Le terrible désir d’être égal
L’historien anglo-polonais Isaac Deutscher a, par empathie, comparé la création de l’État d’Israël à un homme désespéré, sautant d’un immeuble en feu, et chutant sur un passant qui s’en trouve grièvement blessé. Aujourd’hui, 73 ans plus tard, la métaphore peut être ainsi élargie et complétée: le rescapé du saut, s’est relevé et a recouvré ses esprits, mais au lieu de venir en aide au blessé, il a continué de le frapper, et prétend que celui-ci est responsable de l’accident, en arguant que le trottoir lui appartient depuis trois mille ans, et que le passant blessé n’avait pas à se trouver là.
Plus de deux millions de Palestiniens vivent aujourd’hui dans la région de Gaza dont la superficie de 365km² est l’un des endroits les plus misérables au monde. Autre donné non moins significative pour la compréhension de cette situation tragique: au moins 70% des habitants de Gaza, sont les descendants des réfugiés qui ont été expulsés ou ont fui, entre 1948 et 1950, du territoire sur lequel a été créé l’État d’Israël, et se sont vu interdire de regagner leurs foyers.
Ils n’ont reçu aucun dédommagement pour la perte de leurs biens, et vivent dans des camps densément peuplés. A cela s’est ajouté le fait qu’Israël a conquis, en 1967, la région de Gaza et a commencé à y implanter des colonies juives.
En 2005, la Résistance palestinienne a fini par obliger l’armée israélienne à évacuer ce territoire. Depuis lors, le Hamas a mené l’essentiel de la lutte armée; ses combattants n’ont pas cessé de causer du tracas à Israël, par des tunnels souterrains, ou avec des ballons incendiaires. De temps à autres, la situation se détériore: des missiles arrivent à Tel-Aviv, tandis que l’armée israélienne bombarde les bases du Hamas sans se soucier de la population, causant par là-même des centaines de victimes civiles.
Deux allumettes sont à l’origine de l’embrasement actuel. La première ressemble à celle qui a provoqué l’insurrection d’octobre 2000: l’atteinte méprisante portée à la mosquée al Aqsa, qui en plus de constituer un lieu saint central, est devenue un symbole national.
L’autre allumette est un élément nouveau: l’exigence israélienne d’évacuer le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, conquis en 1967, au motif qu’avant 1948, des juifs étaient propriétaires de ces biens: il s’agit–là d’une incision dans une plaie infectée, et d’une injustice confondante: des réfugiés dont on a spolié les foyers, lors de la 'Nakba' se voient sommés d’abandonner leurs demeures.
Le sentiment général a été que ce culot monstre d’un occupant aveugle et stupide est susceptible de susciter la confiscation de toutes les maisons bâties en Terre sainte au cours du siècle dernier.
Sans surprise, les habitants de Jérusalem se sont soulevés: 380 000 Palestiniens résident dans "La ville juive éternelle" où ils constituent un tiers de la population, et sont dépourvus de tout droit civique et politique depuis 54 ans. Israël les a annexés en 1967, et a tout fait pour éviter de leur attribuer la citoyenneté israélienne. Au moyen d’une colle mythologique, Israël a démonstrativement unifié des pierres dormantes et de hautes murailles, tout en laissant de côté les êtres humains, parce qu’ils ne sont pas juifs.
Cependant, la véritable surprise, dans l’affrontement présent, est venue de la part des Palestino-israéliens, qui, eux, disposent de la citoyenneté, et d’une complète égalité politique dans l’État d’Israël. Eux, qui ont longtemps été principalement des ouvriers du bâtiment représentent désormais un tiers des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des techniciens de laboratoire et des universitaires.
Comment est née leur révolte qui, selon certains revêt l’aspect d’une guerre civile, alors que sont apparus les premiers signes de leur intégration socio-économique?
Il y a 180 ans, Alexis de Tocqueville interprétait la Révolution française à l’aide du raisonnement suivant: ce sont précisément les progrès en matière d’égalité, antérieurs à la révolution, qui ont préparé le terrain du grand embrasement, et notamment de l’exigence de la pleine égalité politique. Dans 'De la Démocratie en Amérique', il écrit à ce propos: «Il n’y a pas de si grande inégalité qui blesse les regards lorsque toutes les conditions sont inégales… Il est donc naturel que l’amour de l’égalité croisse sans cesse avec l’égalité elle-même».
Ce raisonnement s’applique aujourd’hui à Israël: l’israélisation croissante des citoyens arabes, leur maîtrise de la langue hébreu, l’amélioration du statut social de certains d’entre-eux, et même une relative intégration dans les réseaux de communication, alors même que se poursuit l’occupation militaire de la Cisjordanie ont engendré de nouvelles approches et manières de voir.
On ne peut pas se sentir égal, et on ne le pourra jamais, dans un État qui ne cesse de proclamer officiellement qu’il est l’État d’une seule communauté. A l’encontre de toute autre démocratie libérale, Israël en effet, n’est pas l’État de tous les citoyens israéliens, mais il dit être l’État des juifs du monde entier (qui ne souhaitent pas s’y installer).
La formule 'État juif et démocratique' porte en elle le même sens contradictoire que des formules telles que: 'démocratie blanche' aux États-Unis, 'République gallo-catholique' en France, ou 'démocratie chrétienne' en Allemagne et en Italie.
De même, tout État dans le monde s’est doté d’un hymne national destiné à faire se rassembler tous ses citoyens, quelle que soit leur religion, leur couleur de peau et leur origine, tandis que l’hymne israélien divise et aliène ouvertement une partie des citoyens, en invoquant: «l’âme juive qui vibre».
L’État d’Israël se dit prêt à accueillir toute personne à même de prouver que sa mère est juive, ou qui se convertit dûment à la religion juive, tandis qu’un Palestino-Israélien n’a pas le droit de se réunir avec des membres au premier ou deuxième degré de sa famille, qui ont été expulsés en 1948 et vivent dans des camps de réfugiés en Cisjordanie et à Gaza.
Depuis 1948, 700 localités juives ont été construites sur le territoire israélien, dans les frontières de 1967, contre aucune localité arabe (à l’exception de quelques villages destinés aux bédouins expulsés de leurs terres).
Alors que 21% des citoyens israéliens sont des arabes, il n’existe aucune université en langue arabe; par contre une université en langue hébreu, exclusivement réservée aux Israéliens, a été implantée au cœur de la Cisjordanie occupée.
Bien qu’Israël se présente aux yeux du monde comme un État laïc et libéral, une juive ne peut pas y épouser un non-juif, faute d’existence du mariage civil; ceci répond à l’intention délibérée d’empêcher l’union de juifs avec des non-juifs.
On pourrait énumérer bien d’autres facteurs d’inégalité et de discrimination figurant dans la structure de l’État juif: la loi sur la nationalité, récemment adoptée, n’a rien apporté de nouveau; elle n’a fait qu’officialiser et rendre plus visible cet état de fait.
Il y a, hélas, tout lieu de penser que ces arguments critiques demeureront inefficients, car la grande majorité des Israéliens juifs resteront indifférents à l’inégalité de base, et préfèreront continuer à barboter dans leur baignoire 'juive et démocratique', dont ils ont cru jusqu’à présent, qu’elle demeurerait éternelle. Or, voici que, tout à coup, des milliers de jeunes palestino-israéliens expriment leur colère contre l’intolérable situation inégalitaire.
Les classes moyennes arabes n’ont pas pris part à ces manifestations orageuses, mais elles ont permis à leurs enfants de s’exposer aux matraques de la police, et aux coups de poings des racistes juifs et des colons venus des territoires de «l’Eretz Israël libéré».
La violence est toujours hideuse, mais elle a, hélas, dû accompagner le plus souvent, au cours de l’Histoire, les luttes pour l’égalité. Le recours à la force ces temps-ci, en Israël n’est pas sans rappeler la violence des 'Panthères noires' dans les États–Unis des années soixante, notamment après l’assassinat de Martin Luther-King. Les émeutiers dans les ghettos afro-américains n’étaient peut-être pas sympathiques, mais leurs luttes ont contribué, de façon décisive, à transformer les États–Unis, d’un État alors fondamentalement blanc en une nation plus démocratique et moins inégalitaire pour l’ensemble de ses citoyens, même si cette longue marche n’est pas encore achevée.
La question qui demeure posée, après ces violents affrontements est la suivante: Israël va-t-il dériver vers d’autres séquences et devenir une sorte de Yougoslavie dégénérant en une guerre sanglante opposant ses divers citoyens non égaux, et se fracasser en multiples morceaux, ou bien parviendra-t-il, malgré tout, à devenir une sorte de Canada, de Belgique ou de Suisse, qui par-delà leurs divisions internes ont réussi à se préserver en tant que démocraties poly-linguistiques et multiculturelles, reposant sur l’appartenance citoyenne, et non pas sur une ethnicité religieuse ou biologique. L’avenir le dira.
Shlomo Sand -
18.05.21
Source: Mediapart
INFOS DU JOUR:
Gaza ne coulera pas dans la mer comme nous le souhaitons!
Le journal 'Haaretz' a exclu la réalisation des "souhaits" israéliens selon lesquels Gaza «coulera dans la mer», soulignant qu’«après chaque agression violente, la bande de Gaza assiégée, remonte à nouveau à la surface et avec elle la cause palestinienne».
Et d’ajouter: «La phrase "Je souhaite que Gaza coule dans la mer" se répercute en échos entre les pilotes des avions de l’armée de l’air, qui larguent beaucoup de bombes sur Gaza, et entre des reporters et commentateurs enthousiastes, aussi à travers les réseaux sociaux et dans les déclarations dures des dirigeants israéliens.»
(...) Le journal a averti que «le désir israélien de faire taire Gaza découle de la prise de conscience que son existence nous rappelle où nous sommes. La 1è Intifada a commencé là-bas, et les accords d’Oslo étaient basés sur Gaza d’abord, et c’est à Gaza que l’Autorité palestinienne a été établie, et c’est à Gaza que le mouvement Hamas s’est renforcé.»
Le journal a rappellé les propos de l’écrivain Amira Hass en 1996 selon lesquels «Gaza contient toute l’histoire du conflit entre israëlo-palestinien», en commentant ainsi: «Ces propos n’étaient pas un diagnostic, mais une prophétie, car le conflit à Gaza s’est accru et intensifié lorsque le Hamas a pris le pouvoir. Et ici, peut-être, est-il plus facile d’écrire sur Gaza qu’elle est comme la mort.»
Et de conclure: «Plus de 50% de la population de Gaza a un âge moyen de 18 ans, et ceux-là ont grandi dans une Gaza assiégée, et donc nous aurons besoin de déployer de grands efforts pour que cette génération vive dans une réalité différente, dans un pays où les problèmes politiques nécessitent des solutions politiques plutôt que militaires.»
Rédaction Almanar/Paltoday -
Source: Almanar
‘Israël’ tente d’inciter à la violence et de rompre le cessez-le-feu à Gaza
Après la défaite politique infligée au gouvernement israélien par un mouvement palestinien unifié, Israël a été contraint de rechercher un cessez-le-feu avec les factions armées de Gaza, et s’efforce maintenant activement de raviver les tensions avec Gaza.
Vendredi dernier, à 02h du matin (heure locale, Palestine), un cessez-le-feu inconditionnel est entré en vigueur entre les groupes armés de Gaza et l’armée israélienne. Jusqu’à présent, ce cessez-le-feu a tenu, mais il se dirige vers une nouvelle escalade en raison des provocations et pressions israéliennes constantes.
Le premier jour du cessez-le-feu, Israël a permis à ses forces d’occupation armées de pénétrer à nouveau sur le site d’al-Aqsa à Jérusalem et d’y attaquer les fidèles palestiniens, ce qu’elles ont fait à plusieurs reprises depuis. Ce point est essentiel, car les violentes attaques de la mosquée al-Aqsa ont servi de catalyseur au dernier soulèvement palestinien contre le régime israélien et ont déclenché une résistance armée depuis la bande de Gaza.
Les agressions violentes et l’interdiction faite aux Palestiniens d’entrer dans le quartier de Sheikh Jarrah, tout en permettant aux colons israéliens illégaux de le faire librement, ont également fortement attisé les tensions. Le projet de nettoyage ethnique d’environ 550 Palestiniens du quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, a également joué un rôle essentiel dans l’escalade des tensions avec le peuple palestinien. Les plans actuels d’expulsion des Palestiniens et les attaques des forces israéliennes contre les manifestants dans toute la ville montrent une fois de plus l’intention de raviver le conflit du côté israélien.
Le dimanche, Israël et l’Égypte ont annoncé la fermeture complète de toutes les entrées et sorties de la bande de Gaza. Le ministre israélien de la Guerre, Benny Gantz, a également déclaré qu’il n’autoriserait que l’entrée du strict minimum de biens humanitaires dans l’enclave côtière assiégée. Gantz a également déclaré que le seul moyen de faire entrer à Gaza les matériaux nécessaires à la reconstruction et à l’approvisionnement des personnes dans le besoin était que le Hamas remette aux Israéliens les corps des soldats d’occupation.
La déclaration de Benny Gantz indique clairement que la politique d’Israël est une politique de punition collective – un crime de guerre avéré – et qu’Israël ne permettra pas aux biens d’entrer dans la bande de Gaza après que l’armée israélienne ait fait déplacer plus de 70.000 personnes et tué environ 250 personnes.
Si les groupes armés palestiniens conservent les corps des forces d’occupation israéliennes, comme ceux qu’ils ont tués lors de l’invasion israélienne de Gaza en 2014, c’est pour pouvoir récupérer leurs propres morts auprès d’Israël et obtenir la libération des prisonniers politiques. Israël conserve actuellement les corps de centaines de Palestiniens que ses forces ont assassinés, sans raison justifiable, incarcérant également environ 5000 Palestiniens dans des prisons militaires.
La tactique consistant à kidnapper des soldats israéliens, ou à emporter leurs corps du champ de bataille, est utilisée par les groupes armés palestiniens dans le but stratégique de libérer leurs prisonniers qui ont été placés derrière les barreaux par un tribunal kangourou dont le taux de condamnation est proche de 100%, ainsi que pour libérer les corps de leurs propres morts (dont beaucoup n’étaient même pas des combattants).
Les forces de police israéliennes à l’intérieur de ce qu’on appelle Israël ont également annoncé une campagne d’arrestations massives contre les citoyens palestiniens d’Israël ce dimanche. Israël a commencé à arrêter violemment des Palestiniens dans les villes de Lyd, Haïfa, Nazareth, Jaffa, Umm Al-Fahm et ailleurs. L’objectif de la campagne israélienne a été déclaré comme l’arrestation de 500 activistes palestiniens, mais n’a fourni aucun nom et semble être arbitraire.
Les groupes de défense des droits ont qualifié cette campagne de vengeance et ont déclaré qu’elle visait à faire une démonstration de force contre les Palestiniens qui avaient participé à des manifestations et à la grève générale nationale anti-israélienne la semaine précédente.
Le gouvernement israélien n’a pas non plus autorisé l’extension des territoires de pêche, de sorte que les pêcheurs de Gaza ne peuvent pas sortir assez loin pour attraper ce dont ils ont besoin. Des simulacres de raids aériens ont également été lancés dimanche matin dans le ciel des plages de Gaza. Le bourdonnement constant des drones est également signalé par les habitants de Gaza, qui sont nombreux à soupçonner de manière terrifiante qu’Israël prépare de nouvelles attaques sur le territoire.
En réponse, jusqu’à présent, nous avons vu des Palestiniens de Gaza envoyer des objets enflammés attachés à des ballons au-dessus de la barrière de séparation. Ces ballons ont provoqué des incendies dans certaines petites zones entourant les communautés de colons israéliens.
Si Israël continue de provoquer les Palestiniens, en attaquant les habitants de Jérusalem et les citoyens palestiniens d’Israël, il est probable que nous assistions à une autre réponse des Palestiniens. Si la réponse de la société palestinienne comprend des attaques armées, sous la forme de roquettes provenant des factions armées de Gaza, il faut savoir que le problème n’a pas commencé par des tirs de roquettes.
Le cessez-le-feu a déjà été rompu, sans doute, et Israël semble se préparer à déclarer que tous ses récents actes violents et disproportionnés étaient des actes de 'légitime défense', bien que la résistance armée de Gaza ait manifestement réagi à des violations manifestes du droit international par le gouvernement israélien.
Robert Inlakesh -
25.05.21
Source: Réseau International