FREE PALESTINE
26 mai 2008

Le lobby inexistant et le Commissariat politique informel.

Said Mekki : Le lobby inexistant et le Commissariat politique informel.

Ainsi, nous l’avons lu dans l’édition du 19 mai d’hier d’Algérie-News, selon un chercheur qualifié de l’Institut Français des Relations Internationales, il n’y aurait pas de lobby sioniste en France. Ce constat est appuyé par un jugement plutôt sévère pour ceux qui penseraient le contraire : ce serait un « pur fantasme ». Il n’y aurait selon l’expert « que des groupes d’intérêts pro-israéliens ». Il n’est pas précisé ce qui est entendu par cette formule : s’agirait-il de cercles d’amis partageant les mêmes convictions, de réseaux d’influence, de sociétés anonymes, de GIE ? Ainsi donc, selon cet observateur éminemment qualifié, la perception d’une sensibilité philo-sioniste dans les médias dominants et à la tête des appareils politiques relèverait manifestement d’une sorte de paranoïa qui affecterait des secteurs de l’opinion particulièrement sensibles aux préjugés les plus répréhensibles.

Dans sa représentation apostolique de la société politique hexagonale, ce chercheur brosse un tableau où les positions des principaux partis et des médias seraient plutôt équilibrées et tendrait à une sorte d’équidistance entre la position d’Israël et celle des palestiniens. À l’appui de sa fulgurante démonstration, il cite comme exemple le fait que des journaux — dont la diffusion est plutôt restreinte — expriment des positions pro-palestiniennes. L’argument ferait sourire s’il n’avait été émis par un citoyen ne se prévalant pas d’une appartenance à une académie aussi prestigieuse que l’IFRI, dont par ailleurs, l’un des dirigeants les plus influents compte parmi les plus ardents et des plus subtils défenseurs d’Israël en France.

On ne fera pas l’injure aux lecteurs d’énumérer les émissions des principaux médias et les lignes éditoriales des plus grands journaux parisiens qui balancent entre apologie directe d’Israël et islamo-arabophobie plus ou moins affirmée. Les téléspectateurs voient et connaissent parfaitement ce personnel médiatico-politique qui constitue, au-delà des différences partisanes de plus en plus ténues, une sorte de commissariat politique informel chargé d’énoncer la bien-pensance, la pensée conforme et de formater l’opinion. C’est ce commissariat qui donne le la des indignations collectives — on l’a vu de manière caricaturale lors de la récente campagne antichinoise — et qui relaie les éloges. Beaucoup de français — de souche française, précisons le en ces temps identitaires — n’en sont pas dupes non plus.

Mais, dans le climat actuel, la moindre critique de cette hégémonie médiatique et politique risque d’entrainer l’accusation la plus infamante, la plus stigmatisante — l’équivalent « laïc » du blasphème —qui soit : celle d’être antisémite. Cela vaut mise à l’index, d’être associé à Adolf Hitler et implicitement complice de génocide. Face à cette bombe atomique verbale, toutes les justifications du monde sont inopérantes. Et le syllogisme marche à plein : être anti-sioniste signifie être anti-juif donc nazi. Inutile de répondre que cet enchaînement est absurde. Cela ajouterait l’accusation de duplicité à l’insulte suprême. Pascal Boniface, directeur d’un autre institut de géostratégie, en avait fait les frais en démissionnant du Parti Socialiste qui, selon lui (mais qui en douterait ?) traiterait le conflit israélo-palestinien de manière « ethnique ». Face au déferlement de critiques qui l’avaient pris pour une cible, il avait publié un livre au titre éloquent : Peut-on critiquer Israël ?. La réponse va de soi : il ne saurait en être question.

Dans ce climat peu propice au débat, l’antisionisme, même quand il est le fait de citoyens de confession juive, est confondu allègrement avec antisémitisme. Même Edgar Morin n’a pas échappé à la vindicte de ces milieux. Souvenons-nous des déclarations racistes d’un philosophe de troisième zone érigé par les médias en penseur ultime de la Civilisation lors des émeutes de banlieue en 2006. Ce personnage omniprésent sur les écrans anime une émission sur une radio publique, écrit dans les journaux qui comptent, comme la petite phalange de journalistes, d’écrivains, de philosophes, d’historiens, chargés de l’édification du public. Ils sont dans les conseils d’administration des télévisions « culturelles » et des maisons d’édition les plus importantes. C’est cette élite qui constitue ce commissariat politique informel qui guide la pensée dominante. On les connaît tous sans forcément connaître leurs différentes cartes de visites.

L’expert en question pourra nous répondre, qu’il ne s’agit pas d’un lobby stricto-sensu, au sens américain du terme. Le commissariat politique n’a pas d’existence légale à l’instar de l’AIPAC aux États-Unis. Ce collège recrute par cooptation sur la base de l’identité de vue et de l’adhésion à la même représentation dans les multiples réseaux dans les cercles universitaires et médiatiques. Sa capacité de nuisance est redoutable grâce à son entregent et à un indiscutable savoir-faire médiatique. La diabolisation de Tariq Ramadan avait été un chef d’œuvre de démolition de l’individu, de ce qu’il représente, en permanence soupçonné des pires intentions, et des idées qu’il défend, présentées comme formant une idéologie aussi perverse que dangereuse [1].

Mais est-il besoin de remonter loin dans l’histoire ? L’actualité fournit en permanence de nombreux exemples de ce biais. Quand un député français nostalgique de l’OAS traite les palestiniens de sous-hommes, il n’a droit qu’à une aimable admonestation, en revanche quand un fonctionnaire, le ci-devant sous-préfet Bruno Guigue, publie un article critiquant Israël, il est relevé de ses fonctions avec pertes et fracas. Dans un article publié le 19 mai et intitulé « la France parle au Hamas », Christophe Malbrunot note que selon le Quai d’Orsay « on s’attend à une opposition très forte des partisans d’Israël en France ». Ces partisans selon notre expert ne constitueraient-ils pas un lobby ?

Comment peut-on assener sans sourciller de telles énormités ? L’on pourrait cependant accepter l’idée qu’il ne s’agirait pas d’un lobby mais d’un élément structurant des appareils idéologiques de l’État français, formant avec l’arabophobie un élément significatif des référents communs d’une partie des élites médiatiques. Ces élites éclairées — serait ce aussi le fruit de notre imagination échevelée ? — qui souhaitaient célébrer les aspects positifs du colonialisme… Un fantasme de plus

Said Mekki jeudi 22 mai 2008

[1] Pour la représentation de l’Islam par les télévisions françaises, on lira utilement l’ouvrage très documenté et impitoyablement étayé de Thomas Deltombe L’islam imaginaire aux éditions La Découverte (mai 2007).]

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