FREE PALESTINE
27 décembre 2022

Quand le «rêve juif» se transforme en cauchemar

Source: Externe

La définition d’Israël comme un État d’apartheid par Amnesty International et Human Rights Watch est l’aboutissement d’un long processus de cadrage et de recadrage de la question palestinienne

 

Ce processus était à la fois politique et académique. Il a commencé avec un groupe d’universitaires palestiniens qui ont formé, en 1965, le Centre de recherche de l’OLP à Beyrouth, et parmi eux, des universitaires tels que Fayez Sayigh et Ibrahim Abu Lughod ont introduit l’application du paradigme de la colonisation au cas de la Palestine.

Plus tard, Uri Davis, dans son ouvrage fondamental sur Israël, a clarifié la place de l’apartheid dans les moyens utilisés par le mouvement colonisateur du sionisme et l’État d’Israël pour mettre en œuvre la logique principale de tout projet colonial de peuplement: «L’élimination de l’indigène».

Le travail du Centre de recherche de l’OLP a permis d’expliquer la différence entre le colonialisme classique d’exploitation et la variété coloniale de peuplement qui a fonctionné en Amérique du Nord, en Australie et dans d’autres endroits, où l’objectif principal des colons européens était de déplacer ou d’éliminer la population indigène et de la remplacer.

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Un autre développement dans l’étude du colonialisme de peuplement s’est produit lorsque, dans les années 1990, un groupe de chercheurs principalement australiens (tels que Patrick Wolfe et Lorenzo Veracini), intéressés par la Palestine et engagés dans ce pays, ont identifié d’autres caractéristiques du colonialisme de peuplement à notre époque, principalement sa nature structurelle. Dans le cas de la Palestine, cela signifiait que la même idéologie qui a servi de base au nettoyage ethnique de 1948 et au souhait sioniste d’éliminer les Palestiniens, sert de base au siège de Gaza, à la judaïsation de certaines parties de la Cisjordanie et du Grand Jérusalem, et au système d’apartheid en Israël.

Cette recherche et les travaux ultérieurs des universitaires palestiniens et de ceux qui s’intéressent à la Palestine ont également contribué à clarifier ce qu’il advient des mouvements coloniaux tels que le sionisme lorsqu’ils ne parviennent pas à mettre pleinement en œuvre leur programme de nettoyage ethnique, comme ce fut le cas en 1948. L’objectif d’éliminer complètement la population indigène ne disparaît pas du fait de son échec; un échec, il faut le noter, qui a été causé en 1948 par la résilience et la résistance des Palestiniens, et facilité par l’aide limitée qu’ils ont reçue du monde arabe, en particulier des sociétés et moins des gouvernements.

Le fait que la moitié du peuple palestinien soit restée en Palestine, malgré la Nakba, et qu’Israël ait occupé, en 1967, les 22% restants de la patrie dont il n’avait pas réussi à s’emparer en 1948, signifie que même un nettoyage ethnique massif – comme celui qu’Israël a perpétré pendant la guerre de juin 67 et au cours des années qui ont suivi – n’a pas réussi à produire cette «terre vide» qui existait, selon les sionistes, avant leur arrivée. Il n’a pas non plus été possible d’établir un État démocratique sans la volonté de faire partie d’une véritable entité démocratique palestinienne et non sioniste.  

Ainsi, de façon tout à fait absurde, l’échec des nettoyages ethniques de 1948 a conduit à l’établissement de l’État d’apartheid israélien, d’abord dans les frontières d’avant 1967, et aujourd’hui dans toute la Palestine historique.

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On aurait pu penser que cet échec aurait révélé la nature du régime et l’essence du problème en Palestine historique. D’une certaine manière, de nombreux États africains, asiatiques et arabes ont reconnu cette réalité lorsqu’ils ont adopté une résolution des Nations unies en 1975, assimilant le sionisme au racisme.

Et pourtant, l’Occident ne semble pas avoir saisi cette réalité, ou l’a saisie, mais a décidé de l’ignorer. Ce déni s’est fait au nom de deux arguments: le premier était l’aspect limité dans le temps – l’apartheid israélien cesserait d’exister une fois qu’il y aurait la paix avec les Palestiniens (et son absence était la faute des Palestiniens) – et le second, plus important, que l’apartheid sioniste était exceptionnel et devait être à l’abri de toute réprobation internationale. 

Cela fait partie du bilan de la gauche sioniste, qui vit ses derniers jours. L’élite politique et les médias occidentaux ont confirmé leur obsession que, qu’il s’agisse de colonialisme, de racisme ou d’apartheid, s’il est juif, il est unique et ne peut être traité de la même manière que lorsque ces attitudes et idéologies sont défendues ou exercées par des hindous, des musulmans ou des chrétiens. C’est pourquoi les oxymores d’un «nettoyeur ethnique libéral», d’un «occupant progressiste» et d’un «génocidaire éclairé» ont été si aisément tolérés et repris par l’Occident.

Cet exceptionnalisme était crucial pour les communautés juives d’Occident, en particulier les Américains juifs. Ils étaient capables, grâce à cette double argumentation, d’évoquer un «Israël imaginaire»: une démocratie florissante, où même le racisme, le nettoyage ethnique, le génocide et l’oppression sont si uniques qu’ils ne gâchent pas le fantasme. 

Les travaux universitaires qui ont établi la validité scientifique du concept d’apartheid israélien, le travail impressionnant accompli par les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme, et le succès incontestable du mouvement BDS, ont tous rendu très difficile le maintien du fantasme de l’«Israël imaginaire», et tant que les juifs y croiront, ils continueront à soutenir Israël matériellement et moralement.

Les résultats des dernières élections israéliennes, la composition du gouvernement à venir et les déclarations faites jusqu’à présent sur ses futures politiques n’ont pas seulement gâché le rêve, mais l’ont transformé, ou auraient dû le transformer, en un cauchemar juif. L’avenir nous dira quel sera l’impact de ce nouveau développement. Mais c’est un moment de vérité pour les juifs du monde entier.

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Les vieux arguments qui prétendent qu’il y a de pires atrocités qui se produisent ailleurs, ou que les Palestiniens sont à blâmer pour les crimes commis contre eux, sonnent aujourd’hui tellement absurdes et ridicules que, en effet, une jeune génération juive trouve de plus en plus difficile de conserver son allégeance passée au sionisme ou à 'Israël'.

Nous n’avons jamais été, et à juste titre, satisfaits de l’indifférence allemande à l’égard des crimes nazis contre le peuple juif. En tant qu’individus, ou par le biais d’institutions, nous avons estimé, nous avons exigé une compensation, une reconnaissance et un engagement en faveur d’une Allemagne et d’une Europe non racistes et démocratiques.

Israël s’est approprié certaines de ces demandes justifiées au peuple allemand et en a abusé pour mettre à l’abri de toute critique ses politiques contre les Palestiniens. Malheureusement, le système politique allemand a cédé à cette manipulation qui viole le caractère sacré de la mémoire de l’Holocauste et sape le processus de reconnaissance et de réconciliation.

Mais avec ce nouveau gouvernement et ses politiques, et l’énorme soutien dont il bénéficie en Israël pour son fascisme, son racisme et ses plans de consolidation et de légitimation de l’apartheid et de la colonisation israélienne, tout juif ayant un minimum de décence peut-il vraiment continuer à soutenir et à banaliser le «fantasme d’Israël», lequel n’a jamais existé et n’existera jamais?

Lorsque des crimes sont commis en votre nom, même si vous n’êtes pas directement impliqué, il vous incombe, en tant qu’être humain, de dire: «Pas en mon nom», et d’appeler ainsi à un changement significatif de l’engagement international envers la Palestine et à une volonté mondiale de sauver les Palestiniens.

Ilan Pappé -

15.12.22

Source: ISM

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