Les Palestiniens en Israël
Les Palestiniens en Israël
Citoyens de seconde zone dans un État « démocratique »
jeu 23 aoû 2007
Israël est le seul État démocratique au Moyen-Orient. C’est du moins Israël qui le prétend. Ce que le grand public sait moins, c’est que plus ou moins 20 % des 7 millions d’habitants y sont confrontés quotidiennement à des discriminations, même si celles-ci ne sont pas établies par la loi.
En 1948, les sionistes proclament l’indépendance de l’État d’Israël. Dans sa déclaration d’indépendance, Israël convie les habitants arabes à collaborer à la construction de l’État sur base d’une même citoyenneté, avec les mêmes droits politiques et sociaux, indépendamment de la religion, de la race ou du sexe. Toutefois, l’État d’Israël n’a pas été créé uniquement en tant qu’État démocratique, mais également en tant qu’État juif. Et là, d’emblée, nous sommes confrontés à un paradoxe, car le principe de démocratie ne vaut manifestement que pour ceux qui sont juifs. Quant aux quelque 20 % de Palestiniens vivant dans cet État juif, Israël les désigne sous le vocable d’« Arabes israéliens » et renvoie de la sorte à une identité culturelle et non nationale. La minorité arabe ne voit cependant pas les choses du même œil. En 1948, environ trois quarts de la population d’origine a été chassée du territoire qui constitue Israël aujourd’hui mais qui, avant cela, faisait partie de la Palestine historique (territoire recouvrant Israël, Gaza et la Cisjordanie). Les habitants qui étaient restés à l’époque devenaient du coup une minorité et se considèrent toujours aujourd’hui comme des Palestiniens. Parmi eux, on compte surtout des musulmans (majoritaires), des chrétiens, des Bédouins et des Druzes.
En 1948, les Palestiniens d’Israël se voient proposer la citoyenneté israélienne. Théoriquement, ils peuvent ainsi revendiquer les mêmes droits que les citoyens juifs mais, en Israël, la chose est savamment contournée. Celui qui veut participer aux élections et, partant, au processus décisionnel politique, doit souscrire au caractère juif de l’État d’Israël. Ce faisant, les non-Juifs rejettent de facto leur propre identité. En outre, la plupart des avantages socioéconomiques accordés par l’État sont dépendants du service militaire qui n’est obligatoire que pour les Juifs et les Druzes : allocations d’études, acquisition de terres, sécurité sociale, accès à toutes les professions…
Les Palestiniens ont donc le choix. S’ils optent pour le service militaire, ils ont accès à de nombreux avantages sociaux. En échange, ils renoncent à leur identité et courent le risque (très grand) de devoir intervenir contre leur propre peuple, ne pensons qu’au service militaire qui amène de nombreux soldats dans les territoires occupés. Il est logique que, pour les Palestiniens, cela représente une option peu attrayante, voire à rejeter absolument. S’ils se présentent malgré tout au service militaire, il n’est en outre pas certain du tout qu’ils y seront admis, et ce, pour des raisons de sécurité… Le fait que, de leur côté, les Druzes sont obligés de faire ce service provoque parfois des frictions internes.
La plupart des Palestiniens habitent dans des villes ou villages exclusivement arabes, surtout en Galilée, dans le nord d’Israël, et dans le « triangle », la petite zone située entre Tel-Aviv et la Cisjordanie. Un peu plus de 10 %, surtout des Bédouins, vivent également dans le désert du Néguev, situé au sud. Environ 8 % vivent dans des villes à population mélangée, plus précisément à Tel-Aviv-Jaffa, Haïfa, Acre, Nazareth Ilit, Lod et Ramallah. « Mélangée » n’est d’ailleurs pas un terme approprié, puisque la plupart des Palestiniens et des Juifs vivent dans des quartiers séparés et que leur situation évoque davantage une relation LAT (« living apart together », c’est-à-dire vivre ensemble, mais pas sous le même toit). La coexistence, rêve de tous les mouvements pacifistes, est tout sauf visible dans le paysage de la rue.
Certains quartiers de Haïfa sont vraiment en mauvaise etat. La municipalité n'y investit pas car ils sont habités par des Palestiens. Certains Palestiniens n'obtiennent même pas l'autorisation de rénover eux-mêmes leur propre maison.
Les zones habitées palestiniennes constituent tout sauf un ensemble homogène et ce n’est pas un hasard. Mois de 3 % du territoire est encore la propriété de Palestiniens, alors que 93 % est aux mains de l’État. Cette propriété d’État est gérée par l’Israel Land Authority, fortement influencée par le Jewish National Fund, qui veille à ce que les terres ne soient vendues à des Juifs ou utilisées par des Juifs. La plupart de ces terres ont été confisquées aux Palestiniens qui, en 1948, ont fui la violence. Cette prise de possession est légitimée par le fait qu’ils sont « absents » (les réfugiés vivant hors d’Israël) ou « présents absents » (les réfugiés à l’intérieur d’Israël qui n’ont plus la possibilité ou le droit de regagner leur village d’origine).
La politique des autorités répartit ces terres en diverses zones qui reçoivent chacune un statut. Les « zones de développement national » sont pour ainsi dire attribuées exclusivement aux Juifs et non aux Palestiniens qui, sur base de critères socioéconomiques, pourraient davantage entrer en ligne de compte dans cette attribution. La situation de ces « zones de développement » est stratégique, puisqu’on les rencontre surtout autour des villes et villages arabes qui, de ce fait, ne peuvent plus s’étendre et souffrent de plus en plus de surpopulation. En outre, le service militaire constitue également une condition pour l’octroi de permis de bâtir ou de subsides. La location de terres de l’État coûte facilement 20 fois plus cher pour ceux qui n’ont pas fait de service militaire.
Outre la prise de possession continue des terres des réfugiés palestiniens, l’État acquiert également des terres en expropriant pour la création de zones militaires, pour des travaux d’infrastructure ou, tout simplement, en niant les droits des populations indigènes, comme c’est le cas pour les Bédouins. Quarante-cinq villages de ces derniers ne sont pas reconnus par Israël, avec les conséquences désastreuses que cela implique : pas d’électricité ni de distribution d’eau, pas de réseau routier, pas de droit à l’enseignement, aucun accès au marché de l’emploi… En outre, ces Bédouins vivent dans la menace quotidienne de voir leurs habitations rasées ou leurs champs empoisonnés par la « Patrouille verte ».
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Vu que Juifs et Palestiniens vivent souvent séparés, on ne s’étonnera pas non plus de voir leurs enfants fréquenter des écoles séparées. Des écoles intégrées existent, mais elles sont très rares et ne constituent pas une véritable option pour les parents palestiniens. L’accent y est mis sur l’histoire, les valeurs, la culture et la religion juives et cela revient donc plutôt à une assimilation avec, comme conséquence, une perte pour les Palestiniens de leur langue, culture et religion propres.
Les cours diffèrent, entre les écoles arabes et juives. Quelques exemples. Les enfants palestiniens ont l’arabe, leur langue maternelle, comme première langue et l’hébreu est obligatoire en tant que seconde langue. L’anglais n’est que troisième langue. Pour les enfants, la langue maternelle, l’hébreu, est la première langue. Vient ensuite l’anglais mais, l’arabe, pourtant la seconde langue officielle en Israël, n’est pas obligatoire. Cette seule différence hypothèque déjà les possibilités d’études ultérieures pour les Palestiniens. L’anglais constitue en effet une composante de l’examen d’entrée qu’ils doivent subir s’ils veulent poursuivre leurs études dans une école supérieure ou dans une université. En outre, cet examen est traduit de l’hébreu en arabe. La qualité de la traduction laisse souvent à désirer, ce qui fait que les questions sont parfois incompréhensibles. Les notes que les étudiants reçoivent à cet examen d’entrée déterminent également s’ils seront admis à des études comme le droit, l’ingénierie ou la médecine.
Les cours en général s’appuient sur la culture juive, et non la culture arabe. Jusqu’il y a peu, l’histoire palestinienne n’existait tout simplement pas, dans les écoles arabes. Depuis 1999, les choses ont été adaptées et les enfants étudient leur histoire jusqu’en 1948. En juillet de cette année, un manuel à l’usage des écoliers arabes a encore suscité bien des remous. Il y était question de la « Nakba » (catastrophe), comme les Palestiniens ont vécu et baptisé la « guerre d’indépendance » des sionistes en 1948.
Les profs qui tentent malgré tout de « sortir du programme » pour donner cours courent le risque d’être licenciés ou sanctionnés. Tout ceci va en droite ligne à l’encontre de la Convention des droits de l’enfant, qui dit que l’identité culturelle est l’un des objectifs de l’enseignement, et cela vaut également pour les groupes minoritaires.
Les cours ne sont que l’un des points douloureux de l’enseignement arabe. Par ailleurs, les écoles sont confrontées à un déficit de locaux, de matériel éducatif, d’ordinateurs en arabe, de facilités supplémentaires comme des infrastructures pour le sport, des bibliothèques, un accompagnement à l’étude, des équipements sociaux…
Dès le départ, les enfants palestiniens sont discriminés pas le système scolaire israélien.
L’inégalité des chances dans l’enseignement a des répercussions manifestes sur le marché de l’emploi : le chômage chez les Palestiniens est deux fois plus élevé que chez les Juifs. La discrimination existant dans le système d’enseignement n’en est toutefois pas la seule raison. La plupart des Palestiniens ne font pas de service militaire et n’ont de ce fait pas accès à nombre de secteurs, parmi lesquels les services publics (l’un des principaux employeurs, en Israël), les firmes spécialisées dans les télécommunications et les compagnies d’électricité. Les Bédouins des villages non reconnus du Néguev (soit quelque 90.000 habitants) sont les plus mal lotis. D’où le fait peut-être que certains acceptent quand même de faire leur service militaire, afin de pouvoir sortir de leur situation misérable.
Les Palestiniens hautement qualifiés – et, vu les circonstances, leur nombre est encore assez élevé – acceptent des emplois peu qualifiés, souvent dans le secteur de la construction. Aussi, sur le lieu de travail, ils sont confrontés une fois de plus à une discrimination : parler arabe durant les heures de travail peut déjà être en soi une cause de licenciement.
Alors que les citoyens arabes d’Israël subissent indirectement des discriminations sur bien des plans, il existe également des lois qui officialisent les discriminations. L’un des exemples les plus frappants est le Droit au Retour qui donne le droit à tous les Juifs et leur famille, n’importe où dans le monde, à immigrer en Israël. Une telle loi n’existe pas pour les Palestiniens. En outre, en 2003, Israël a introduit une loi temporaire qui interdit le regroupement familial des Palestiniens dans les territoires occupés ou en dehors avec leur mari ou leur épouse vivant en Israël, à moins qu’ils ne quittent le pays. Cette loi temporaire a été prolongée coup sur coup, et elle est aujourd’hui en vigueur jusque fin juillet 2008.
Malgré le fait qu’environ 20 % de la population est constituée de Palestiniens, ces derniers n’ont que peu de moyens d’améliorer leur situation, pas même par la voie politique. Ceux qui participent aux élections doivent en effet accepter le principe de l’État juif et, partant, toutes les mesures et lois décrétées pour en assurer la pérennité.
Safouri avant et après la Nakba. Beaucoup de Palestiniens ne sont pas autorisés à rentrer dans leurs villages.
En 1979, Israël a signé la Convention internationale en matière de bannissement de toutes formes de discrimination raciale. Ce traité interdit toute discrimination sur base de la race, de la couleur de peau, de l’origine nationale ou ethnique. Toutefois, les lois et conventions internationales ne semblent guère impressionner Israël. Il faut en chercher la raison dans le sionisme politique qui ne vise pas seulement à acquérir le plus de terre possible pour les Juifs, mais qui veut également assurer à ces derniers une majorité démographique. Ici, la discrimination constitue un moyen stratégique pour encourager les Palestiniens à quitter le pays.
Malgré cette situation relativement dénuée de perspective, les Palestiniens ne restent pas les bras ballants. Après les accords d’Oslo, en 1993, qui stipulaient que les Palestiniens en Israël sont une question intérieure, de plus en plus d’ONG arabes ont vu le jour. L’auto-organisation des Palestiniens en Israël est une première étape vers une solution pour ces citoyens de second rang dans un État se prétendant démocratique.
Plus d’informations :
http://www.uitpers.be/artikel_view.php?id=1157 (interview de Susan Nathan sur « l’autre visage d’Israël », par Wim De Neuter)
http://www.mo.be/index.php?id=61&tx_uwnews_pi2%5Bart_id%5D=461 (interview de Susan Nathan: « La discrimination nourrit la prochaine Intifada », par Tine Danckaers)
http://www.adalah.org/eng/index.php (droits des minorités)