Dans les territoires palestiniens occupés, l’Europe paie, Israël détruit
Depuis le début de l’année, près de 750 Palestiniens ont été déplacés de force à cause de destructions ordonnées par l’Etat hébreu en Cisjordanie et à Jérusalem
Le 21 septembre, l’armée israélienne a envahi le hameau bédouin d’Ein Samiya, dans les collines rocailleuses près de Ramallah, en Cisjordanie occupée, pour y démolir deux maisons.
L’école, construite avec des aides européennes et inaugurée en janvier, est, elle aussi, menacée: le 10 août, un tribunal israélien a ordonné sa destruction, arguant qu’elle a été construite sans permis – Israël n’en délivre quasiment jamais pour les Palestiniens en zone C, les 60% de la Cisjordanie qu’il contrôle totalement.
Immédiatement après, des diplomates européens se sont précipités sur place pour protester."La pratique continue des démolitions et évictions en zone C et à Jérusalem-Est occupée est en violation du droit international humanitaire et doit cesser", a déclaré le représentant de l’Union européenne (UE), Sven Kuhn von Burgsdorff, dans un communiqué accompagné d’une belle photo de groupe des représentants, en rang sous un soleil de plomb.
Israël détruit régulièrement des structures financées par l’argent du contribuable européen, sans jamais être sanctionné. Entre novembre 2020 et juillet 2021, Khirbet Humsa, un hameau bédouin dans le nord de la vallée du Jourdain, a ainsi été partiellement ou entièrement démoli sept fois par l’armée israélienne. A chaque fois, les Européens reconstruisaient, puis l’armée venait tout mettre à terre sous prétexte que le hameau est situé sur une zone de tir.
"Environ 200 structures ont été détruites en huit mois", rappelle Christopher Holt, le directeur du West Bank Protection Consortium, alliance qui regroupe cinq ONG internationales, soutenue entre autres par l’UE. Les Palestiniens ont fini par partir, s’installant juste à côté de l’emplacement initial de Khirbet Humsa.
"Entre 2017 et 2021, chaque année, on constate une augmentation des destructions de propriétés", signale Christopher Holt. Depuis janvier, plus de 650 structures où vivaient environ 750 Palestiniens ont été démolies par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem; un peu plus de 13% avaient été financés par des bailleurs de fonds, en majorité des pays européens.
Entre les amendes, le coût des démolitions dont les Palestiniens doivent s’acquitter eux-mêmes et les conséquences sur l’accès à l’éducation ou à la santé, l’effet économique global des destructions est difficile à évaluer.
Demande de compensations
Depuis 2000, l’UE a accordé plus de 852 millions d’euros d’aide humanitaire aux Palestiniens, finançant en partie les besoins des civils tels que garantis par le droit international mais que l’occupation israélienne refuse de prendre en charge. En 2014, les pays européens réunis dans le Conseil de l’UE promettent de «protester systématiquement contre chaque cas de démolition/confiscation touchant des projets financés par l’UE ou par un Etat membre» et d’engager un dialogue avec les Israéliens à ce sujet.
Si aucun résultat n’est constaté, l’UE exigera d’Israël «qu’il restitue ou compense les biens démolis et/ou confisqués». Fin 2017, sous l’impulsion de la Belgique, huit Etats membres, dont la France, demandent, dans une lettre, le remboursement de plus de 30.000 euros après la destruction et la confiscation d’équipements pour produire de l’énergie solaire. Depuis, régulièrement, les pays européens réclament des compensations. En vain.
Le discours européen est empêtré dans ses contradictions. Mi-juillet, l’UE a annoncé reprendre ce 3 octobre les réunions annuelles du Conseil d’association avec Israël, pour la première fois depuis dix ans. Le gouvernement israélien, sur le départ après la chute de la coalition en juin, affiche pourtant le pire bilan depuis des années en matière de destructions et de transferts forcés de populations.
"L’UE a reconnu elle-même que ce qu’elle faisait jusqu’à présent était inutile et, pourtant, ils prétendent encore que faire des déclarations, des visites diplomatiques sur le terrain peut suffire", fustige Alexandra Gerasimcikova, conseillère politique Moyen-Orient au sein d’ACT Alliance EU, qui regroupe des églises et des organisations chrétiennes.
Intrusions violentes de colons
Israël justifie ses pratiques en déviant de l’interprétation commune du droit international humanitaire. "Nous considérons le territoire palestinien comme un territoire occupé et donc sous le droit international. Les Israéliens considèrent que c’est un territoire disputé, comme l’a rappelé le 1er ministre récemment, et ils utilisent leurs propres lois qui ne respectent pas le droit international",explique Andrea De Domenico, directeur adjoint du bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations-unies pour les territoires palestiniens occupés.
Dans une réponse au Monde, le Cogat, organe militaire israélien responsable de la gestion des affaires civiles en Cisjordanie et à Gaza, justifie les démolitions comme une simple application de la loi «contre des structures construites illégalement et sans les permis requis». Or les Israéliens utilisent un système de planification inique: selon l’ONG anticolonisation La Paix maintenant, en 2021, dix permis de construire ont été accordés aux Palestiniens contre 2.526 dans les colonies israéliennes voisines. D’après l’ONU, plus de 80% des démolitions sont ordonnées dans un rayon de 2 kilomètres autour des colonies israéliennes.
Ces destructions, le harcèlement des populations par les colons et par les forces israéliennes, le recours excessif à la force – plus d’une centaine de Palestiniens ont été tués en Cisjordanie depuis le début de l’année – sont autant de pratiques qui peuvent conduire, selon Andrea De Domenico, à "un transfert forcé [des populations civiles] qui constitue un crime de guerre".
En ce sens, l’aide européenne reste vitale: "C’est ainsi que l’UE aide les Palestiniens à rester sur leurs terres",martèle Alexandra Gerasimcikova. Début juillet, une centaine de personnes ont fui Ras Al-Tin, dans les environs de Ramallah, les intrusions violentes de colons et les confiscations de l’armée israélienne étant devenues invivables.
Faute de demander des comptes à Israël, l’Europe laisse les populations civiles palestiniennes exposées à de multiples traumatismes. "Les structures peuvent être démolies, une fois, plusieurs fois, mais la santé psychologique de la communauté ne peut pas être reconstruite. Qu’en est-il de l’impact humain?", demande Alexandra Gerasimcikova.
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02.10.22
Source: gazaenfrancais