L’ONU estime qu’il y a 2.800 raids nocturnes de l'armée coloniale israélienne chaque année, soit 8 par nuit!
Chaos et cruauté finement orchestrés dans la petite ville de Bethlehem
Lors d’un voyage d’étude de 10 jours en Palestine organisé par le Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD) au mois de novembre dernier, j’ai vu de nombreux exemples du chaos et de la cruauté soigneusement orchestrés et utilisés par les Israéliens pour perturber systématiquement tous les aspects de la vie des Palestiniens.
Cela se passe tous les jours et se trouve rarement rapporté par les médias du monde. Comme l’a dit le poète palestinien Mourid Barghouti: «L’occupation s’immisce dans tous les aspects de votre vie et de votre mort; elle affecte les rêves et les aspirations, la colère, le désir et la marche dans la rue. Elle intervient dans chaque aller-retour, que vous cherchiez à vous rendre au marché, à l’hôpital, à la plage, à la chambre ou dans une capitale lointaine.»
Nous nous sommes rendus au «checkpoint 300» à Bethlehem à 05h30 du matin et avons vu des centaines de travailleurs palestiniens détenteurs de permis de travail à Jérusalem se rassembler dans une effrayante bousculade pour passer. Aucun être humain ne devrait commencer ainsi sa journée de travail.
Beaucoup ont dû se lever à 03h du matin pour se rendre tôt au point de contrôle au cas où le nombre autorisé à passer serait limité ou si le point de contrôle ouvrait plus tard que 06 heures. Cela provoque des embouteillages et la panique tous les matins. Les étudiants qui viennent à l’Université de Bethlehem depuis Jérusalem sont également touchés, manquant souvent des cours et voire des examens en raison de retards arbitraires dans l’ouverture du point de contrôle.
Gerard Horton de Military Court Watch nous a raconté comment l’armée israélienne fait sentir sa présence à travers des raids nocturnes aléatoires. Ceci est fait délibérément pour perturber la vie familiale normale et pour éviter toute résistance palestinienne qui pourrait se manifester si des arrestations devaient avoir lieu pendant la journée.
Des raids nocturnes sont effectués entre minuit et 05h du matin pour terrifier et briser l’esprit du village. Des soldats lourdement armés frappent à la porte et, si elle n’est pas ouverte immédiatement, la font sauter de ses gonds. Des vérins hydrauliques sont également utilisés pour ouvrir les portes plus silencieusement. Dix soldats entrent alors dans la maison laissant 10 ou 20 autres soldats pour veiller à l’extérieur.
Les soldats font irruption et séparent les parents de leurs enfants; des pleurs et des cris témoignent de la frayeur générale. Souvent les soldats saccagent la maison, jettent des vêtements par terre et retournent des meubles. Les contenants de nourriture sont vidés sur le sol, gaspillant des denrées précieuses – huile, farine et sucre.
Horton nous a dit que l’ONU estime qu’il y a 2.800 raids chaque année – 8 par nuit en moyenne. Presque toutes les maisons des villages situés à proximité des colonies israéliennes ont subi un raid, certaines à plusieurs reprises.
L’armée se rend souvent dans un village, non pas pour rechercher un véritable suspect mais simplement pour harceler les gens – les raids nocturnes sont utilisés aussi comme simple moyen pour former de nouveaux soldats dans un environnement sûr. L’armée israélienne appelle cela «cartographier une zone».
Dans certaines familles, on veille à tour de rôle toute la nuit pour prévenir les enfants en cas de raid. Le sommeil en est perturbé. Une mère se réveille désormais chaque nuit à la même heure qu’a eu lieu le dernier raid nocturne qu’elle a vécu. De telles expériences sont traumatisantes et provoquent des maladies diverses, des dépressions et des troubles du comportement.
Dans le camp de réfugiés d’Aida à Bethlehem, Sarj Hasboon, un résident depuis 25 ans, a rappelé que le camp avait été désigné par le commissaire général de l’UNRWA (l’Office de secours et de travaux des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine) comme l’endroit le plus gazé au monde selon une recherche menée en 2018 par l’Université de Californie.
Plusieurs jours par semaine vers 17h, les troupes israéliennes entrent dans le camp et tirent des gaz lacrymogènes. En 2021, l’armée a gazé la classe de maternelle en présence des enfants. Nous avons vu des séquences filmées plus tôt en 2022 qui montre l’armée débarquer et chasser de jeunes garçons sur le terrain de football, arrêtant deux d’entre eux, âgés de 7 et 11 ans.
Ainsi traumatisés, les enfants ont ensuite peur de jouer au football ou d’aller à la maternelle. S.Hasboon a dit que la seule excuse pour les incursions de l’armée et l’utilisation de gaz lacrymogène était de semer la peur et de pousser les gens à se décider enfin de partir.
Anas Abu Sour, le directeur du Centre de jeunesse du camp, a expliqué que l’armée israélienne alimente les divisions et les conflits dans le camp en fournissant des armes aux gangs du camp pour encourager le «sociocide».
En dépit de toutes ces attaques, j’ai vu de formidables exemples de résistance dans la dignité. Le camp gère depuis 1969 un lieu de rencontre pour les jeunes qui comprend désormais un centre de musique, des salles de réception, un terrain de football, une école maternelle et un jardin agrémenté de serres.
Le professeur Mazin Qumsiyeh de l‘Institut palestinien pour la biodiversité et la durabilité accueille dans ce lieu, qui fait partie de l’Université de Bethlehem, des enfants du camp d’Aida et les familiarise avec des notions d’agriculture durable et de conservation.
À la Tente des Nations, située sur une colline entre Hébron et Bethlehem et entourée de cinq colonies israéliennes, nous avons rencontré Daoud Nasser et sa famille, qui ont mené une bataille juridique depuis 30 ans pour conserver leur ferme. L’affaire est maintenant devant la Haute Cour d’Israël. La famille a dépensé plus de 200 000 $ en frais juridiques! C’est l’un des rares cas qui est devant les tribunaux depuis 1991. Pourtant, malgré une adversité implacable, y compris les attaques de colons, la famille refuse de désespérer et y gère une ferme éducative et environnementale.
28 ordres de démolition menacent toutes leurs structures, y compris les caves, serres, citernes et panneaux solaires, tous indispensables à la vie. La famille persiste à cultiver la terre avec amour, à s’occuper de ses récoltes et à promouvoir l’entente mutuelle partout où elle le peut avec la coopération de milliers de volontaires internationaux chaque année.
La plupart de la trentaine de groupes que nous avons rencontrés, tant palestiniens qu’israéliens, étaient clairs sur le fait qu’une solution à deux États est morte à cause du morcellement du territoire palestinien consécutif à la construction israélienne de routes majeures et de colonies. L’ICAHD a été clair là-dessus: il ne s’agit nullement d’un conflit entre deux parties égales mais d’un colonialisme de peuplement par lequel Israël vise à dominer et chasser la population palestinienne.
Un journaliste israélien que nous avons rencontré, Edo Konrad, rédacteur en chef du magazine en ligne +972, a déclaré que certains membres du nouveau gouvernement israélien de droite avaient même appelé à «une deuxième Nakba» pour détruire à jamais la résistance palestinienne.
Il y avait un large consensus chez ICAHD sur le fait qu’un État démocratique unique serait la seule véritable solution à long terme, aussi éloignée qu’elle puisse paraître pour le moment. Pendant ce temps, les Palestiniens continuent de montrer leur «sumud» – leur persévérance et détermination. Comme nous l’a dit Nabila Espanioly, directrice du centre al-Tufula pour l’autonomisation des femmes à Nazareth: "En tant que Palestinienne, je ne peux m’offrir le luxe de perdre espoir."
Cet espoir ne se réalisera qu’avec le soutien international de la campagne Boycott, Désinvestissement & Sanctions (BDS), dont nous nous devons tous de respecter les consignes dans nos vies au quotidien, mais aussi d’augmenter la pression générale sur le public.
Jan O’ Malley -
22.12.22
Source: Agence Medias Palestine