FREE PALESTINE
7 mai 2008

Israël: le piège se referme sur les Palestiniens de Jérusalem

06.05.2008  Tribune de Genève
Israël: le piège se referme sur les Palestiniens de Jérusalem
DISPARITÉ | 00h13 Dans la capitale israélienne «réunifiée», les Palestiniens se vivent comme des «sans». Sans autres passeports que des laissez-passer.

http://www.tdg.ch/pages/home/tribune_de_geneve/l_actu/monde/detail_monde/(contenu)/223495

La loi fondamentale d'Israël en fait un principe intangible: Jérusalem «entière et réunifiée» est la «capitale éternelle» de l'Etat hébreu.
Privée de toute reconnaissance internationale, l'unité proclamée par la Knesset en 1980 n'est pourtant qu'un fait accompli, une sorte de fiction juridique.

En réalité, note l'historien Dominique Bourel, les deux parties de la ville vivent dos à dos. «Très peu d'Israéliens vont en ville Est, où ils ne sont nullement les bienvenus et n'ont d'ailleurs rien à faire, et les seuls Palestiniens qui vont en ville Ouest ne s'y rendent que pour travailler.»
Jérusalem, affirme Bourel, reste la capitale des «mémoires fracturées». Outre «leur surenchère», ce qui frappe, ajoute-t-il, c'est leur «juxtaposition».

Deux univers disparates

Ce ne sont pas seulement deux sociétés qui cohabitent, mais deux univers disparates. «Voyez nos rues, comme elles sont étroites, mal entretenues, mal éclairées», lance sous le sceau de l'anonymat un médecin palestinien. «Jérusalem-Est est très sale, poursuit-il. Nous payons les mêmes impôts, mais n'avons pas droit aux mêmes avantages.»

La voirie n'est pas le seul secteur public où les investis-sements se font attendre. La ville arabe manque d'hôpitaux: «Aucun n'a été construit depuis la guerre des Six-Jours, assure le médecin. Aucun lit supplémentaire pour une population qui a triplé depuis 1967.» Il en va de même pour les écoles: aux institutions privées religieuses notamment de pallier les carences du service public. -Selon des chiffres officiels, les Palestiniens de Jérusalem-Est représentent un peu moins de 30% de la population, paient 40% des impôts, et recevraient moins de 10% des allocations municipales.

En revanche, l'administration ne manque pas de ressources lorsqu'il s'agit de détruire les habitations illégales ou d'imposer de fortes amendes à leurs propriétaires. Résolu à maintenir une forte majorité juive (72%) dans la ville, l'Etat israélien a multiplié les entraves à la construction. Les habitants qui n'attendent pas pour construire l'octroi de permis distribués au compte-gouttes le paient cher. Depuis l'an 2000, plus de 500 foyers ont été réduits en ruines: bâtir une maison à Jérusalem-Est «relève du miracle», note Karim, en montrant sur le bord de la route les décombres d'un logement qu'un bulldozer -venait de démolir.

Une petite carte bleue

Le sentiment de discrimination se double de l'expérience de la fragilité de l'existence quotidienne. Tout est suspendu à la délivrance ou au renouvellement d'un minuscule document, la petite carte d'identité bleue, qui distingue les Palestiniens de Jérusalem de ceux de Cisjordanie. «Dès que l'on quitte la maison, il faut l'avoir avec soi», explique Karim. Sans elle, pas de permis de travail, pas de prestations sociales, pas de déplacement à Bethléem ou Ramallah, et pas de voyage à l'étranger. Pas non plus de droit de vote aux élections locales la participation aux scrutins nationaux est exclue. Le moindre écart, le premier délit, et une vie risque de basculer dans une précarité sans fin.

Un silence épais

Une carte de résident permanent assure à son titulaire un minimum vital: elle ne fera pas de lui un citoyen à part entière. «Nous sommes des sans, estime le médecin. Sans nationalité, et sans autre passeport qu'un laissez-passer.» Voués à observer l'extension des limites municipales. A accepter une ceinture de colonies qui a amené autour de la ville près de 240 000 Israéliens la moitié des colons de Cisjordanie. A subir aussi la multiplication des routes israéliennes de contournement. A se heurter maintenant à un mur de béton haut de 10 mètres, hérissé de barbelés, et présenté comme «une barrière de sécurité».

Tout autour règne un silence épais. Les épiceries, les petits commerces périclitent. «La vie s'est comme arrêtée», remarque notre médecin. Ceux de ses collaborateurs qui vivent de l'autre côté de la «clôture» comptent une heure supplémentaire pour se rendre à leur travail. Et pour se déplacer, ils ont maintenant besoin d'un «permis de passage» accordé pour trois mois.

«Les Israéliens ont inventé un groupe ethnique distinct, les Arabes de Jérusalem-Est, écrivait dans le journal Haaretz le sociologue Meron Benvenisti, au lendemain de l'attentat qui a tué le 6 mars dernier huit étudiants d'une école talmudique de Jérusalem. Ancien maire adjoint de la ville, expert engagé à gauche, Benvenisti dénonçait une stratégie de division fondée sur l'idée que les 250 000 Palestiniens de la capitale avaient «quelque chose à perdre».

Stratégie illusoire, suggérait-il: le meurtrier de la yeshiva ne venait ni de Cisjordanie ni de Gaza, mais de Jabal Mukaber, un village de Jérusalem-Est. Stratégie menacée également par les réalités démographiques: selon des projections récentes, la population arabe de la ville pourrait atteindre la parité d'ici à 2035. Entre Israéliens et Palestiniens, les négociations, si elles doivent aboutir un jour, ne pourront éluder la question de Jérusalem «réunifiée».

«Je lutte contre moi-même pour ne pas perdre espoir»

Pour rencontrer Anouar Abou Eiché, il faut se rendre à Hébron, où il habite, ou à Jérusalem-Est, où il enseigne le droit à l’Université Al-Qods. Disponible, volubile, il ne manquerait pour rien au monde au devoir d’hospitalité.

Il accueille ce jour-là dans le jardin d’une vieille demeure de la rue Salah-Eddin un groupe de visiteurs français venus lui présenter un projet de coopération en Cisjordanie. Leur intention est de réhabiliter dans un village proche de Djénine un ensemble de bâtiments d’époque ottomane pour en faire un centre culturel. Leur hôte approuve:
l’occupation israélienne a entraîné un repli des Palestiniens sur de petites communautés territoriales séparées les unes des autres. A l’exception de Ramallah, mieux dotée, les villes arabes ont peu de divertissements à offrir à leurs jeunes habitants. Tout ce qui peut ranimer ces localités exsangues sera donc bienvenu. «Nous ne vivons pas à l’heure de la libération nationale, ajoute Anouar Abou Eiché. Notre devoir est d’abord de nous préserver.»

Or, les Palestiniens ne sont pas seulement coupés du monde. Privés d’espace, note Anouar Abou Eiché, enfermés dans des territoires que la colonisation cloisonne, ils deviennent également «étrangers les uns aux autres». Le moindre déplacement exige des trésors d’énergie: «Je réfléchis quatre fois avant de me rendre à Ramallah, qui n’est pourtant distante de mon domicile que de 40 kilomètres.»

Processus d’asphyxie

Anouar Abou Eiché décrit un double processus d’asphyxie et d’humiliation. Pourquoi, s’interroge-t-il, l’eau ne coule-t-elle plus depuis un mois aux robinets des maisons palestiniennes d’Hébron, alors qu’à quelques mètres de là, dans la Vieille Ville, les colons israéliens en usent sans restriction? Pourquoi Jérusalem est-elle librement accessible aux étrangers et à tous les voisins, aux Egyptiens, aux Jordaniens, aux musulmans malaisiens, et fermée aux Palestiniens de Cisjordanie, qui l’ont «dans leur sang»?

«Israël, affirme Anouar Abou Eiché, nous étrangle à petit feu.» La construction de colonies n’a jamais cessé, les institutions prévues dans les Accords d’Oslo sont dépourvues de compétences réelles, la police palestinienne n’est même pas en mesure de «contrôler la circulation». Quant à l’autonomie économique, mieux vaut n’en pas parler: «90% de nos importations proviennent d’Israël.»

Les dirigeants palestiniens n’auraient-ils aucune responsabilité dans la situation des «territoires»? En refusant à Israël le droit à l’existence, en bombardant Sderot, le Hamas ne prendrait donc pas le risque de prolonger l’état de guerre? «Vous oubliez les circonstances de son émergence: c’est Israël qui a favorisé sa création afin de neutraliser l’OLP», réplique Anouar Abou Eiché. Son influence, précise-t-il, répond simplement à la poursuite de l’occupation.

L’explication hésite entre le cynisme et la désillusion: «Les Palestiniens, comme les autres Arabes, poursuit-il, ont adhéré à toutes les idéologies. Ils ont tour à tour plébiscité le nationalisme, avec Nasser, le baasisme, le communisme: ils essaient maintenant les valeurs religieuses. Ils ne sont pas pour autant devenus radicaux: tous ceux qui font retour à l’islam ne sont pas des extrémistes.»

Un compromis lointain

L’heure n’est pas à la diplomatie. Elle viendra, sans doute, car les deux camps «n’ont d’autre choix que de vivre ensemble». En soixante ans, chacun «a appris à accepter l’autre», relève Anouar Abou Eiché. Les Palestiniens, assure-t-il, sont prêts au compromis. Les Israéliens, en revanche, ne se seraient pas affranchis de la coalition nouée entre l’industrie militaire, l’armée et les colons.

Faute d’attendre un règlement prochain, Anouar Abou Eiché limite ses ambitions à l’action «sociale et éducative». Il se défie de toute prophétie. «Je n’attends rien, dit-il. Je lutte contre moi-même pour ne pas perdre espoir.» (jfv)

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