From Kishinev to Gaza
'Pogrom'. Ce terme russe désigne une violente émeute provoquée dans le but de massacrer les juifs et de détruire leurs biens. L'un des pogroms les plus meurtriers (50 juifs ont été tués et près de 600 blessés) a eu lieu à Kishinev (Chisinau, capitale actuelle de la Moldavie) il y a 120 ans, en avril 1903. Mais le traumatisme des sionistes russes confrontés à l'oppression dans la Russie tsariste il y a plus d'un siècle, continue d'informer la culture politique israélienne.
Le mot russe a été largement utilisé par les Israéliens pour caractériser l’attaque du Hamas contre le sud d’Israël en octobre 2023. Il avait également été utilisé auparavant. Par exemple, un général israélien l’a utilisé quelques semaines plus tôt lorsque des colons sionistes armés ont attaqué le village palestinien de Huwarah, en Cisjordanie occupée. Ces attaques se sont intensifiées depuis. Le terme semble approprié puisque des milices israéliennes armées attaquaient des civils non armés.
Cependant, l’utilisation de ce terme pour désigner l’attaque du Hamas a suscité un débat. Certains affirment que le Hamas a mené cette opération comme un acte de résistance contre l’un des États les mieux armés au monde. Ils ne qualifieraient pas l’attaque de pogrom parce qu’elle était en fin de compte dirigée contre un État puissant appliquant un système jugé oppressif et illégitime par ses victimes. D'autres mettent l'accent sur les cibles purement civiles de l'attaque comme le festival de musique, ce qui peut justifier l'utilisation du mot russe. Ils attribuent l’attaque du Hamas à l’antisémitisme, c’est-à-dire à une haine non motivée, plutôt que d’y voir une réaction à des décennies de souffrance et de misère infligées par l’État sioniste.
Cependant, au sein de l’État d’Israël, malgré sa formidable puissance militaire, notamment ses armes nucléaires, le terme a fait son chemin. On a affirmé que le nombre de juifs tués en une journée lors de l’attaque du Hamas était le plus élevé depuis le génocide nazi. Cela traçait une ligne directe avec le génocide nazi et créait l’impression que les juifs étaient une fois de plus impuissants face au «mal pur et non frelaté», comme l’a dit le président américain.
Lorsque, deux semaines après le début du bombardement israélien de Gaza, le secrétaire général de l’ONU a rappelé au monde que l’attaque du Hamas ne s’était pas produite en vase clos, Tel-Aviv a appelé avec indignation à sa démission. Il y a peu de tolérance pour toute mention du blocus israélien de Gaza depuis 2007 et, plus généralement, de la responsabilité israélienne dans la dépossession, la déportation et le meurtre de Palestiniens depuis 1947. Cela semble être la cause manifeste de la résistance palestinienne. La plupart des Israéliens préfèrent également ignorer le fait que les millions de Palestiniens piégés à Gaza sont en grande partie les descendants de ceux que les milices sionistes et l’armée israélienne ont expulsés de leurs foyers dans ce qui est aujourd’hui l’État d’Israël. Les responsables israéliens et leurs partisans ailleurs font généralement preuve d’arrogance et d’autosatisfaction pour rejeter un débat rationnel sur l’attaque du Hamas.
Outre les objectifs politiques évidents de cette stratégie de relations publiques, on peut constater une véritable adoption du terme «pogrom» dans la société israélienne dans son ensemble. Les sionistes idéologiquement engagés traitaient les victimes des pogroms d’il y a plus d’un siècle et les survivants du génocide nazi avec honte et dédain. On leur reprochait de ne pas avoir eu le courage de se battre, d'«aller comme des moutons à l'abattoir». Haim Nahman Bialik, qui deviendra plus tard une icône culturelle en Israël, dans un poème écrit à la suite du pogrom de Kishinev, a fustigé les survivants, leur faisant honte. Bialik s’en est pris aux hommes qui se cachaient dans des trous puants, «des maris, des mariés, des frères accroupis, regardant par les fissures», tandis que leurs voisins non juifs violaient leurs femmes et leurs filles. Ce poème, traduit en russe par Vladimir Jabotinsky, reste l’une des représentations littéraires les plus fortes du pogrom.
Brenner, un autre poète et, comme Bialik, fils d'une pieuse famille juive russe, a radicalement transformé le verset le plus connu du livre de prières juif "Écoute, ô Israël, Dieu est ton Seigneur, Dieu est Un!", l'un des premiers vers enseignés aux enfants et le dernier prononcé par un juif avant sa mort. Le verset révisé de Brenner proclamait: "Écoute, ô Israël! Pas œil pour œil. Deux yeux pour un œil, toutes leurs dents pour chaque humiliation!" C’est ainsi que ces écrivains sionistes et bien d’autres ont attisé les feux de la vengeance et de la violence. Tout comme le juif de la diaspora aurait été un lâche, le juif sioniste – le nouvel hébreu, le juif israélien – doit être un guerrier.
Plus tard, reconnu comme légataire collectif des victimes du nazisme, l’État d’Israël a reçu des ressources financières cruciales de l’Allemagne de l’Ouest et d’autres pays. Dans le même temps, une transformation s’opérait: tandis qu’il devenait militairement plus fort, l’État d’Israël prétendait être reconnu non seulement comme légataire des victimes passées, mais comme véritable victime collective et juste à part entière.
Le procès Eichmann en 1961 a marqué un tournant à cet égard. A partir de ce moment, l’État d’Israël a souligné sa continuité avec les victimes et a introduit les études sur l’Holocauste dans l’enseignement public. Les responsables israéliens affirment que leur pays est injustement traité comme juif collectif inoffensif. Face à l’opprobre suscité par les bombardements massifs de Gaza en 2023, les délégués israéliens aux Nations-Unies ont commencé à porter des étoiles jaunes à six branches, comme celles imposées aux juifs dans l’Europe occupée par les nazis.
La mémoire juive européenne de la victimisation a été entretenue, cultivée et transmise aux futures générations d’Israéliens. La mémoire collective des pogroms de la zone réservée aux juifs dans l'Empire russe et des camps de la mort en Pologne a été inculquée dans les écoles israéliennes. Tous les étudiants, que leurs ancêtres aient ou non souffert aux mains des nazis, sont amenés à la même conclusion: les Arabes nous attaquent simplement parce que nous sommes juifs. Il n’est pas étonnant que ce soit ainsi que de nombreux Israéliens perçoivent l’attaque du Hamas, qui leur permet de soutenir la violence massive infligée aux Palestiniens.
Depuis octobre 2023, les comparaisons entre la résistance palestinienne et le nazisme ont pris un nouveau souffle. L’un des précédents les plus connus appartient à Menachem Begin qui, lors de la première invasion du Liban par Israël, compara Arafat à Hitler. Cela visait à donner une apparence moralement saine au bombardement massif sur Beyrouth en 1982. De telles comparaisons sont désormais utilisées pour justifier un bombardement beaucoup plus meurtrier sur Gaza. La proportion de victimes civiles dans ces bombardements a dépassé celle de tous les cas de guerre du XXè siècle.
L’État d’Israël a également tendance à déshumaniser les Palestiniens pour justifier ce que de nombreux experts qualifient de génocide. Un professeur d’histoire israélien dans un lycée a été placé à l’isolement pour avoir publié sur Facebook des publications montrant les noms et les visages de quelques-uns des 20.000 Palestiniens tués (chiffres actualisés-ndlr MCP) lors de l’attaque israélienne sur Gaza. L’État sioniste considère apparemment l’humanisation des Palestiniens comme une menace existentielle. Le paradigme du pogrom de Kishinev est utilisé pour donner 'carte blanche' morale à la destruction israélienne de Gaza.
Pr. Yakov M. Rabkin (Montréal) -
13.12.23
Source: jesjoeroen.blogspot.com (trad.MCP)
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