L'incessant travail de sape des autorités coloniales israéliennes pour briser la société palestinienne
Un nouveau document secret d’'Israël' ne parvient toujours pas à établir des liens entre les ONG palestiniennes et le "terrorisme"
+972 et Local Call ont obtenu un rapport envoyé à des diplomates étrangers dans une récente tentative de justifier la mise hors la loi de six groupes de la société civile palestinienne. Le document, plein d’affirmations infondées, n’a pas convaincu les dirigeants européens.
Pendant la plus grande partie de l’année dernière, le gouvernement israélien s’est donné mission de convaincre les pays européens que six des organisations de la société civile palestinienne les plus en vue sont en réalité une couverture pour le terrorisme.
Cependant, malgré ses efforts, qui comprennent un dossier de 74 pages du Shin Bet envoyé en mai dernier à des diplomates, 'Israël' n’a pas réussi à persuader les dirigeants européens de ce qu’il avance.
Ayant échoué à persuader les diplomates, Israël a, le mois dernier, mis en circulation un document émanant du ministère des Affaires Étrangères – que +972 et Local Call se sont procuré et dont le contenu est présenté ici pour la première fois – qui comporte d’autres informations, dans une nouvelle tentative d’établir un lien entre les organisations et le terrorisme.
Une fois de plus, il apparaît néanmoins qu’'Israël' s’est montré incapable de fonder ses affirmations et que les dirigeants européens ne sont toujours pas convaincus.
Pendant ce temps, Israël a rejeté les demandes de détails des six organisations sur ces affirmations, bien qu’il ait repoussé le délai de soumission d’un appel de la décision du 10 au 18 janvier.
Le nouveau document – désigné «secret» bien qu’il n’affiche aucun logo étatique le donnant comme officiel et qui a été envoyé en anglais ou en hébreu à différents pays – ne présente aucune preuve réelle contre les groupes, mais avance plutôt des affirmations générales sur leur soutien supposé au Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), qui est interdit par Israël, les États-Unis et l’UE en tant qu’organisation terroriste.
Le document se concentre aussi sur des liens personnels supposés entre des membres responsables des six groupes et le FPLP. Le but de ce document était de prouver que les six organisations Al-Haq, Addameer , Bisan Center, Defense For Children International-Palestine, l’Union des Comités Agricoles et l’Union des Comités de Femmes Palestiniennes font partie du FPLP, soutiennent ses activités et servent à lui fournir des fonds.
Six mois après sa mise en circulation, le ministre de la défense israélien, Benny Gantz a déclaré ces organisations «groupes terroristes».
Une enquête menée conjointement par +972, Local Call et The Intercept après les déclarations de Gantz, a établi que les affirmations du Shin Bet contre les organisations étaient sans fondement et principalement basées sur des témoignages de seconde main de deux comptables palestiniens qui n’avaient jamais travaillé pour les organisations en question.
L’enquête a, de plus, révélé que les activités «criminelles» dans lesquelles ces ONG étaient supposément impliquées étaient des cours de danse palestinienne traditionnelle et le soin à des malades. L’enquête a aussi trouvé que les pays européens, à réception du rapport du Shin Bet, n’ont pas pensé qu’il constituait «une preuve évidente» contre les six organisations.
Après la déclaration de Gantz en octobre, Israël a mis en place une campagne destinée à convaincre les pays européens et les États-Unis qu’il avait des preuves supplémentaires de liens entre les organisations et le FPLP. Le document non signé, à la différence du dossier du Shin Bet, «présente» les six ONG et donne la liste des dirigeants de chacune d’elles, qui sont supposés avoir ou avoir eu des liens avec le FPLP.
Il n’y a pas, dans ce document d’affirmations selon lesquelles ces responsables aient jamais été impliqués dans des activités militaires ou violentes du FPLP.
Le nouveau dossier décrit Addameer comme «une organisation très importante pour le FPLP», créée pour «envoyer aux acteurs du FPLP et au public palestinien plus largement un message clair selon lequel l’organisation (FPLP) n’abandonne pas ceux qui mènent des activités terroristes contre Israël, mais les récompense plutôt eux et leur famille et garantit leur bien-être». Le document prétend ensuite que Addameer «encourage le soutien public aux prisonniers et dirigeants du FPLP».
Le document dit de la directrice exécutive de Addameer, Sahar Francis, qu’elle «opère pour le FPLP» et prétend que «la plupart des employés de l’organisation sont des opérateurs/supporteurs bien connus et importants du FPLP». Le document prétend ensuite que Addameer prend part aux projets du FPLP, sans donner aucun détail, et que «ses employés sont engagés dans des activités d’organisation pour le compte du FPLP, qui ne sont pas directement liées à l’organisation (Addameer), par exemple faire passer des messages et des instructions parmi les prisonniers du FPLP». Le document prétend aussi que les bureaux de Addameer sont utilisés pour des activités du FPLP, bien qu’il ne donne pas de détails sur comment ni quand.
Le document prétend ensuite que Al-Haq, la plus ancienne et plus respectée ONG palestinienne de défense des droits humains, est une organisation du FPLP, dont les employés sont tous des «acteurs du FPLP». Al-Haq, dit le document, «se concentre sur la guerre juridique contre Israël et agit en coordination (avec) et sous la direction du leadership du FPLP. Le second considère les activités (de Al-Haq) comme importantes du point de vue stratégique dans la lutte contre Israël, et cela est vu comme un soutien à la lutte armée du FPLP».
Le ministre israélien des Affaires Étrangères prétend que Al-Haq a «évité de faire apparaître publiquement son appartenance au FPLP et la nie. C’est une décision consciente destinée à garder des donateurs et à dissiper tout doute pouvant s’élever dans la communauté internationale sur la crédibilité de l’organisation».
Le directeur exécutif de Al-Haq, Shawar Jabarin, est décrit dans le document comme un «membre chevronné du FPLP… vu qu’une partie de son travail le fait rencontrer des opérateurs du FPLP dans différents districts». Le document déclare que Jabarin fait partie du FPLP depuis les années 1980, qu’il a pris part à des activités d’organisation, était dans la cellule étudiante du FPLP pendant qu’il faisait ses études à l’Université de Birzeit et qu’il a commencé à travailler à Al-Haq alors «qu’il appartenait au FPLP».
Le document argumente plus loin qu’aussi bien Kitan Safin, qui dirige l’Union des Comités de Femmes Palestiniennes (UPWC), que Abla Sa’adat, la femme de Ahmad Sa’adat, le secrétaire général du FPLP, emprisonné sur l’accusation d’avoir organisé l’assassinat du ministre israélien d’extrême droite Rehavam Ze’evi en 2001, sont toutes deux membres responsables du FPLP.
Selon le dossier, l’UPWC «mène divers projets en Cisjordanie, y compris ceux qui servent le FPLP, par exemple des centres culturels et des jardins d’enfants». Le document établit aussi que l’organisation se centre, entre autres choses, sur «le soutien à des populations spéciales, des familles de martyrs et de prisonniers sécuritaires». Il avance ensuite que les membres de l’UPWC ont mené des activités pour le compte du FPLP, comme le transfert de fonds, la formation aux tâches d’organisation, et des déclarations, et que l’infrastructure de l’organisation a été utilisée pour des réunions du FPLP. Aucune des affirmations n’est accompagnée de détails, de dates ou de quelque autre preuve.
Le document prétend aussi que l’Union des Comités Agricoles (UAWC) sert «d’organisation clef» au FPLP, qui est soumis à ses membres dirigeants et aide à financer le FPLP. Le document nomme deux membres responsables de l’organisation, Abed al-Razaq et Samer Arbid, actuellement en procès pour complot et exécution du meurtre de la jeune Rinba Shnerb de 17 ans près d’une source en Cisjordanie occupée en 2019.
Le document établit ensuite que l’UAWC a reçu des millions de dollars de dons de pays européens et qu’elle est impliquée dans des «usages de faux et de fraudes», sans pour autant en fournir de preuves, à l’instar de ses précédentes allégations. Le document prétend aussi que les bureaux de l’UAWC servent à des réunions du FPLP.
Vous enlevez leur dernier chien de garde
Pas plus qu’avec le dossier du Shin Bet qui l’a précédé, le nouveau document n’a réussi à convaincre les pays européens que les organisations étaient impliquées dans des activités terroristes.
«Pas une seule pièce constituant une preuve compromettante n’a été présentée, pas un seul pays n’a accepté ou été convaincu par ces allégations» a dit le mois dernier à +972 et à Local Call un diplomate occidental en poste à Ramallah, qui a demandé à rester anonyme. «Selon l’information disponible (les États donateurs) d’Europe n’ont pas été convaincus que les documents fournis par Israël justifient de désigner les organisations comme terroristes.»
Le même diplomate estime que ces pays vont bientôt avoir besoin de prendre une décision quant à la poursuite ou non de leur soutien financier aux six organisations. «La plupart des pays n’ont pas mis fin à leur financement parce que nous n’avons pas vu de preuve» a dit le diplomate. «Ces pays ne peuvent pas attendre beaucoup plus longtemps. Dans les mois à venir, une décision sera prise, qui sera très vraisemblablement une poursuite du soutien.»
Selon ce diplomate, la décision d’'Israël' de déclarer ces organisations illégales «ne tiendra pas la route dans un tribunal européen» étant donné que le droit israélien est «basé sur une définition bien plus large de ce qui constitue le ‘terrorisme’, qui ne correspond pas à la façon dont les Européens le définissent».
En 'Israël', quiconque soutient un groupe qui a été désigné «organisation terroriste» est automatiquement désigné «soutien du terrorisme». En Europe, a expliqué le diplomate, ce n’est tout simplement pas le cas. «Même si vous avez manifesté un soutien (à un groupe considéré comme une ‘organisation terroriste’), on ne vous fera pas un procès pour autant» a-t-il dit.
«Nous ne pouvons pas punir les organisations parce qu’'Israël' les a désignées ‘terroristes’ sur une base juridique différente de la nôtre», a poursuivi le diplomate. «Ces organisations critiquent les deux dictatures créées pour le peuple palestinien: une dictature d’'Israël' et la dictature de l’Autorité Palestinienne. Vous enlevez leur dernier chien de garde», a-t-il ajouté.
Les remarques du diplomate sont dans la ligne des déclarations officielles d’un certain nombre de pays européens et de commentaires d’autres diplomates. Le Danemark et l’Irlande ont déjà annoncé qu’ils n’acceptaient pas les allégations d’Israël et qu’ils allaient continuer à financer ces organisations, tandis que des représentants de 10 autres pays ont dit à +972 et à Local Call qu’ils n’étaient pas convaincus par les éléments complémentaires fournis par 'Israël' depuis octobre 2021.
La semaine dernière, le gouvernement néerlandais a cependant annoncé qu’il cessait de financer l’UAWC, après avoir apparemment trouvé des «liens personnels» entre ses employés et le FPLP, et parce que l’organisation n’a pas été transparente sur ces liens. La décision, prise après une suspension de 18 mois du financement octroyé à l’UAWC, a recours à un langage similaire à celui du nouveau document, se concentrant sur des liens personnels entre des membres responsables des six ONG et le FPLP.
Pour autant, l’annonce du gouvernement néerlandais a rejeté certaines des affirmations centrales d’Israël au sujet de prétendus liens organisationnels entre l’UAWC et le FPLP. À la suite d’une enquête externe menée par le consultant Proximities spécialisé sur les risques, qui est basé aux Pays-Bas, commencée au début de 2021 sur la période allant de 2007 à 2020 pendant laquelle UAWC a reçu des financements des Pays-Bas, le gouvernement a dit qu’il n’y avait pas de preuve «de flux financiers entre l’UAWC et le FPLP… et qu’aucune preuve n’avait non plus été apportée d’une unité organisationnelle entre l’UAWC et le FPLP ou d’un apport directionnel du FPLP à l’UAWC».
L’enquête a aussi dit qu’il n’y avait pas de preuve que des membres du personnel ou du bureau aient mis à profit leur position dans l’organisation pour organiser des attaques armées.
L’annonce néerlandaise est donc en ligne avec les déclarations de divers pays européens vis-à-vis des six organisations. Pendant une session du parlement danois, le 21 décembre, le ministre des affaires étrangères, Jeppe Kofod a dit que son gouvernement n’avait pas reçu de documentation à propos de la décision d’'Israël' de déclarer Al-Haq organisation terroriste et donc le Danemark entend continuer à financer l’organisation comme prévu, au moins jusqu’en 2023. Kofod a ajouté que si 'Israël' apportait des preuves, il «réexaminerait la situation».
Le gouvernement irlandais a annoncé en novembre 2021 qu’'Israël' n’avait pas fourni de preuve adéquate contre ces organisations. Le ministre des affaires étrangères, Simon Coveney, a déclaré que «(nous) allons continuer à parler avec ces deux organisations (Al-Haq et Addameer) sur la façon dont nous pouvons continuer à soutenir leur action». En décembre 2021, l’Ambassadrice d’Irlande à l’ONU, Gerladine Byrne Nason a dit «qu’en l’absence de preuve nourrissant ces affirmations, l’Irlande continuera à soutenir les organisations concernées».
Tandis que d’autres pays ont rejeté les allégations d’Israël, sans annoncer officiellement qu’ils continueraient à soutenir les six organisations. La ministre belge des affaires étrangères, Sophie Wilmès a annoncé au début de décembre, que «les supposés détournements de fonds par certains partenaires palestiniens n’ont pas été étayés, ni leur association avec le FPLP. Jusqu’à présent, les nouvelles suppositions n’ont pas été étayées non plus». Wilmès a ensuite déclaré que «dans une phase ultérieure, pendant laquelle il est important que nous nous coordonnions avec nos partenaires européens, il sera nécessaire de déterminer notre façon de procéder au niveau opérationnel en soutien à la société civile».
La ministre norvégienne des affaires étrangères, Anniken Huitfeldt, a déclaré le 29 octobre qu’elle était préoccupée par la décision d’Israël qui pourrait «rétrécir l’espace déjà limité de l’action de la société civile en Palestine, en particulier l’espace de l’action pour les droits humains» et que «la Norvège met en priorité élevée les efforts faits pour promouvoir les droits humains et le soutien à la société civile en Palestine». Mona Juul, l’ambassadrice de Norvège à l’ONU a annoncé le 30 novembre que «si on ne nous présente pas – dans des délais raisonnables – une information suffisante qui corrobore ces accusations, nous demanderons à Israël de revenir sur sa décision».
Les gouvernements de France, Allemagne, Italie, Suède et différentes instances de l’UE ont aussi exprimé «une préoccupation» concernant la déclaration, notant que de précédentes allégations de détournements de fonds ont fait l’objet d’enquêtes sans preuves apportées.
Les craintes des donateurs
La tentative des six organisations pour obtenir davantage d’information des autorités israéliennes n’a pas porté de fruits. Le 16 décembre 2021, à quatre semaines à peine avant la date limite initialement fixée par les autorités israéliennes pour une audience en vue d’une décision, l’équipe de juristes qui représentait les organisations a demandé à recevoir les éléments qu’'Israël' avait utilisé à la base de sa déclaration.
«Sans détailler les affirmations concernant des actes concrets (acte, engagement, date, lieu) et sans produire la preuve supposée les établir, les organisations n’ont pas véritablement l’occasion de répondre effectivement aux allégations portées contre elles» disait l’appel. «Une audience dans laquelle la preuve n’est pas exposée est un procès entaché d’irrégularités auquel manquent les caractéristiques les plus fondamentales d’un procès juste».
Les services du procureur militaire ont répondu en janvier qu’ils refusaient de transmettre les renseignements confidentiels sur lesquels était fondée la déclaration et qu’ils n’étaient prêts qu’à transmettre des renseignements non confidentiels étant donné, prétendaient-ils, «que l’essentiel de la déclaration est fondé sur des renseignements classifiés, des références croisées et fiables». Le procureur militaire a étendu le délai d’appel au 18 janvier.
Shawan Jabarin de Al-Haq a dit à +972 qu’au cours des derniers mois il avait rencontré des représentants de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Suède, du Danemark, de Norvège, d’Espagne, de Belgique et d’Irlande. «À chaque rencontre, ils m’ont dit croire que les allégations contre nous sont sans fondement» a-t-il dit, ajoutant que les représentants officiels ont dit qu’ils publieraient des déclarations après la période des fêtes.
Sahar Francis de Addameer a aussi dit qu’au cours des deux derniers mois, son organisation avait eu plusieurs réunions avec des représentants de pays européens, dont il ressortait qu’'Israël' n’avait pas apporté d’autre preuve depuis le dossier du Shin Bet datant de mai. «Ils disent que c’est insuffisant et non convaincant. Mais ils attendent encore de voir si 'Israël' envoie davantage de preuves. Nous pensons que ces pays devraient faire une déclaration publique courageuse disant: ‘Deux mois ont passé, le temps presse. Nous ne sommes pas convaincus et nous continuerons à soutenir les organisations'».
Fuad Abu Saïf, qui dirige UAWC, a dit que son organisation a demandé à l’UE de fixer une date limite pour une déclaration publique dans laquelle l’UE dirait si elle continuerait à soutenir les organisations. Il a dit que certains des représentants qu’il a rencontrés lui ont dit qu’ils feraient une déclaration en janvier. «Il y a de la peur. Les donateurs ont peur et les organisations internationales ont peur» a dit Abu Saïf à +972. «D’un côté ils pensent que la déclaration contre les six organisations n’est basée sur rien. Mais d’un autre côté, ils attendant une décision collective pour continuer à soutenir ces organisations, de manière à ne pas se trouver seuls face à 'Israël'. Par exemple, cela pourrait prendre la forme d’une décision commune à tous les pays de l’UE ».
Au début de la semaine, un certain nombre d’organisations israéliennes de défense des droits humains, dont B’Tselem, Breaking the Silence, Médecins pour les Droits Humains, Droits-Israël, HaMoked, ont demandé aux pays européens donateurs de continuer à soutenir les organisations palestiniennes et même d’augmenter leurs dons.
Oren Ziv & Yuval Abraham -
21.01.22
Source: Agence Medias Palestine