Il s’agit bien d’un pogrom !
Lorsque les responsables israéliens appellent les colons à ne pas se faire justice eux-mêmes contre les Palestiniens, ils disent en fait «laissez l’armée faire le travail à votre place»
Il y a des images qui ne s’effacent pas. Le genre d’images que l’on peut presque sentir. Et les images du pogrom des colons israéliens à Huwarah dimanche soir, après le meurtre de deux frères, colons eux aussi, dans la ville de Cisjordanie, sont de celles-là: elles sentent la suie, l’horreur, la pourriture. Notre pourriture.
Au cours des dernières années, nous avons alerté sur la montée alarmante dans toute la Cisjordanie occupée de milices conjointes colons-soldats qui assassinent, blessent et terrorisent les communautés palestiniennes. Ce sont ces mêmes milices qui ont laissé Huwarah brûler la nuit dernière.
Selon des témoins oculaires, immédiatement après le meurtre des deux colons, l’armée israélienne a fermé les deux entrées de Huwarah, permettant à la horde de colons d’entrer dans la ville à pied, et s’est abstenue de faire quoi que ce soit pour empêcher les atrocités qui s’ensuivirent. Dans une vidéo TikTok diffusée, on peut voir les colons en train de distribuer de la nourriture aux soldats visiblement ravis et reconnaissants stationnés aux entrées de la ville.
Pendant que Huwarah brûlait, le 1er ministre israélien Benjamin Netanyahu a publié un message vidéo demandant aux Israéliens «de ne pas faire justice eux-mêmes» et de «laisser Tsahal et les forces de sécurité faire leur travail». Il n’a pas hésité à leur rappeler en quoi consiste ce «travail», notant que l’armée avait «éliminé des dizaines de terroristes» ces dernières semaines, une allusion claire aux massacres commis par les forces israéliennes à Jenin et Naplus depuis le mois de janvier. Le Président d’Israël, Isaac Herzog, a lancé un appel similaire aux colons, insistant sur le fait que la violence contre des innocents n’est «pas notre façon de faire».
À travers leurs remarques, cependant, Netanyahu et Herzog admettent involontairement que la punition collective des Palestiniens est déjà à l’ordre du jour des autorités israéliennes chargées de l’application de la loi, mais que le maintien de l’ordre social voudrait que cela soit l’armée, et non les civils, qui mette cette punition en œuvre. En d’autres termes, lorsque Netanyahu demande aux colons de laisser les soldats «faire leur travail», il leur dit en fait de «laisser Tsahal faire le travail pour vous».
Car au-delà de toutes les lois ignobles que ce gouvernement s’apprête à adopter, la loi qui prime depuis toujours en Israël – qui définit son identité et dicte sa politique – est la loi d’élimination des Palestiniens. Pour ce gouvernement d’extrême-droite, cette logique coloniale est un commandement divin; pour les militaires, c’est un devoir opérationnel.
Cette «loi» d’élimination a de nombreux visages et s’actualise en permanence. Vendredi dernier à Hébron, les Palestiniens et les militants anti-occupation ont célébré le 29è anniversaire du massacre de la mosquée d'Ibrahim, au cours duquel Baruch Goldstein – un héros personnel du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir – a assassiné 29 fidèles palestiniens. La manifestation annuelle ne s’est pas contentée de commémorer le massacre, mais a également forcé l’ouverture de la rue Shuhada, l’une des principales artères d’Hébron que l’armée a fermée aux résidents palestiniens depuis le massacre, laissant pourtant la route ouverte aux colons qui vivent dans la ville.
Alors que nous nous tenions devant la rue Shuhada, les militaires nous ont empêchés d’avancer de plus de quelques dizaines de mètres avant de nous tirer des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Le processus d’effacement de la présence palestinienne au cœur de la plus grande ville de Cisjordanie est tel qu’une telle manifestation, même israélienne, est intolérable pour l’occupant.
Instiller la peur
Pour être efficace, une politique d’élimination doit répondre à deux conditions: la poursuite de massacres et de violences plus ou moins graves d’une part – et un public favorable voire complice d’autre part. Israël peut se vanter de remplir les deux.
Le phénomène connu sous le nom de «violence des colons» est une séquence d’agressions quotidiennes et sans fin, dont seule la pointe de l’iceberg retient l’attention des médias israéliens. Sous la bannière d’une «guerre contre le terrorisme», les soldats peuvent commettre des crimes intolérables dont peu, encore ici, sont signalés. La dimension massive des crimes, leur fréquence, leur omniprésence et leur approbation explicite par les dirigeants et l’opinion publique d’Israël, sont tous conçus pour construire une réalité dans laquelle la «loi» d’élimination devient la «loi de la Nature».
Les dirigeants israéliens ont toujours joué un rôle capital dans la normalisation de la loi d’élimination. Le ministre des Finances Bezalel Smotrich, l’un des ministres les plus puissants du gouvernement, a «aimé» un tweet de Davidi Ben-Zion, le chef adjoint du Conseil des colons de Samarie, lequel a appelé à «effacer» Huwarah. Quelques heures plus tard, il a fait écho au ton «plus doux» de Netanyahu et Herzog, exhortant les colons à ne pas faire justice eux-mêmes.
Pendant ce temps, le député Tzvika Fogel du parti d’extrême-droite, Otzma Yehudit, qui dirige la commission de la sécurité nationale de la Knesset, a déclaré qu’il considérait le pogrom «de manière positive», ajoutant: "Un Huwarah fermé et brûlé – c’est ce que je veux voir. C’est le seul moyen de dissuasion. Après un meurtre comme celui d’hier, si Tsahal n’agit pas, les villages doivent brûler." La députée du Likud, Tally Gotliv, a refusé de condamner le pogrom, affirmant qu’elle "ne pouvait pas juger les personnes endeuillées". On ne doute pas du sort d’un Palestinien qui oserait tenir pareil propos sur son peuple dans une situation similaire.
Le fait que les dirigeants israéliens jouissent d’instiller la peur chez les Palestiniens n’est pas seulement une tache morale indélébile sur nous en tant que juifs, mais un terrible signe avant-coureur des choses à venir. Avant que la nouvelle coalition ne prête serment, Amir Fakhoury et Meron Rapoport ont averti qu’il pourrait s’agir du «deuxième gouvernement Nakba» d’Israël. Pourtant, même eux n’ont sans doute pu mesurer la détermination, la soif de sang et la rapidité avec laquelle la coalition ferait avancer son programme.
Depuis le début de l’année, par exemple, les forces israéliennes ont coûté la vie à plus de 60 palestiniens en Cisjordanie – la plus importante mortalité sur le territoire en deux décennies – ont accéléré les projets d’expansion des colonies, et ont légiféré pour révoquer la citoyenneté et le droit de résidence des Palestiniens. Lors de l’attaque de Huwarah, les membres de la Knesset ont présenté un projet de loi pour légaliser la peine de mort.
À plusieurs kilomètres de là, des centaines de milliers d’Israéliens, transis de peur, descendent dans la rue chaque semaine pour protester contre la refonte constitutionnelle du gouvernement – et à juste titre. Mais le régime israélien, avec son absence de limites, ne doit pas se mesurer à ce qu’il est prêt à faire aux juifs, mais à ce qu’il est prêt à faire aux Palestiniens. Le pogrom de Huwarah et les réactions des dirigeants israéliens montrent clairement jusqu’où ils sont prêts à aller dans leur guerre d’élimination.
Orly Noy -
27.02.23
Source: Agence Medias Palestine