Un ancien procureur général d’Israël témoigne à propos du rapport d'Amnesty sur l'apartheid israélien
"Avec une grande tristesse, je conclus que mon pays est maintenant un régime d’apartheid"
Au cours de l’année dernière, un débat public s’est déroulé sur le fait de savoir si les actions menées par le gouvernement israélien dans les Territoires Palestiniens Occupés peuvent être classées comme de l’apartheid au regard du droit international.
Le 1er février, Amnesty International est la dernière ONG à l’avoir classé comme de l’apartheid, le qualifiant de «cruel système de domination et de crime contre l’humanité». Cela s’est produit à la suite de déclarations antérieures sur l’apartheid de la part d’autres groupes de défense des droits humains, Yesh Din, B’Tselem et Human Rights Watch.
Étant l’ancien procureur général d’Israël, j’ai passé ma carrière à analyser les questions juridiques les plus pressantes concernant Israël. L’occupation par Israël de la Cisjordanie et de Jérusalem Est a été un dilemme de fond pendant mon mandat et au-delà.
Une grave injustice
La domination d’Israël sur ces territoires est une grave injustice qui doit être urgemment rectifiée.
C’est avec une grande tristesse que je dois aussi conclure que mon pays a sombré dans de telles profondeurs politiques et morales qu’il est maintenant un régime d’apartheid. Il est temps pour la communauté internationale, elle aussi, de reconnaître cette réalité.
Depuis 1967, les autorités israéliennes ont justifié l’occupation en la prétendant 'temporaire' jusqu’à ce qu’une solution pacifique puisse être trouvée entre Israéliens et Palestiniens. Or, cinq décennies ont maintenant passé depuis que ces territoires ont été conquis et Israël ne montre aucun intérêt à abroger ce contrôle.
Il est impossible de conclure autrement: l’occupation est une réalité permanente. C’est la réalité d’un État unique avec deux peuples différents n’ayant pas les mêmes droits.
En violant le droit international, Israël a transféré plus de 650,000 de ses citoyens qui se sont installés dans les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem Est. Ces colonies sont établies dans des zones qui entourent des villages palestiniens et fragmentent intentionnellement les communautés palestiniennes les unes par rapport aux autres, pour au bout du compte, empêcher la possibilité d’un État palestinien attenant. À Jérusalem Est, des lois discriminatoires sur la propriété expulsent des Palestiniens hors de leurs maisons dans une politique de judaïsation de la ville appuyée par l’État.
Il n’y a pas «deux Israël»
Dans la zone C de Cisjordanie, des lois d’aménagement discriminatoires sont utilisées pour chasser les communautés palestiniennes de leurs terres. Ces communautés sont face à un déluge de violence des colons des avant-postes non autorisés (illégaux même en droit israélien), et les auteurs de cette violence n’encourent aucune conséquence de leurs actes.
Toute tentative de résister à l’apartheid est fortement surveillée et criminalisée, comme le montre la qualification trompeuse de groupes de la société civile palestinienne de terroristes par le ministère israélien de la défense.
Les gouvernements israéliens successifs, dont le récent gouvernement de coalition qui s’est affiché comme un changement par rapport à l’intransigeance de Netanyahu, ont constamment et publiquement affirmé qu’ils n’ont aucune intention que se crée un État palestinien.
Quoi qu’il en soit, l’essentiel du débat dans la communauté internationale se passe comme si le comportement d’Israël dans les territoires occupés pouvait être distingué de la démocratie libérale qui existe de l’autre côté de la Ligne Verte. C’est une erreur.
On ne peut tout simplement pas être une démocratie libérale en pratiquant l’apartheid sur un autre peuple. Il y a une contradiction dans les termes parce que l’ensemble de la société d’Israël est complice de cette réalité injuste.
C’est le cabinet ministériel d’Israël pour les colonies qui approuve chaque colonie illégale dans les territoires occupés. C’était moi, dans mon rôle de Procureur Général qui approuvait l’expropriation de terres privés palestiniennes pour la construction d’infrastructures telles que des routes qui ont ancré l’expansion des colonies.
Ce sont les tribunaux israéliens qui font respecter des lois destinées à chasser des Palestiniens de leurs maisons à Jérusalem-Est et de leurs terres en Cisjordanie. Les services de soins opèrent par-dessus la Ligne Verte. Et les citoyens israéliens paient finalement des impôts qui financent la pérennisation du contrôle et de la domination du gouvernement sur ces territoires.
Entre le Jourdain et la Méditerranée, c’est Israël qui prive en permanence des millions de Palestiniens de leurs droits civils et politiques. C’est l’apartheid israélien.
Y a-t-il de l’espoir?
Il y a deux solutions démocratiques possibles qui peuvent transformer ce statu quo. La première est de garantir à chaque personne vivant sous contrôle israélien la pleine citoyenneté et l’égalité.
Malheureusement, ce scénario conduirait à la perte de la majorité juive et à la «balkanisation» de la totalité du territoire, augmentant par-là la probabilité que le conflit soit inextricable.
La seconde solution possible serait qu’Israël se retire des territoires occupés et établisse un État de Palestine aux côtés d’Israël. Cela assurerait non seulement une juste répartition de la terre entre le peuple palestinien autochtone et le peuple juif qui a été persécuté pendant des milliers d’années. Cela garantirait aussi, à la fois une solution durable au conflit israélo-palestinien et la fin de l’apartheid.
Le statu quo sur le terrain est une abomination morale. Le retard de la communauté internationale à prendre des mesures significatives pour tenir Israël responsable du régime d’apartheid qu’il perpétue est inacceptable.
Michael Benyair (ancien Procureur Général d’Israël & ancien juge de la Cour Suprême)
13.02.22
Source: Aurdip