise sur les situations économiques en Grèce, en Irlande, en Espagne par exemple, elles sont toutes motivées par la doctrine néolibérale. C’est super intéressant que l’UE rende hommage à alam Fayyad régulièrement parce qu’il est en effet une marionnette pour les donateurs comme l’UE. L’Union Européenne a décidé aussi de financer une mission de sécurité, entre guillemets, en Cisjordanie. La mission s’appelle « COPPS ». Officiellement, le but de cette mission est de développer une force de police palestinienne pour préparer les palestiniens à prendre ses responsabilités lorsqu’elle deviendra un État. Officieusement, la vraie raison du financement européen de cette mission de sécurité est de développer la coopération entre les services de sécurité palestinienne et israélienne. En effet l’UE a décidé de financer le développement de relations plus profondes entre l’occupant et l’occupé. Il a été décidé que les palestiniens peuvent être les gendarmes, les policiers de leur propre occupation.
CdV : Didier Reynders, ministre belge des affaires étrangères, a salué l’adhésion de la Palestine en tant qu’État observateur au sein de l’ONU en disant : « Ce vote constitue une avancée significative vers la création d’un État de Palestine que la Belgique et la communauté internationale appellent de leurs vœux. Mais la Belgique estime que la véritable avancée sera réalisée quand les Palestiniens pourront bénéficier sur le terrain d’un futur État disposant des institutions, du personnel et des équipements nécessaires à son bon fonctionnement ». Il rajoute, « La Belgique a voté en faveur du projet de résolution car elle partage pleinement l’objectif visé, à savoir une solution à deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, avec un futur État de Palestine qui soit démocratique, viable et durable. La solution des deux États est en effet la seule solution possible au conflit israélo-palestinien et tous les efforts doivent être menés dans ce sens » (source BELGA). Là, différentes questions se posent : l’idée de deux États est-elle la seule solution possible ? Et si oui, sous quelles frontières ? De quelle démocratie palestinienne l’UE veut-elle lorsqu’on voit sa réaction face à la victoire du Hamas ?
DC : En 2006, il y a une élection en Palestine. L’UE a envoyé des observateurs à cette élection. Le chef de l’équipe d’observation est un député européen Edward McMillan-Scott, a dit que cette élection était libre est juste. Elle est un modèle pour le monde arabe et le Hamas est devenu le parti majoritaire avec cette élection. Selon l’UE, on ne peut pas tolérer cet exercice démocratique parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec le résultat. Et à cause de ça, ils ont décidé de boycotter l’administration qui était formée dans les territoires occupés. Le journaliste israélien Gilat Levy a dit qu’à son avis, c’est le premier cas dans l’Histoire qu’une administration dans les territoires occupés était la cible d’un boycott. C’est un exemple de l’hypocrisie des représentants européens qui parlent toujours de l’importance des droits de l’homme et de la démocratie. Mais lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec le résultat de cet exercice démocratique, ils décident d’annuler cet exercice démocratique. Sur la question des deux États, à mon avis, c’est une question pour les palestiniens et en tant qu’irlandais, je ne peux pas régler cette question. Si tu demandes mon avis personnel, c’est trop tard pour parler de deux États, on ne peut pas envisager un État palestinien viable et à mon avis, c’est mieux de parler de la possibilité de la solution à un État.
CdV : Mais la problématique se pose sur le fait que tous les responsables européens nous font croire qu’il n’existe qu’une seule et unique solution : la séparation. Personne ne parle d’avoir un seul Etat.
DC : J’ai lu un article tout récemment d’un jeune militante sud-africaine. J’ai oublié son nom mais elle a milité contre l’apartheid en Afrique du Sud. Elle a dit que tout ce discours sur deux États est vraiment similaire aux discours en Afrique du Sud pendant son époque d’apartheid. Tu peux voir les discours sur les bantoustans par exemple. A mon avis, si l’UE veut la continuation d’une politique d’apartheid israélienne, la meilleure chose à faire et d’avoir une solution de deux États. On peut voir l’ancien conseiller de Netanyahou je crois, qui a dit que la stratégie d’Israël est de vraiment contrôler la plupart de la Cisjordanie et de contenir les palestiniens dans de tout petits morceaux.
CdV : On le voit bien avec cette carte qu’on appelle « l’archipel de Cisjordanie ».
DC : Exactement. Ce monsieur a dit qu’on doit régler cette situation et finalement, on pourra donner un petit morceau de Cisjordanie aux palestiniens. Et si les palestiniens veulent affirmer que c’est leur État, ils peuvent dire ça ou s’ils veulent appeler cette solution « fried chicken », du poulet sauté, ils peuvent dire ça. Israël comprend qu’il ne peut pas. Pendant les années 80 (ndlr : correction, 1948), on avait la naqba, la catastrophe où Israël a expulsé beaucoup de palestiniens. Peut-être M. Lieberman et des gens comme ça veulent expulser les palestiniens, mais la plupart des hommes politiques israéliens comprennent maintenant qu’il y a des palestiniens qui restent en Palestine. Mais ils ont décidés quand même les palestiniens dans un petit coin de Cisjordanie. Et avec toute la construction du mur et ces évènements en Cisjordanie, les couloirs entre Jérusalem-Est et la Cisjordanie et toutes ces constructions des colonies. C’est vraiment lié avec une stratégie pour voler la plupart des terres de Cisjordanie et toutes les ressources essentielles, de l’eau, etc. etc… Les minéraux et de laisser les palestiniens avec un tout petit peu de leur propre paix.
CdV : Quel impact ont des artistes engagés comme Ken Loach, Roger Waters ou Gilat Atzmon à titre d’exemple ?
DC : Je ne sais pas sur Gilat Atzmon parce que je n’ai pas lu ses livres mais j’ai des amis que je respecte qui m’ont dit qu’Atzmon a dit des choses très problématiques. Je ne sais pas s’il est un bon exemple mais certainement Ken Loach, Roger Waters ou Elvis Costello par exemple qui a décidé de boycotter Israël. J’ai parlé avec un homme qui travaille pour la campagne BDS contre Israël et a dit que de jeunes israéliens apparemment ne sont pas du tout contents que tous les musiciens « cools » en effet, pas tous, mais beaucoup de musiciens « cools » ont décidés qu’ils ne peuvent pas organiser de concerts à Tel-Aviv à cause du boycott d’Israël et que les seuls musiciens qu’ils peuvent voir sont de vieux types comme Elton John et tout ça (rires). On peut dire que c’est une chose de comique d’une certaine manière, mais aussi c’est très important : Israël veut donner l’impression que c’est un pays « normal ». Il veut utiliser la culture et les arts pour cette raison. Quand des musiciens décident de ne pas faire de concerts à Tel-Aviv, c’est vraiment quelque chose qu’Israël ne peut pas supporter. C’est vraiment une insulte pour Israël et pour tous ses efforts de propagande où ils donnent l’impression qu’Israël est un pays très libéral, très cool et très sexy sur le niveau artistique et culturel. A mon avis ce boycott culturel est vraiment quelque chose de très important. Comme je suis assez âgé de me souvenir des années 80 avec des artistes – comme Bruce Springsteen par exemple – ont décidés de ne pas donner de concerts en Afrique du Sud. C’est une des raisons pour laquelle j’ai décidé d’agir contre l’apartheid en Afrique du Sud, c’est l’effet de ces chanteurs que j’aimais à cette époque et qui décident de ne pas soutenir l’apartheid. C’est la même chose maintenant j’imagine. Désormais j’ai quarante-et-un ans et je ne suis plus « teenager », mais j’étais une fois un teenager et j’imagine qu’un teenager peut apprendre beaucoup de choses si son chanteur ou chanteuse préféré décide de boycotter Israël. Il y a beaucoup de jeunes qui ont reçus leur éducation politique par la musique, avec de grands chanteurs engagé. Moi j’ai appris beaucoup de choses sur la politique par la musique et la culture, qui peuvent éduquer ! C’est vraiment une chose pour la sensibilisation du peuple.
CdV : J’aimerais que vous reveniez à cette « arrestation citoyenne » que vous avez décidé de faire contre l’ancien ministre des affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman. Lors de son entrée dans la salle pour une conférence de presse, vous vous êtes levé et lui aviez dit : « Monsieur Lieberman, ceci est une arrestation citoyenne. Vous êtes accusé du crime d’apartheid, veuillez me suivre au poste de police le plus proche », avant de vous faire expulser de la salle par des agents de sécurité tout en criant : « Free Palestine ».
DC : En effet, j’ai fait ça deux fois. J’ai fait une tentative de faire une « arrestation citoyenne » d’Avigdor Lieberman en 2011 et aussi en 2012. Et à chaque fois j’ai dit à M. Lieberman que j’ai décidé de faire cette arrestation citoyenne parce que, à mon avis, il a commis le crime d’apartheid. Si on étudie la définition officielle des Nations Unies sur la question de l’apartheid, elle dit que l’apartheid est une situation quand une « race », un groupe ethnique est dominant sur une autre race, un autre groupe ethnique. Et à mon avis, il n’y a aucun doute qu’on ait cette situation en Israël et en Palestine. Israël a décidé que les juifs israéliens peuvent avoir plus de droits que les palestiniens. J’ai décidé de faire cette arrestation citoyenne numéro un pour souligner le fait qu’Israël est un Etat d’apartheid et la numéro deux pour souligner que Lieberman est coupable pour le durcissement de l’apartheid en Israël. La situation en Israël/Palestine était déjà dégueulasse avant la nomination de M. Lieberman comme vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères en 2010 mais pendant les trois années passées, il est devenu encore pire. Et son parti, « Israël Beytenou » a sponsorisé beaucoup de lois au Knesset, le parlement israélien, pour durcir l’apartheid sur les palestiniens. Par exemple, la minorité palestinienne en Israël même n’a pas beaucoup de voix. En tout cas, M. Lieberman et ses camarades ont décidés de réduire quand même les lois de la minorité palestinienne en Israël même. Ils ont décidés par exemple de couper le financement des institutions qui organisent des cérémonies pour commémorer la naqba, la catastrophe, la fondation de l’Etat d’Israël, une catastrophe pour les palestiniens. En effet, Lieberman et ses camarades veulent effacer la vérité sur Israël et ses crimes contre le peuple palestinien.
CdV : Au vu de vos voyages en Israël et en Palestine, comment est la vie quotidienne de ces deux populations et quel regard ont-elles l’une par rapport à l’autre ?
DC : Oui, c’est intéressant. Par exemple, je peux te donner un exemple intéressant. En 2009, j’ai visité Gaza après l’opération « plomb durci » et j’étais vraiment déprimé par toutes les choses que j’ai vu, les destructions que j’ai vu et tout ça. Après ma visite à Gaza, j’ai passé quelques jours à Tel-Aviv parce que j’avais des rencontres avec des diplomates. Et naturellement, lorsque j’avais un peu de temps libre à Tel-Aviv, j’ai visité la plage et il n’y a pas une grande distance géographiquement entre Tel-Aviv et Gaza, mais psychologiquement, il y une grande distance. En effet, les citoyens qui habitent à Gaza et ceux qui habitent à Tel-Aviv peuvent regarder la même mer Méditerranée. A Gaza, des pêcheurs palestiniens sont des cibles pour Tsahal. Il y a beaucoup de cas, réguliers, lorsque les pêcheurs font leur travail quotidien et sont bombardés par Tsahal. Ça c’est à Gaza. A Tel-Aviv, les gens peuvent s’amuser à la plage lorsqu’ils veulent : il n’y a pas cette menace chez eux. C’est vrai, on ne peut pas dire que c’est un paradis et qu’il y a des problèmes sociaux en Israël. Le problème le plus inquiétant c’est que les gens n’ont aucune idée comment les gens de Gaza habitent. Avec la propagande israélienne, quand ils parlent e Gaza, ils disent « oouuuhhh ! Le Hamas, les bombes ! ». Ils ne se posent jamais sur le fait qu’Israël a décidé de faire un blocus très cruel. Ils ont décidé d’imposer un blocus très cruel sur la population de Gaza. Je me souviens, un samedi, je faisais une petite promenade à côté de la place à Tel-Aviv et il y a des dames, peut-être un ou deux hommes aussi, qui faisaient du yoga et qui avaient une pétition pour soutenir le mouvement de Falun gong en Chine. Naturellement, ils ont le droit de soutenir le falun gong et les autres chinois qui sont persécutés. J’ai parlé à une des dames et lui ai dit : « Vous êtes d’Israël ? – Oui. – Et votre gouvernement a décidé de mener une politique très cruel contre les palestiniens. Comme israélienne, pensez-vous que vous avez plus de devoirs de critiquer votre propre gouvernement que de critiquer le gouvernement chinois. » Et cette dame me dit qu’elle n’est pas d’accord avec la politique de son gouvernement mais qu’elle veut quand même critiquer le gouvernement chinois. J’ai oublié ses mots exacts mais c’est quelque chose de similaire qu’elle me dit. Ce n’est qu’une conversation, mais quand même, on peut apprendre sur la mentalité de gens lorsqu’on a des conversations comme ça. A mon avis, c’est intéressant que l’occupation et tous les crimes d’Israël contre les palestiniens est considéré comme un tabou en Israël. Par exemple lors des manifestations de l’été 2011 à Tel-Aviv, les militants ont beaucoup critiqué la politique sociale et économique de Netanyahou. Mais ils n’ont presque rien dit ! Peut-être avec deux ou trois expressions, mais les militants n’ont presque rien dit sur les questions les plus importantes pour les israéliens et palestiniens, par exemple l’occupation. C’est vraiment une question taboue en Israël.
CdV : Une dernière question. Quels sont vos projets futurs ?
DC : Oui, j’écris un autre livre qui sortira en juin. Il s’occupe sur la puissance des grandes entreprises ici à Bruxelles et le lobbying en effet de ces corporates, ces lobbys liés aux grandes entreprises. Ce livre sort en juin. A part ça, je n’ai pas e grands projets. J’ai passé la plupart de l’an passé avec la recherche pour ce livre et à cause de ça je n’avais plus assez de temps pour faire assez de blogging sur la Palestine et sur les relations entre l’UE et Israël. Heureusement j’ai recommencé à faire le blogging pour l’electronic intifada. J’ai continué mes recherches sur les relations entre l’UE et Israël parce que, à mon avis, j’ai parlé sur le tabou de l’occupation, mais la vérité sur les relations entre l’UE et Israël est comme un tabou ici en Europe. Il n’y a pas beaucoup de journalistes s’occupant de ça et chaque fois quand Catherine Ashton fait un communiqué sur les constructions de nouveaux logement en Cisjordanie, il y a beaucoup de journalistes qui font des papiers sur les derniers communiqués sans les analyser de manière plus profonde sur la complicité de l’UE avec les crimes d’Israël. C’est très rare de voir ces articles dans nos journaux. C’est la vérité des relations entre nos gouvernements, nos institutions et Israël.
Propos recueillis par E.I. Anass
association pour l'édition et la production