FREE PALESTINE
31 octobre 2022

Les drones terrorisent Gaza depuis des années. Ils s’apprêtent à faire la même chose en Cisjordanie

Source: Externe

L’armée israélienne promeut la guerre par drones comme étant un moyen moins meurtrier de gouverner la Cisjordanie. Les Palestiniens de Gaza savent que ce ne sera pas le cas

 

La guerre par drones a officiellement commencé en Cisjordanie. Le 29 Septembre, les médias israéliens ont rapporté que l’armée israélienne a donné son feu vert à l’usage de drones armés dans les territoires occupés, citant des sources militaires anonymes.

L’annonce, pressentie plusieurs semaines auparavant, fait suite à une conférence internationale de défense organisée par l’armée, qui a rassemblé des représentants des armées du monde entier au cyber-complexe des Forces de défense israéliennes à Beer Sheva. Durant l’évènement, les généraux ont fait la promotion des dernières innovations de guerre dans des salles climatisées, dans lesquelles des mitrailleuses et des cyber-armes étaient exposées.

A l’extérieur du bâtiment, des drones et des hélicoptères d’attaque simulaient des bombardements mortels sur un paysage désertique et vide, pendant qu’une pluie irrégulière de missiles tombait dans l’air chaud du désert.  

Les dirigeants politiques et militaires israéliens soutiennent que de telles innovations en guerre automatisée apportent des réponses rapides à un cycle de violence qu’ils jugent chronique. Cette violence n’a fait que s’intensifier au fil du temps, l’année 2022 étant en passe de devenir l’année la plus meurtrière de mémoire d’homme pour les Palestiniens de Cisjordanie. 

Afin de résoudre cette soi-disant «crise de sécurité» (qui en réalité découle de décennies d’occupation, excluant tout horizon économique et divisant les responsables politiques) l’armée exige l’usage de drones pour surveiller les camps de réfugiés et cibler les militants. Elle demande aussi l’installation de tourelles équipées d’armes télécommandées afin de sécuriser un grand nombre de check-points, et l’emploi de caméras biométriques afin de tracer les civils à travers la Cisjordanie.

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Dans ce sens, les drones incarnent un certain fantasme de la guerre: compacts, élégants et petits, ils donnent l’impression que le fait de tuer est moins meurtrier et plus efficace techniquement. Peu importe si ce fantasme n’a en réalité pas de fondement, comme en témoignent 17 années de guerre meurtrières depuis le ciel de la Bande de Gaza.

Au contraire, les représentants de l’armée israélienne en sont venus à croire que les armes automatiques (y compris de meilleures caméras, des algorithmes sophistiqués et des missiles plus précis) peuvent se substituer à une réelle stratégie politique, semant une spirale de guerre sans fin. 

‘Zanana’

Israël était un des premiers pionniers dans la technologie du drone. En 1968, un major dans les renseignements de l’armée israélienne, Shabtai Brill, avait accroché des caméras miniatures au flan d’avions télécommandés (ceux avec lesquels les enfants jouent dans leur jardin) pour surveiller clandestinement la frontière égyptienne. Dès le début de la guerre du Liban de 1982, Industries Aérospatiales Israël produisait en quantité des drones de surveillance militaire qui pouvaient voler aux côtés d’avions de chasse afin d’identifier des cibles et de guider des missiles.

Ces développements technologiques ont inspiré d’autres superpuissances militaires (des États-Unis à la Chine) qui ont injecté des millions pour la fabrication de leurs propres drones. Au début des années 2000, les drones ont fondamentalement changé la façon dont les superpuissances abordent la guerre. La guerre est désormais menée par le ciel plutôt que par des troupes au sol. Du personnel militaire, à des milliers de kilomètres, dirige à travers des écrans d’ordinateur, des avions non habités, équipés de processeurs d’images de haute technologie ainsi que de missiles.

Les armes automatiques réduisent les victimes parmi les soldats et rendent les guerres du 21è siècle plus faciles à faire durer dans le temps, même si l’impact sur ceux vivant dans les zones de guerre est aussi dévastateur et déshumanisant que les invasions terrestres à l’ancienne. En conséquence, des «guerres sans fin», comme l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan par les États-Unis, ou le siège de Gaza par Israël, n’en finissent jamais. 

Aujourd’hui, Israël se vend comme la “superpuissance du drone.” La police des frontières utilise des drones pour arroser de gaz lacrymogène les manifestants sur l’esplanade autour de la mosquée d’Al Aqsa. Les soldats en Cisjordanie dispersent les foules aux abords des checkpoints grâce à des signaux sonores tels qu’ils laissent les manifestants étourdis et nauséeux. Des agents du renseignement militaire téléguident des drones de reconnaissance au-dessus de la ville de Gaza afin de déterminer les coordonnées exactes à bombarder.

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De nombreux Palestiniens vivent déjà sous le spectre de la guerre par les drones, depuis des années. Ils sont tellement omniprésents à Gaza que les drones sont communément appelés “zanana” par la population, ce qui veut dire “bourdonnement” (évoquant le bruit incessant des engins planant au-dessus du toit des maisons), tel un essaim d’abeilles menaçant. 

Depuis plusieurs années, les généraux israéliens se vantent que les drones leur permettent d’avoir «une armée sans soldats». Ce qui est plutôt illusoire, puisque les drones nécessitent davantage de soldats à la surveillance militaire et aux assassinats ciblés. Dans l’unité d’élite 8200, des équipes d’analystes du renseignement décomposent les informations apportées par les satellites, les caméras de surveillance et les drones qui leur fournissent photos aériennes et localisations de smartphones, ainsi que des décennies de renseignement de terrain. Ils envoient leurs analyses aux développeurs de leur unité, qui s’en servent pour créer des algorithmes qui peuvent guider les drones dans l’espace et déterminer quand ils doivent frapper. 

En même temps, des unités de combat travaillent avec les commandants du renseignement au déploiement de systèmes d’apprentissage automatique lors des attaques sur Gaza, la Syrie ou le Liban. Des avancées en intelligence artificielle ont rendu ces systèmes très sophistiqués. En mai 2021, l’armée israélienne a annoncé que les drones déployés lors de la guerre de 11 jours sur Gaza avaient eu recours à l’intelligence artificielle plutôt qu’à des opérateurs humains pour déterminer quand et où une frappe devait avoir lieu.

Ces innovations dans l’assassinat à distance n’ont pas, cependant, rendu les bombardements habituels sur Gaza moins meurtriers. Les quatre principales agressions d’Israël sur la Bande de Gaza depuis 2007 ont tué plus de 4.000 Palestiniens (plus de la moitié d’entre eux étaient des civils). Lorsque l’armée a présenté le premier essaim de drones guidé par intelligence artificielle l’année dernière, The Intercept a rapporté que 192 civils palestiniens avaient été tués en seulement 11 jours de combats meurtriers. 

Certains ont été tués accidentellement, a déclaré l’armée, mais des soldats de l’unité 8200 ont admis qu’un certain nombre de civils sans arme ont été tués intentionnellement lors des frappes israéliennes sur Gaza. Les responsables de l’armée savent bien que même la technologie la plus avancée ne peut pas assurer des attaques précises sur des zones urbaines densément peuplées: "Nous avions des règles dans l’armée concernant le nombre de civils à Gaza pouvant être tués en même temps que ceux que l’on voulaient vraiment éliminer", expliquait un jeune vétéran à +972 Magazine cet été.

Même lorsque les drones ne lancent pas de bombes, ils sont utilisés pour de la reconnaissance quasi constante. Lors de la dernière agression sur Gaza, en août dernier, les drones armés ont accumulé plus de 2.000 heures de vol en 66 heures de combat réel. Selon le Times of Israel, «les jours précédant la bataille, les drones scrutaient la Bande de Gaza», assurant «une surveillance en continu». Leurs caméras retransmettent en direct des vidéos de la vie sur le terrain aux unités de renseignement qui se trouvent des kilomètres plus loin. Les soldats préparent ainsi les algorithmes qui permettront le prochain assaut de l’armée.

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Une guerre sans victoire

La présence constante des drones aggrave le traumatisme de la vie en zone de guerre, qu’ils larguent ou non des bombes. Les psychiatres affirment que de nombreux civils vivant sous la menace des drones souffrent d’une sorte d’anxiété anticipée: la terreur de se demander si l’un des drones qui vous survolent ne va pas vous frapper et vous tuer vous aussi. Comme le raconte la journaliste gazaoui Kholoud Balata, "la nuit, j’ai peur de me faire exploser, et le jour, on me dit que l’endroit où je vis a déjà été rayé de la carte".

Le philosophe français, Grégoire Chayamou, décrit la guerre par les drones comme «une guerre sans victoire». Vivre dans un siège permanent est tellement déshumanisant, explique Chayamou, que la guerre par les drones pousse souvent plus de personnes à prendre les armes et à rejoindre une organisation militante ciblée par l’armée, quelle qu’elle soit. Par conséquent, l’objectif de la guerre par les drones ne consiste plus qu’à éradiquer une liste toujours plus longue de cibles, ce qui justifie toujours plus d’investissements dans les technologies (images à plus grande résolution, moteurs plus silencieux, missiles plus performants) qui permettent une guerre sans fin. 

C’est ce qui assurément s’est produit à Gaza dans les années qui ont suivi le retrait d’Israël de la Bande de Gaza en 2005. Une décennie et demie de blocus militaire et des guerres à répétition a mené à un chômage et une pauvreté qui ne cessent de grimper et une jeune génération élevée dans une menace de guerre permanente. Même des généraux israéliens ont déclaré que la crise humanitaire et politique causée par le blocus israélien à Gaza est intenable. 

L’année dernière, Shlomo Taban, le commandant qui dirige Erez, le passage de la barrière entre Israël et Gaza, a déclaré que "la Bande de Gaza devrait être ouverte maintenant", ainsi "le Hamas serait sévèrement fragilisé". Mais d’autres généraux ont ouvertement admis que la crise fait partie d’une stratégie militaire concertée de prolonger la guerre aussi longtemps que possible.

En 2015, Major Général Gershon Hacohen, chef de l’armée à l’époque du «retrait» israélien de la Bande de Gaza, a déclaré au Times of Israel qu’il considérait le Hamas comme un allié d’Israël: "Lui comme moi ne voulons pas de solution finale", a-t-il dit.

Pendant ce temps, en Cisjordanie, des millions de civils palestiniens subissent depuis des années les incursions régulières de l’armée israélienne dans leurs villes, villages et camps de réfugiés surpeuplés. La vie est constamment bouleversée par des restrictions de mouvement et une constante surveillance. Il n’est guère surprenant qu’une direction politique palestinienne fracturée et des horizons économiques fermés aient rendu les organisations militantes plus populaires que jamais.

Alors que les promesses vides de «réduction du conflit» cèdent la place à une guerre aérienne dans toute la région, une chose est sûre: la violence qui a pris de si nombreuses vies cette année ne va pas s’arrêter, y compris par le ciel.

Sophia Goodfriend -

20.10.22

Source: Agence Medias Palestine

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