!!Génocide à Gaza: J 524!! J’aimerais tant qu’elle puisse encore m’entendre...
J'ai essayé de m'accrocher à toi, de t'empêcher de m'échapper, mais tout ce qui me reste, ce sont des souvenirs
Je t'ai revue la nuit dernière.
Tu étais assise sur les marches, faisant rouler des feuilles de vigne entre tes doigts. Tu tenais le pot en équilibre parfait entre tes genoux. La radio ronronnait juste derrière toi. Une vieille chanson de Fairouz passait, et tu fredonnais en même temps, à contretemps, comme toujours. Le thé posé sur le rebord de la fenêtre refroidissait.
J'ai voulu t'appeler, mais ma gorge était serrée et mes pieds refusaient de se mouvoir.
Soudain, la théière s'est écrasée au sol. La radio devint inaudible. Et le ciel s'est ouvert.
Je me suis réveillé en sursaut, les doigts serrant les draps, essayant de me raccrocher à quelque chose - ta voix, ton odeur, la chaleur de la cuisine avant l'aube. Mais il n'y avait plus rien, rien que ce silence qui dit que quelque chose a disparu.
Tu n'as jamais aimé rester assise. Tu étais toujours en mouvement, toujours en train de fabriquer quelque chose à partir de rien. Tu cousais des robes avec du fil acheté au marché. Tu transformais de vieux livres en nouvelles histoires pour les enfants qui n'en avaient pas. Tu as gravé des noms au dos des pupitres d'école, tu as apposé l'encre de la poésie sur les murs.
Le matin, tu marchais avec les élèves, tes pieds foulant le pavé. Les garçons avec leurs doigts maculés d'encre, les filles ajustant leur hijab dans le reflet des vitres. Tu riais avec les professeurs échangeant des histoires entre deux gorgées de café à la cardamome.
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À midi, tu parlais politique avec les vendeurs de fruits. Ta voix montait au-delà des appels de “banadoura!” et “teen baladi!”. Tu achetais des figues, les pressais délicatement entre les doigts pour en tester la maturité.
L'après-midi, tu t’asseyais avec les médecins dans les salles d'hôpital, les regardant éponger la sueur de leurs sourcils, l'épuisement inscrit dans leurs corps. Tu as tracé les lignes de leurs mains - des mains qui ont mis des bébés au monde, qui ont recousu ce que des éclats d'obus ont arraché.
Et le soir, tu attendais les pêcheurs aux bateaux chargés de parfums de mer, qui rentraient, leurs filets remplis d'histoires sur la distance à parcourir et le peu qu'ils pouvaient rapporter.
Tu étais magnifiquement, douloureusement partout.
Puis vint l'hiver qui t’a engloutie.
Les élèves ne sont jamais rentrés chez eux ce jour-là. Les professeurs se turent. Les couloirs des hôpitaux bruissaient de voix qui ne s'exprimaient plus qu'en chiffres. Les pêcheurs sont revenus les cales vides, l'eau derrière eux sombre, lourde de ces choses que personne n'osait nommer.
Les boulangeries qui répandaient l'odeur du sésame et du thym se sont vidées. Les rues, enlacées au rythme de tes pas, se sont tues.
J'ai essayé de te rejoindre. J'ai cherché les lieux où tu avais coutume d'être.
J'ai couru vers les écoles, mais il n'y avait plus de pupitres, plus de taches d'encre, plus de chaussures éraflées se balançant sous les chaises. Il n'y avait que des murs détruits, des tableaux brisés, des pages de manuels effeuillés par le vent.
J'ai couru les hôpitaux, pour ne voir que des lits pleins de gens qui n'ouvriraient plus les yeux. Les médecins s'asseyaient contre les murs, les mains figées, le regard vide.
J'ai couru sur les marchés, mais les étals de fruits était renversés, les oranges écrasées sous les coups de bottes et le sable imbibé de sang.
J'ai crié ton nom. Je l'ai crié dans les ruines, la poussière et le silence. Et je n'ai plus eu de nouvelles de toi.
Maintenant, je suis ici. Quelque part au loin. Le ciel est calme, et les rues sont propres. Personne ne se retourne avant de traverser la route. Ils me disent d'être reconnaissant. Ils me disent que je suis en sécurité.
Mais je ne sais pas ce qu'est la sécurité sans toi.
Ils me demandent d'où je viens. J'essaie de dire, mais les mots se coincent dans ma gorge. Je pourrais raconter les faits. Les données géographiques. Les chiffres démographiques. Le nombre de victimes.
Comment leur dire que tu étais les anciens jouant au backgammon à la sortie de la mosquée? Que tu es l'odeur de la pluie sur la terre sèche? Que tu es l'appel à la prière se propageant dans les rues, mêlé aux rires des enfants tapant dans un ballon en lambeaux?
Comment leur dire que tu es ces femmes qui cuisaient le pain avant le lever du soleil, ces écrivains se battant contre le poids du temps, ces journalistes fonçant vers les flammes, ces mères bordant leurs enfants au lit, murmurant “ça ira”, même en sachant que ça n'irait pas?
Comment leur dire que tu es ma maison première, mon ultime refuge, ma phrase inachevée?
Que tu es toujours là, dans la salinité de ma peau, dans la poussière sous mes ongles, dans le chagrin enfoui entre mes côtes.
Que je t'entends dans les sirènes d'ambulance qui n'ont pas lieu d'être ici. Que je te vois dans la lueur d'une bougie quand le courant est coupé. Que je te goûte à la première gorgée de café amer, avant l'aube.
Que j'essaie de te garder en vie.
Et que je ne sais pas comment.
Que je ne sais même pas si c'est possible.
Que le monde t'a enterrée vivante.
Qu'ils se tiendront devant ta tombe et la nommeront collatérale.
Qu'ils effaceront ton nom des cartes et tes histoires de l'histoire, et qu'ils me diront d'aller de l'avant, de repartir de zéro
Que j'ai passé des nuits à tenter de dire au monde que tu souffrais, pas par excès de conscience, mais parce que mon amour pour toi est plus fort que le métal et le verre encore plantés dans mon dos, du jour d'avant.
Mais je chuchoterai ton nom dans le vent jusqu'à atteindre les lieux dont ils t'ont exclue. Je glisserai tes histoires dans les failles de leur silence, et les broderai au cœur d'un monde qui prétend que tu n'as jamais existé.
Ils redessineront les cartes, effaceront le sang de leurs mains, te nommeront un souvenir.
Mais je sais que tu es toujours là, respirant la poussière qui refuse de retomber. Je t'entends dans le souffle des vagues qui se brisent encore sur un rivage que plus personne ne foule.
Tu es la braise ensevelie sous les ruines. Tu es la flamme sous la cendre et le feu sous les décombres.
Je sais que tu attends.
Et je sais que lorsque tu te lèveras - car tu te lèveras - ils parleront de miracle.
Mais j'appellerai cela comme il se doit.
Mon foyer, le retour à la vie.
Mohammed R. Mhawish -
09.03.25
Source: substack.com