Thomas Friedman s’inquiète trop pour Israël
Israël implose-t-il de l’intérieur?
Ces derniers mois, la fracture massive entre un segment de la société israélienne juive, qui insiste sur le fait que les Israéliens juifs doivent maintenir la suprématie juive en sauvegardant la démocratie de la race supérieure, et un gouvernement avec un soutien tout aussi massif insistant sur le fait que la suprématie juive ne peut être maintenue que par la semi-autocratie de la race supérieure, s’est imposée.
Alors que la Grande-Bretagne et l’Union européenne – avec leur attitude «nous aimons Israël, bon ou mauvais» – n’ont pas montré beaucoup d’inquiétude au sujet des événements récents, cette lutte fratricide entre les colons juifs d’Israël sur la meilleure façon de maintenir la suprématie juive a causé beaucoup d’inquiétude parmi les principaux partisans d’Israël aux États-Unis.
Thomas Friedman, l’enthousiaste pro-guerres impériales américaines et chroniqueur pro-israélien du New-York Times, qui a récemment rencontré Joe Biden à la Maison Blanche pour discuter de ces développements, a publié il y a quelques jours une lettre ouverte au président américain l’exhortant à «sauver» Israël de lui-même.
Friedman s’inquiète trop pour Israël. Il est profondément investi dans la préservation de la démocratie juive de la race supérieure et veut que le gouvernement américain menace de «réévaluer» sa relation avec Israël en raison des réformes judiciaires.
«Sauver» Israël
Dans son article, Friedman fait référence à la colonie de peuplement sioniste avec l’étrange locution «la seule démocratie juive», comme s’il existait d’autres autocraties juives qui se distinguent de l’Israël «démocratique». Malgré, ou peut-être à cause de ses opinions anti-palestiniennes et anti-arabes notoires, Friedman est adoré par les gouvernements arabes pro-américains et les hommes d’affaires néolibéraux arabes, qu’il présente dans ses livres et à qui il s’adresse régulièrement dans des discours payants dans les capitales arabes.
Son livre pro-israélien et anti-palestinien de 1989, From Beirut to Jerusalem: One Man’s Middle Eastern Odyssey, qui lui a valu des distinctions dans le courant dominant américain anti-palestinien, a été surnommé, à l’époque, par le regretté Edward W. Said: On the Orientalist Express.
Dans sa lettre ouverte, Friedman exhorte Biden à «sauver» cette «démocratie juive» des menaces internes, comme l’aurait fait le président Richard Nixon en 1973. Bien sûr, cette année-là, l’Égypte et la Syrie ont envahi leurs propres territoires, illégalement occupés et colonisés par Israël en 1967, pour les libérer et mettre fin au colonialisme israélien. Ils n’ont pas attaqué la «démocratie juive» – quelle qu’elle soit.
Mais le pro-israélien Friedman ne se laisse pas décourager. Il a besoin de ce morceau de propagande pro-israélienne pour faire sa comparaison entre le soutien américain pour sauver le colonialisme israélien en 1973 et son appel à Biden à faire de même maintenant.
Friedman craint que les réformes judiciaires du gouvernement Netanyahu ne «fracassent l’armée israélienne», le principal exécuteur du colonialisme de peuplement dont le travail principal a toujours été la préservation de la suprématie juive en Israël. Il appelle Biden à donner à Israël «une dose d’amour pur et dur – pas seulement de votre cœur mais aussi du cœur des intérêts stratégiques américains».
Friedman est un vieux meneur de claques des intérêts impériaux américains au Moyen-Orient, qui selon lui, seront sapés si la suprématie juive en Israël est maintenue par l’autocratie plutôt que par la démocratie de la race supérieure. Il supplie presque désespérément Biden de protéger ces intérêts. Les Américains, dit-il, «ont le droit – en fait nous sommes tenus – de défendre les intérêts stratégiques» américains.
Intérêts «US»
Le raisonnement de Friedman est que les mesures de Netanyahu pourraient conduire à l’annexion de la Cisjordanie, ce que Netanyahu avait menacé de faire de toute façon sous un précédent gouvernement moins «extrêmiste»- quelque chose que Friedman a peut-être oublié. Une telle annexion pourrait conduire à un exode de la population palestinienne, prévient Friedman, qui se retrouverait en Jordanie, «déstabilisant» son régime ami des Etats-Unis et de Friedman.
Il affirme que la Jordanie, dont le monarque, le roi Abdallah II, était en visite aux États-Unis au moment de la publication de l’article de Friedman, est «l’État tampon le plus important de la région pour les États-Unis». Son instabilité est donc une menace non seulement pour les intérêts américains mais aussi pour la «sécurité» israélienne. Que le statut de la Jordanie en tant que «État tampon» pour Israël et les États-Unis dépende du fait qu’il ne s’agit pas d’une démocratie, et qu’il s’agit en fait d’une autocratie, ne dérange en rien Friedman; après tout, ce qui compte, ce sont les droits des juifs.
Friedman craint également que Netanyahu ait embarrassé les nouveaux alliés arabes autocratiques d’Israël qui ont signé les accords d’Abraham normalisant les relations avec la colonie de colons juifs.
Plus important pour Friedman, cependant, et ce qu’il identifie comme des intérêts américains, est la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite, que les actions de Netanyahu, craint le chroniqueur, ont mises en danger.
Enfin, bien qu’étrangement, Friedman parle de la possible fracture de l’armée israélienne financée par les États-Unis comme d’un «désastre» pour les États-Unis, mais aussi pour Israël, étant donné qu’Israël «a de vrais ennemis comme l’Iran et le Hezbollah à sa porte». Que l’Iran et le Hezbollah soient identifiés uniquement comme des ennemis d’Israël et non des États-Unis peut être un oubli, mais c’est un oubli notable, en particulier au vu des récentes légères améliorations des relations américano-iraniennes.
Engagement «à toute épreuve»
Alors que Friedman et d’autres forces pro-israéliennes aux États-Unis paniquent à propos de l’implosion imminente de l’État israélien, les événements se déroulent rapidement en Palestine. L’armée israélienne et les colons juifs poursuivent quotidiennement leur saccage colonial et leur massacre de Palestiniens, tandis que l’administration Biden réaffirme son soutien inconditionnel, à commencer par la déclaration de Biden, lors de la récente visite du président israélien Isaac Herzog, selon laquelle «l’engagement de l’Amérique envers Israël est ferme et à toute épreuve».
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a également réitéré que Biden "plus que quiconque que je connaisse, est profondément attaché à la sécurité d’Israël, et cela ne changera jamais". Un tel engagement envers la sécurité de cet implant prédateur au milieu du monde arabe est quelque chose avec lequel tous les alliés arabes de Washington sont plus que confortables.
Pendant ce temps, l’Autorité palestinienne (AP) collaborationniste a reçu une bouée de sauvetage de la part du gouvernement israélien actuel, qui s’est engagé à empêcher son effondrement, à condition qu’il redouble ses efforts répressifs contre les résistants palestiniens anticoloniaux, la tâche principale pour laquelle l’AP a été créée en 1993, et dont il n’a jamais bronché – ni sous Yasser Arafat ni ses successeurs. L’AP a facilement satisfait aux demandes israéliennes en lançant une grande campagne répressive, en arrêtant des dizaines de résistants palestiniens.
L’Égypte et la Jordanie, deux des principaux alliés de Washington, persistent, à la demande des Américains et des Israéliens, à faire pression et à menacer le Hamas et le Jihad islamique, dont les dirigeants ont été récemment invités au Caire pour une rencontre avec le chef de l’AP, Mahmud Abbas. Le Hamas a accepté l’invitation tandis que le Jihad islamique a conditionné sa participation à la libération par l’AP de ses membres détenus.
Pendant ce temps, l’allié de Washington, le président turc nouvellement réélu et pacificateur, Recep Tayyip Erdogan, a invité Benjamin Netanyahu et Abbas à lui rendre visite séparément mais consécutivement dans une tentative pas si secrète de médiation, comme si une médiation était nécessaire entre le chef d’une colonie européenne de peuplement occupant illégalement des terres et son collaborateur l’Autorité palestinienne.
Erdogan a également invité le chef du Hamas Ismail Haniyeh à servir de médiateur entre le mouvement anticolonial et l’AP collaborationniste.
«Des valeurs partagées»
Pendant ce temps, à Washington, des réunions privées sur la restructuration de l’AP – probablement après la mort d’Abbas – se tiennent. Le plan serait de la débarrasser enfin de sa direction politique parasitaire et de l’exposer plus clairement comme rien de plus qu’une force de sécurité répressive formée et financée par les États-Unis, conçue pour protéger Israël (et les profits et les investissements de la classe d’affaires palestinienne de Cisjordanie), attachée à un appareil bureaucratique chargé d’administrer les besoins municipaux de la population à la demande d’Israël.
Et si cela ne suffit pas à rassurer Friedman et d’autres, le secrétaire à la Défense Lloyd Austin a souligné au ministre israélien de la Défense dans un appel le 25 juillet que "l’engagement américain envers la sécurité d’Israël est ferme et inébranlable", et a affirmé que le ministère de la Défense est axé sur les initiatives qui approfondissent la coopération militaire. Consterné que les Palestiniens continuent de résister à l’occupation coloniale israélienne, Austin a appelé "les dirigeants palestiniens à condamner le terrorisme et à prendre des mesures actives pour prévenir la violence".
Aucune de ces actions US pro-israéliennes et anti-palestiniennes en cours ne semble apaiser les inquiétudes de Friedman et de ses semblables. Friedman parle des «valeurs partagées» entre Israël et les États-Unis, prétendant que ces valeurs partagées sont un engagement envers la «démocratie» plutôt qu’un engagement envers le colonialisme de peuplement.
Bien sûr, ses affirmations sont reprises par David Rothkopf, ancien responsable de l’administration Clinton et journaliste, qui affirme que "une relation fondée sur des valeurs partagées ne peut pas être facilement restaurée une fois qu’il est clair que ces valeurs ne sont plus partagées". Mais les valeurs du colonialisme et de l’impérialisme américain continuent sans cesse d’être partagées entre les deux pays.
B.Netanyahu sait très bien que les amis américains les plus libéraux d’Israël peuvent souffler et râler tant qu’ils veulent, rien de tout cela ne fera disparaître l’amour que les élites US portent à Israël et à ses colonisateurs.
Joseph Massad -
28.07.23
Source: ISM