«Aucun changement à Jérusalem ou à Gaza»...
Notre gouvernement de changement ne nous a pas donné 100 jours d’état de grâce, ni même 100 heures. Il n’est peut-être pas juste de le juger sur ses premières heures d’existence, mais elles peuvent être le signe de ce qui va suivre.
Cent minutes ont suffi pour se rendre compte que sur les questions les plus importantes de toutes, il n’y a pas de désaccords dans le nouveau gouvernement, et qu’il n’est pas différent du gouvernement précédent. Ce qui était sera.
Ses premières heures, qui auraient pu annoncer un changement, ont annoncé exactement le contraire. Les ministres auraient pu interdire la 'Marche des Drapeaux' [marche censée commémorer la «journée de Jérusalem», autrement dit la «réunification» de la Ville sainte après son occupation en 1967; elle s’est déroulée le mardi 15 juin sous la houlette de l’extrême-droite colonisatrice] et dire aux Israéliens, aux Palestiniens et au monde entier qu’il y a une nouvelle équipe en ville, une équipe qui prend en considération les sensibilités d’un autre peuple.
Au lieu de cela, le ministre de la Sécurité publique, Omer Bar-Lev, un représentant de la gauche [Parti travailliste] dans le nouveau gouvernement, a tweeté que «Jérusalem est la capitale éternelle d’Israël», adaptant avec une incroyable facilité le jargon nationaliste de Benyamin Netanyahu ou de Bezalel Smotrich [membre aujourd’hui du Religious Zionist Party, précédemment de Yamina, parti de Naftali Bennett] en passant par Itamar Ben-Gvir [leader de Otzma Yehudi-Force juive et membre de la Knesset].
Berlin est-elle la capitale éternelle de l’Allemagne? L’ancienne Athènes celle de la Grèce? A quoi sert toute cette pompe nationaliste? Peut-être qu’un jour les Israéliens décideront qu’il serait préférable de déplacer la capitale à Afula [ville occupant une place stratégique dans la vallée de Jezreel] ou à Dimona [ville du Néguev à proximité du centre de recherche nucléaire]? Peut-être à Tel-Aviv?
Qu’y a-t-il d’éternel dans l’emplacement des bureaux du gouvernement? Peut-être pourrait-elle être la capitale éternelle de deux nations? Après tout, c’est ce que le parti d’Omer Bar-Lev prétend soutenir.
Derrière ces mots grandiloquents se cachait un feu vert pour la 'Marche des drapeaux', alors que quelques semaines auparavant, Bar-Lev s’y était opposé. «Ce que vous voyez de là-bas, vous ne le voyez pas d’ici» [expression et chant qui fut utilisé par Ariel Sharon pour expliquer les raisons de l’évacuation par les Israéliens de la bande de Gaza en 2004-2005], et c’est ainsi que la 'Marche des drapeaux' s’est lancée dans une nouvelle campagne de provocation sauvage, dangereuse et violente au nom de la liberté de réunion.
Cependant, pour vider brutalement des quartiers entiers [de Jérusalem-Est] de leurs résidents palestiniens, pour organiser une infâme marche de guerre, pour permettre des chants racistes de «mort aux Arabes» au nom du maintien de la souveraineté, pour laisser une foule de colons voyous et leurs partisans cracher sur les Palestiniens, et pour préserver la croyance innocente qu’il y a une aile gauche dans ce gouvernement, il n’y avait pas besoin d’Omer Bar-Lev. Amir Ohana [ministre de la Sécurité intérieure de mai 2020 au 13 juin 2021, dans le gouvernement Netanyahu] aurait fait mieux.
Yair Lapid [ministre des Affaires étrangères et premier ministre d’alternance avec Naftali Bennett, membre du parti Yesh Atid-Il y a un futur] a fait l’éloge d’Omer Bar-Lev, comme l’a fait de tout cœur le 1er ministre – la fraternité des vieux garçons de l’armée, un gouvernement d’unité. Au lieu d’un gouvernement de changement apportant le changement et d’un gouvernement d’unité avec une faible lueur de gauche, il vire déjà à droite.
Mais la 'Marche des drapeaux' n’a pas mis fin à ses 100 premières heures de grâce. En réponse à cette marche, les Palestiniens de Gaza ont lancé des ballons incendiaires sur Israël – une provocation bien plus justifiée que la 'Marche des drapeaux' – et une fois de plus, Israël a prouvé qu’il y a peut-être eu un changement de gouvernement, mais pas de changement de mentalité. L’armée de l’air a bombardé Khan Yunès [au sud de la bande de Gaza]. Gloire aux forces de défense israéliennes!
Pour l’instant, l’incident s’est terminé pacifiquement, mais le chemin vers l’escalade aurait pu être court. Vous n’avez pas besoin d’une longue mémoire. C’est ce qui s’est passé il y a environ un mois. Israël insiste pour ne jamais rien apprendre et ne jamais rien oublier: la marche aura lieu, les Palestiniens protesteront, les avions à réaction bombarderont. Le Hamas ne sera pas autorisé à nous dicter quoi que ce soit. Comme tout cela est pathétique!
Deux jours après une autre marche aux drapeaux [le dimanche 13 juin] – celle célébrant un exode de l’esclavage vers la liberté sur la place Rabin à Tel-Aviv [1], avec des drapeaux roses prenant la place des drapeaux noirs de Balfour [soit la rue de Jérusalem où vivent les premiers ministres] – il semble déjà que la joie était prématurée et excessive.
Peut-être n’y avait-il aucune raison de se réjouir. Il est facile de comprendre que ceux qui avaient fait de B.Netanyahu le diable incarné se réjouissent maintenant de sa chute – un réconfort pour leur âme. Le rêve de leur vie est réalisé. Mais il est maintenant temps de comprendre qui l’a remplacé et de ne pas se contenter d’entrer dans une autre guerre ridicule sur le moment où la famille Netanyahu quittera Balfour, hier ou demain [allusion à la dispute sur l’utilisation privée par Netanyahu de sa résidence officielle – Balfour – y compris après le 27 juin].
Le nouveau gouvernement peut annoncer des changements, même s’ils sont modestes. La plupart de ses ministres sont supérieurs à leurs prédécesseurs en termes de standing, d’intégrité et d’engagement dans leurs tâches. Le nouveau gouvernement peut même entreprendre certaines réformes essentielles et nettoyer certaines écuries.
Mais un gouvernement qui a laissé la 'Marche des drapeaux' se dérouler et l’armée de l’air bombarder Gaza n’est pas un gouvernement de réel changement. (Article publié dans Haaretz, le 16 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Le New York Times du 13 juin écrivait: «Dimanche, des Israéliens en liesse sont descendus sur la place Rabin à Tel-Aviv pour une célébration marquant l’éviction de Benyamin Netanyahu et la prestation de serment d’un nouveau gouvernement – bien que précaire. L’atmosphère euphorique reflétait le soulagement de nombreux Israéliens à l’idée qu’un nouveau jour était venu et qu’un personnage public que beaucoup de personnes dans le camp libéral dédaignent avait enfin été expulsé.» (Réd.)
Gideon Levy -
18.06.21
Source: Alencontre
! INFOS DU JOUR ! :
- Palinfo rapporte les propos d'un haut responsable de l’entité sioniste diffusés sur Channel 12 d'Israël: «Nous sommes à quelques semaines ou quelques mois d’une nouvelle opération militaire avec Gaza». Selon ce responsable israélien, «les estimations indiquent une série de combats pendant plusieurs jours qui pourraient à nouveau éclater avec la bande de Gaza». Il a souligné 4 points qui peuvent déclencher l’escalade, notamment les fonds de subvention qataris, les négociations de trêve et la politique de riposte aux ballons, en plus de la question des détenus palestiniens et des personnes disparues;
- le même site signale que des documents conservés dans le coffre-fort de l'ancien 1er ministre Netanyahu ont été détruits dimanche 13 juin, juste avant l’entrée en fonction du nouveau 1er ministre Naftali Bennett, a rapporté jeudi 17 juin le quotidien israélien Haaretz, cité par la télévision i24. La destruction illégale des documents a été effectuée sur instruction de B.Netanyahu, ont déclaré des employés du bureau à 'Haaretz';
- Palinfo signale que des colons israéliens continuent d'agresser les habitants du quartier de Sheikh Jarrah. Des sources oculaires ont rapporté que les citoyens avaient contré les attaques des colons extrémistes avant que les forces israéliennes n’interviennent pour protéger les agresseurs et viser les citoyens par les bombes lacrymogènes et assourdissantes. Les Palestiniens menacés avaient lancé sur les réseaux sociaux des appels de détresse demandant à tous les jérusalémites de venir à leur secours. L’activiste Mouna al-Qurd a révélé que le tribunal israélien avait fixé au 2 août prochain la date de recours pour quatre familles palestiniennes menacées d’expulsion (les familles d’al-Qurd, al-Qassem, al-Jaouni et Iskafi). Notons que les forces d’occupation israéliennes imposent pour le 34è jour un blocus sur le quartier de Sheikh Jarrah en installant des barricades et des blocs de ciment armé en plus des dizaines de points de contrôle et des patrouilles qui sillonnent le quartier jour et nuit.
Rédaction du MCP -
20.06.21