Les limitations mises aux déplacements des Palestiniens
Toute une routine d’ordonnances et d’interdictions a vidé les routes de Cisjordanie
Amira Hass
Haaretz, 19 janvier 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/815307.html
La vie quotidienne des Palestiniens est dictée par tout un ensemble compliqué d’interdictions de déplacement, de barrages, de routes fermées, de clôtures et de portes métalliques, de passages de frontière sous contrôle israélien, d’un réseau de routes interdites au trafic palestinien et de lourdeurs bureaucratiques de l’administration civile pour l’obtention de permis de se déplacer. Les interdictions de déplacement et les barrages ont réduit l’espace physique dont disposent les Palestiniens, divisé la Cisjordanie en enclaves cernées d’une continuité de colonies et augmenté les distances entre une zone et une autre, entre le village et la ville.
Les fermetures de routes garantissent que le trafic palestinien est maintenu à distance des axes principaux, empruntés surtout par des colons et d’autres Israéliens, et qu’il s’effectue essentiellement par d’étroites routes entre villages. Plusieurs routes principales et des routes conduisant à des colonies sont interdites au déplacement des Palestiniens (l’armée les appellent « stériles »). L’accès à beaucoup d’autres routes – utilisées par des colons et d’autres Israéliens – est barré sans qu’il soit explicitement interdit aux Palestiniens de s’y déplacer. Le trafic palestinien est canalisé pour être contrôlé, filtré, retardé dans plusieurs « goulots », checkpoints géants entre une zone et une autre.
Cette attaque en règle contre la liberté de mouvement a débuté en janvier 1991, quand a été abrogé le « permis général de sortie » que l’armée accordait aux Palestiniens, au début des années 70, et qui leur permettait de se déplacer librement entre Gaza et la Cisjordanie, et à l’intérieur d’Israël. A partir de janvier 1991, le déplacement de Gaza vers la Cisjordanie et inversement, ainsi qu’en Israël, n’a plus été autorisé qu’au moyen d’autorisations individuelles.
Avant cette abrogation, les Palestiniens jouissaient de leur droit à la liberté de mouvement dans les territoires occupés et en Israël, à l’exception de quelques catégories auxquelles une autorisation spéciale était imposée – personnes empêchées pour raisons sécuritaires et policières. La situation s’est retournée en 1991 : la liberté de mouvement a été retirée à tous les Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, sauf quelques catégories fixées par les autorités israéliennes responsables de la sécurité (par exemple : personnalités palestiniennes importantes, collaborateurs, marchands, travailleurs, employés de l’Autorité Palestinienne et d’organisations internationales et cas humanitaires). Les catégories et le nombre de personnes recevant une autorisation personnelle ont constamment changé depuis lors, mais le principe demeure – c’est une politique de bouclage.
Les barrages existent depuis le début de l’occupation. Avant l’abrogation du « permis général de sortie », les barrages étaient essentiellement destinés à contrôler, à surveiller et à permettre à la police et à la sécurité générale d’arrêter des gens. Après 1991, les barrages situés à proximité de la Ligne Verte se sont vus assigner une nouvelle fonction : imposer le bouclage. Dans ce but, une clôture a été installée autour de la Bande de Gaza. Après le début de la mise en œuvre des accords d’Oslo en 1994, les postes militaires et les barrages ont marqué la « frontière » entre d’un côté les Territoires A et B (transférés sous le contrôle civil et policier de l’Autorité Palestinienne) et de l’autre, les Territoires C (demeurés sous contrôle sécuritaire et civil israélien) et les colonies.
Avec l’éclatement de la seconde Intifada en 2000, le nombre de barrages s’est accru, avec pour visée de prévenir et de réduire le passage des Palestiniens vers les Territoires C (représentant environ 60% du territoire de Cisjordanie), les colonies et leur voisinage. C’est par exemple la fonction, aujourd’hui encore, des barrages de la Vallée du Jourdain qui empêchent l’accès de Palestiniens à un tiers du territoire de la Cisjordanie. Aux checkpoints permanents ou volants se sont ajoutés des centaines de barrages matériels mais non gardés.
La politique de bouclage a été étendue, à l’intérieur du territoire de la Cisjordanie, parallèlement à une conception qui considère les « Territoires C » comme étant dans les limites d’« Israël » tant qu’il n’en est pas décidé autrement dans un accord permanent. Autrement dit, de 1991 à 1994, le sens de la politique de bouclage était de séparer Gaza de la Cisjordanie, et de contrôler l’entrée en Israël. Après cela, ont été installées les bases d’une séparation potentielle à l’intérieur du territoire de la Cisjordanie – entre les territoires A, palestiniens, divisés par le territoire C. Cette séparation a été mise en œuvre après 2000.
Les demandes de permis de déplacement à l’intérieur d’Israël, pour se rendre de Gaza vers la Cisjordanie et inversement, ou à l’intérieur de la Cisjordanie sont adressées à l’administration civile. Ces demandes sont soumises aux bonnes grâces d’une bureaucratie lourde, à l'ingérence de la Sécurité générale [Shabak], à la tradition de l’attente prolongée et des lenteurs administratives, et tout particulièrement à l’absence de transparence dans la fixation des critères et dans le rejet des demandes. La difficulté de l’obtention des permis, les checkpoints et les fermetures de routes, la longueur des trajets, le temps perdu et l’humiliation attachée à l’obtention d’un permis pour rendre visite à un proche, tout cela dissuade bien des gens qui préfèrent renoncer à se déplacer en Cisjordanie, comme le reflètent clairement les routes désertes.
Elle a demandé à pouvoir sortir de Cisjordanie pour se rendre à des funérailles à Gaza. L’armée lui a suggéré de passer par la Jordanie.
A. N. est originaire de Gaza et est mariée à un habitant de Qalqiliya. Le 13 janvier, son père est décédé à Gaza et elle a demandé à pouvoir y retourner pour assister aux funérailles. Le 15 janvier, elle a introduit, via l’Administration de Coordination et de Liaison, à Qalqiliya, une demande pour obtenir une autorisation d’entrer en Israël afin de pouvoir entrer à Gaza. Le 16 janvier, les soldats de l’Administration de Coordination et de Liaison lui ont, par voie orale, notifié le rejet de sa demande.
A. N. s’est adressée au « Centre pour la Protection de l’Individu » [HaMoked] qui s’est adressé le jour même au département d’enregistrement de la population du cabinet du conseiller juridique de l’armée israélienne en Cisjordanie. La réponse reçue le lendemain par le Centre était qu’il n’y avait « pas d’enregistrement d’une demande appropriée qui aurait été introduite auprès de l’Administration de Coordination et de Liaison avant cette requête déposée en nos bureaux ». L’époux de A. N. a introduit une nouvelle demande pour elle à l’Administration de Coordination et de Liaison. Mais, selon lui, l’Administration de Coordination et de Liaison à Qalqiliya a fait savoir que la demande était rejetée.
Une officier du cabinet du conseiller juridique a dit à la représentante de « HaMoked » que la précédente demande d’autorisation d’entrer à Gaza via Israël introduite par A. N., au mois d’octobre, avait été refusée. Cette officier a proposé que A. N. fasse le voyage via la Jordanie. « HaMoked » a représenté combien la chose était illogique et impossible, que le Centre attendrait une réponse du conseiller juridique jusqu’au jeudi 18 janvier et qu’à défaut, il s’adresserait à la Cour suprême. « Haaretz » a téléphoné, avant-hier dans la soirée, au porte-parole de l’administration civile, qui a fait savoir qu’il n’était pas correct que l’Administration de Coordination et de Liaison rejette la demande et que le l’autorisation serait accordée et remise à A. N. jeudi matin.
Amira Hass
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
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