En 2001, les autorités israéliennes m’ont arrêté pour la première fois et emprisonné pendant près de six mois, sans preuves. J’avais 16 ans. Je ne savais pas, alors, que c’était le début d’un harcèlement d’État, un long chemin parsemé d’épreuves douloureuses tracé par une occupation militaire qui, en me condamnant sans preuves, a jeté l’opprobre sur moi. Dès ce moment, par le simple fait d’avoir été arrêté, et de m’exprimer pour nos droits, j’ai été considéré comme suspect, sans jamais pouvoir prouver mon innocence.
En 2004, j’ai été de nouveau arrêté. Le ministre de la Défense de l’époque a fait de moi le plus jeune détenu «administratif» de Jérusalem. La détention administrative est une procédure arbitraire, prise sur ordre militaire et sans mise en accusation, qui peut être renouvelée pendant des années et est utilisée comme instrument de contrôle massif. Plus de 60% des hommes palestiniens passent par les geôles israéliennes.
En 2005, j’ai été encore arrêté et cette fois-ci, maintenu en prison. J’avais 20 ans. Accusé d’avoir fomenté un projet d’attentat, le tribunal militaire qui m’a jugé n’a jamais produit de preuves que j’aurais pu contester. Cette incarcération fut un tournant décisif dans mon parcours. La prison, que j’ai connu si jeune, m’a fait grandir trop tôt, et durablement marqué.
Condamné sans preuves, j’ai dû faire en 2008 le choix le plus difficile de ma vie: être déporté en France pour 15 ans, et prendre le risque de ne jamais pouvoir revenir sur la terre qui m’a vu naître, ou négocier une procédure de marchandage en plaidant coupable.
J’ai choisi la deuxième option, qui m’a imposé sept ans d’emprisonnement. Non parce que j’aime être enfermé entre quatre murs, mais que j’ai compris que notre combat se fait également en restant présent sur notre terre.
En 2011, à ma sortie de prison, j’ai décidé d’étudier le droit et devenir avocat car même si on ne peut pas obtenir justice dans les tribunaux israéliens, j’ai compris que la cause des prisonniers politiques palestiniens doit être défendue partout dans le monde, et avant tout pour mes amis restés en prison.
Le harcèlement d’État a continué. En 2016, les autorités israéliennes ont expulsé ma femme Elsa, citoyenne française, alors enceinte de 7 mois, et l’ont interdite de territoire. Ma famille est utilisée comme un moyen de pression inhumain. Aujourd’hui encore, je suis contraint de vivre loin de ma femme et mes deux jeunes enfants.
En 2017, j’ai à nouveau été placé en détention administrative. Toujours sans preuves, j’ai été accusé d’appartenir au FPLP (une organisation politique d’extrême-gauche considérée comme terroriste par Israël, les États-Unis et l’Union Européenne). Je ne suis sorti qu’au bout de treize mois, en 2018.
Devenu avocat pour Addameer, une ONG palestinienne de défense des prisonniers, j’ai été à nouveau arrêté un mois plus tard, alors que j’allais me faire tester au Coronavirus.
Le 18 octobre dernier, le ministère de l’Intérieur m’a notifié mon expulsion et le retrait pur et simple de ma carte d’identité de Jérusalémite, signifiant ainsi ma possible déportation à tout moment, et ceci en utilisant de nouveau des méthodes de criminalisation dictatoriales de «violation de l’allégeance à l’État d’Israël».
Tous les Palestiniens de Jérusalem, ne sommes considérés que comme des étrangers dans notre propre ville, annexée, «résidents» et sans citoyenneté. De la construction du mur aux lois racistes qui discriminent le droit à la propriété ou à la construction aux populations non-juives, nous , mes amis de l’autre côté du mur à Sheikh Jarrah et Silwan, luttons contre des plans d’expulsion massive.
Le lendemain, 19 octobre, les autorités israéliennes ont criminalisé six organisations de la société civile palestiniennes, dont Addameer, en les classifiant comme «groupes terroristes», après plusieurs années de campagnes de harcèlement et diffamation internationales en vain contre ces organisations. Quand on demande les preuves, les juges rétorquent: «Secret-défense.»
La semaine d’avant, plusieurs membres de ces organisations, moi y compris, avions fait analyser nos téléphones. Ils avaient été piratés par le logiciel-espion Pegasus, développé par la compagnie israélienne NSO. Ce logiciel a été utilisé pour surveiller – parfois menant à leur mort – des opposants, des journalistes ou des activistes des droits de l’homme, comme Israël le fait tous les jours, depuis toujours.
Le harcèlement d’État mené aujourd’hui contre les organisations palestiniennes, mes camarades défenseurs des droits et moi n’est que la suite de politiques d’un régime qui tente d’écraser à tout prix la volonté de liberté de notre peuple, et toute résistance au régime colonial et d’apartheid mis en place depuis 1948 qui, en attendant avance la colonisation sans relâche. Que ce soit Ariel Sharon, Ehud Barak, Benyamin Nétanyahu ou Yair Lapid aujourd’hui, il y a un consensus pour mettre en œuvre le mythe raciste développé par le mouvement sioniste: «Une terre sans peuple, pour un peuple sans terre.»
Du mur d’apartheid jusqu’aux drones en passant par les logiciels espion et la reconnaissance faciale, le régime israélien contrôle nos moindre faits et gestes. Ce modèle d’autoritarisme sécuritaire testé sur nous, les Palestiniens, de manière massive, est ensuite exporté, y compris en France, et promu comme une avant-garde plutôt qu’un sérieux danger pour tout État de droit portant des valeurs démocratiques.
Aujourd’hui, considéré comme suspect, coupable et criminel, privé de mes droits et de la capacité de me défendre, je me sens cerné et ne sais pas de quoi demain sera fait.
En attendant, l’Union Européenne, les pays arabes, l’Angleterre et la France continuent d’accueillir les gouvernements Israéliens à bras ouverts, et signent divers accords de coopération militaires et technologiques.
Tant que la France et les autres membres de la communauté internationale perpétueront l’impunité israélienne et le mythe qu’Israël partage nos valeurs, notre vie continuera d’être une épreuve continuelle où nous ne pourrons construire un futur meilleur."
Salah Hamouri -
30.11.21
Source: palestinevaincra