L'assassinat de Khader Adnan laisse 9 orphelins qui, à n'en pas douter, retiendront les leçons de leur père
Pourquoi les Palestiniens se reconnaissent-ils dans Khader Adnan?
Ceux qui tentent de minimiser la colère de l’opinion publique à la suite de la mort du gréviste de la faim ne veulent pas parler du régime carcéral violent contre lequel il luttait.
Dans une autre vie, Khader Adnan aurait pu être un personnage discret. Musulman profondément religieux portant une longue barbe caractéristique, Khader tenait une boulangerie dans sa ville natale d’Arraba, près de Jenin, en Cisjordanie. Il était le père de neuf enfants qui l’adoraient et le mari de Randa Mousa-Adnan, qu’il considérait comme le pilier de leur famille.
Son affiliation au Jihad islamique, une faction ferme et militante, dérangeait de nombreux Palestiniens, y compris d’autres islamistes. Pourtant, même ceux qui ne partageaient pas ses convictions savaient que Khader était un homme humble et attentif qui prenait soin de sa communauté et pratiquait sa politique par le biais de la solidarité.
Mais Khader Adnan n’aurait jamais pu vivre une vie ordinaire. Son éducation dans le nord de la Cisjordanie a été assombrie par un appareil militaire oppressif qui a étouffé ses mouvements et opéré à sa guise dans son pays d’origine. En 1999, alors qu’il était étudiant militant à l’université de Birzeit, il a été incarcéré à deux reprises par les deux autorités qui géraient l’occupation – d’abord par l’armée israélienne, puis par les forces de sécurité palestiniennes.
Au cours des 24 années qui ont suivi, Khader a été arrêté à de multiples reprises, généralement dans le cadre d’une «détention administrative» israélienne, sans la moindre procédure régulière. Il est devenu une icône de la résistance tout en exaspérant ses geôliers israéliens depuis ses cellules de prison et ses lits d’hôpitaux.
La mort de Khader Adnan, survenue mardi dernier 02 mai, à l’âge de 45 ans, à la suite d’une grève de la faim de 86 jours contre sa dernière incarcération, a suscité des réactions dans toute la société palestinienne. Mais à part les nombreux messages sur les réseaux sociaux et plusieurs manifestations, il n’y a eu jusqu’à présent que peu d’agitation dans les rues.
Les raisons en sont complexes et donnent à réfléchir. La mort est devenue tellement omniprésente dans la réalité palestinienne que beaucoup sont devenus insensibles à la douleur collective constante. Le mouvement des prisonniers, bien que toujours important, a perdu beaucoup de son influence ces dernières années face à un appareil sécuritaire de plus en plus intransigeant.
Le corps politique palestinien est tellement fracturé que peu de leaders ou d’incidents sont actuellement capables de mobiliser les masses. Tout cela est le fruit d’un régime israélien qui, par sa violence et son impunité, a rendu les vies palestiniennes inutiles et a écrasé toute velléité de résistance palestinienne, même celle d’un boulanger affamé.
Israël et ses partisans ont mis en avant l’appartenance de Khader Adnan au Jihad islamique et son soutien à la lutte armée pour discréditer la colère de l’opinion publique à la suite de sa mort. Mais ils ne comprennent pas pourquoi tant de Palestiniens, même ceux qui ne suivaient pas ses idées, le révèrent comme un symbole national. Ils ne veulent pas parler de l’État carcéral qui peut enfermer n’importe quel Palestinien sans procès, peu importe qui il est ou ce qu’il a fait. Ils ne veulent pas parler des tribunaux militaires qui se targuent d’un taux de condamnation de 99% sur la base de «preuves secrètes» et de motifs juridiques des plus médiocres. Ils ne veulent pas parler des abus quotidiens des soldats et des colons israéliens en Cisjordanie qui, après cinq décennies, n’ont aucune envie de partir.
Chaque Palestinien ne connaît que trop bien ces expériences; c’est pourquoi, au-delà des clivages sociaux, nous nous reconnaissons tous en Khader Adnan. Nous voyons la cruauté de nos oppresseurs, l’indifférence de la communauté internationale et la fragilité de nos corps. Mais nous voyons aussi en lui notre persévérance obstinée, notre amour pour nos familles et notre aspiration à la liberté.
Khader Adnan rejoint maintenant une longue lignée de Palestiniens dont nous commémorons la vie au mois de mai: de la journaliste Shireen Abu Akleh, abattue par des tireurs d’élite israéliens l’année dernière, aux centaines de milliers de personnes dépossédées il y a 75 ans lors de la Nakba.
Alors même que nous nous remémorons une nouvelle tragédie, les Palestiniens continuent de se battre pour cette autre vie – une vie libérée du joug colonial, dans laquelle Shireen s’exprimerait à la télévision et Khader fabriquerait notre pain quotidien, avec le sourire sur leurs visages.
Note MCP:
Aux dernières nouvelles, on apprend que le corps de Khader Adnan n'a toujours pas été restitué à sa famille. Au point que la Croix-Rouge a exhorté le régime colonial israélien de procéder sans délai à sa restitution. Depuis 2015, environ 130 corps palestiniens n'ont toujours pas été rendus à leurs familles. Nouvelle illustration de la 'seule démocratie au M-O'!
Amjad Iraqi -
05.05.23
Source: Agence Medias Palestine