FREE PALESTINE
26 mars 2007

Quand la grève générale paralyse Israël

Quand la grève générale paralyse Israël

vendredi 23 mars 2007.

Le mouvement massif et victorieux déclenché, hier, par la centrale Histadrout met en lumière le libéralisme du pouvoir et les répercussions de sa politique d’occupation. Israël a été paralysé une bonne partie de la journée d’hier par une grève générale affectant l’ensemble de la fonction publique en raison du non-versement des salaires depuis des mois à des employés des collectivités locales qui travaillaient ainsi gratuitement, ce que certains appellent de l’esclavagisme. La grève a affecté notamment les ministères (hormis la Défense), les ports, le transport ferroviaire, la Banque centrale, des compagnies de transports, les collectivités locales, les raffineries, la compagnie d’électricité, la poste, la Compagnie publique des eaux, les tribunaux, et enfin l’aéroport Ben-Gourion.

Tous les vols ont été annulés, à l’arrivée comme au départ, à l’exception de ceux en provenance de Grande-Bretagne pour que l’équipe de football anglaise - accompagnée de ses supporters - puisse venir jouer en Israël dans le cadre de la qualification pour l’Euro 2008. Mieux vaut être supporter de foot que palestinien !

Salaires impayés pour 3 700 fonctionnaires

La centrale syndicale Histadrout avait reporté de trois heures le début du mouvement dans une ultime tentative de conciliation. « Nous avons décidé que le non-versement des salaires dans la fonction publique devait cesser. J’ai clairement fait savoir que tant qu’il n’y aurait pas un engagement clair de payer chacun des employés, je considérerai qu’il n’y a pas de solution et la grève continuera », a expliqué le secrétaire général du syndicat, Ofer Eini, peu avant le début de l’arrêt du travail. La Histadrout proteste contre des salaires impayés de 3 700 employés de la fonction publique, en particulier dans les municipalités et, parmi elles, surtout dans les zones à majorité arabe. Le 27 février, le premier ministre, Ehud Olmert, était personnellement intervenu pour promettre le règlement des salaires dus aux fonctionnaires, évitant ainsi in extremis une grève générale. Mais la Histadrout lui reproche d’avoir manqué à ses engagements. Pendant le mouvement, le syndicat n’a pas fermé la porte aux négociations, ce qui a permis d’obtenir gain de cause.

La pauvreté existe aussi en Israël

Ce mouvement social finalement rapidement victorieux, étant donné sans doute son caractère très massif, souligne une fois de plus la réalité économique israélienne. Les entreprises high-tech sont parmi les leaders sur le marché mondial mais la population israélienne est loin d’en empocher les dividendes. Certains mettent en avant les chiffres officiels : 7,6 % de chômeurs (en fait il dépasserait les 15 %) et un taux de croissance attendu de 5,1 % en 2007 (s’il n’y a pas de guerre) pour se féliciter de la politique menée. Outre le fait que ces chiffres masquent le désengagement de l’État et les privatisations en cours, de nombreux Israéliens, immigrés récents ou salariés aux revenus modestes, n’ont pas profité de ladite embellie économique. Surtout, la politique d’occupation des territoires palestiniens, l’effort en faveur de l’armée et les subventions accordées aux colonies au détriment des services sociaux et des municipalités jettent de plus en plus d’Israéliens dans la misère. Selon des chiffres de l’Institut d’assurance national israélien, un tiers des habitants d’Israël vivent au-dessous du seuil de pauvreté, soit 15 % de plus que dans les années quatre-vingt-dix.

Chez les enfants, la proportion monte à un sur trois. Les Arabes israéliens, dont la moitié vivraient en deçà du seuil de pauvreté, se plaignent quant à eux de discrimination à l’emploi. Le fossé se creuse entre les Israéliens les mieux lotis et le reste de la société, remarquent les analystes. « Les chiffres de la pauvreté sont, dans les faits, bien pires que ceux que donnent les statistiques », estime Yosi Katan, professeur à l’université de Tel-Aviv, rappelant que de nombreux citoyens vivent à peine au-dessus du seuil de pauvreté établi en Israël à 1 700 shekels, soit 362 dollars par mois et par personne. La pauvreté en Israël est toutefois relative si on la compare à la situation dans les territoires palestiniens. Selon les organisations internationales, plus de la moitié des familles palestiniennes vivent avec moins de deux dollars par jour.

« Un gouvernement très impopulaire »

Membre de la direction du syndicat Histadrout, Efraim Davidi dénonce la politique gouvernementale et la corruption.

Quelle est la signification de cette grève qui a fait reculer le gouvernement ?

Efraim Davidi. Il faut d’abord souligner que cette grève était une grève de solidarité. Il y avait près d’un demi-million de grévistes pour quelques milliers de travailleurs non payés. Or, en Israël, les grèves de solidarité sont interdites selon la loi. Et personne n’a tenté de s’y opposer ou faire un recours devant la justice pour l’empêcher. Ce n’est pas la première fois que cela se produit et c’est important parce que la plupart du temps cette retenue des salaires et le non-versement des subventions d’État aux municipalités touchent les zones arabes du pays. À la Histadrout nous ne voulons pas qu’il y ait de l’esclavage en Israël. Je veux dire par là que nous refusons que des femmes et des hommes travaillent sans être payés.

Craignez-vous que cela se généralise en Israël ?

Efraim Davidi. Selon un rapport publié mardi, plus de la moitié des employeurs ne respectent pas les lois du travail. Ces employeurs ne sont pas que privés. L’État, employeur public, ne respecte pas non plus la loi. Si on continue comme ça, d’avoir des travailleurs qui ne sont pas payés dans la fonction publique - ce qui a déclenché la grève - cette situation peut se généraliser dans tous les domaines. On a voulu stopper ça maintenant.

Est-ce que cette grève va avoir des répercussions par la suite, y compris politiquement dans la mesure où l’ancien numéro 1 de la Histadrout, Amir Peretz, est au gouvernement ?

Efraim Davidi. Il y a une rupture entre les travaillistes de la Histadrout et ceux qui sont au gouvernement, il n’y a pas de coordination. Et dans le syndicat il y a d’autres partis qui ne sont pas au gouvernement, comme le Parti communiste israélien (Haddash). Amir Peretz avait promis beaucoup de choses mais il n’a rien fait. Les travaillistes de la Histadrout le constatent.

Est-ce que cela préfigure de nouvelles coalitions pour la suite puisqu’on parle de possibles élections anticipées ?

Efraim Davidi. On parle beaucoup d’élections anticipées en 2008 parce que ce n’est pas seulement un gouvernement qui pratique l’occupation des territoires palestiniens, ce n’est pas seulement un gouvernement qui pratique une politique capitaliste et qui est allié avec l’extrême droite. C’est aussi un gouvernement très corrompu. Mardi, le ministre de l’Économie a été entendu par la police pendant plusieurs heures. Le premier ministre Olmert est impliqué dans des scandales. Un rapport consacré à la guerre au Liban doit être rendu en avril. La cote de popularité des principaux ministres, dont Peretz, ne dépasse pas les 3 %. Peut-être qu’ils ne tiendront pas jusqu’en 2008. C’est un gouvernement très impopulaire.

Pierre Barbancey

(L’Humanite, article paru dans l’édition du 22 mars 2007).

Commentaires
Derniers commentaires
Recevez nos infos gratuites
Archives