Face à la fachosphère sioniste, la solidarité pro-palestinienne est un sport de combat
Fin 2020, une série de détournements de panneaux publicitaires par le collectif toulousain 'Palestine vaincra' a provoqué une déferlante de réactions outrancières de la part du camp sioniste: diffamation, menaces, appels à la dissolution de l’organisation
Énième illustration des méthodes de l’extrême-droite israélienne et de ses soutiens, le collectif a déjà subi en moins de deux ans d’existence, plusieurs séries d’attaques de ce genre. Rencontre avec deux de ses membres, Sira et Tom.
Le 12 décembre dernier se tenait la quatrième journée d’action internationale «Boycott Puma». L’équipementier sportif sponsorise en effet l’Association israélienne de football qui, souligne le texte d’appel, «inclut des clubs des colonies israéliennes illégales construites sur des terres palestiniennes volées et considérées comme des crimes de guerre selon le droit international».
À Toulouse, dans le quartier du Mirail, les militant·es du collectif Palestine vaincra ont décidé de marquer le coup en remplaçant des publicités de panneaux JCDecaux par des affiches de leur cru arborant le logo de la marque ensanglanté et proclamant: «Puma: sponsor officiel du colonialisme israélien».
«Une action symbolique de désobéissance civile, selon Tom et Sira, qui s’inscrit dans le rôle que nous nous sommes donnés de visibiliser la question palestinienne, notamment dans les quartiers populaires.»
Le collectif récidivait quelques jours plus tard avec de nouvelles affiches: «Boycott Israël» ou «Pour Noël, je veux une Palestine libre ». Partagées et repartagées sur les réseaux sociaux, les photos de ces fausses pubs vont toucher des centaines de milliers d’internautes… et faire bondir les soutiens inconditionnels d’Israël en France et au-delà.
Appels à la dissolution du collectif, annonces de dépôts de plaintes en cascade… Et escalade verbale sur Twitter ou dans des médias israéliens et communautaires français alliés pour dénoncer cette «incitation à la haine» de la part de «vandales» qui «ont violé des panneaux» et «seront éliminés et jugés»…
Les plus véhéments allant jusqu’à parler d’un groupe «islamiste qui prône le terrorisme», voire «le génocide». La palme revenant (peut-être) à Arié Bensemhoun, directeur exécutif d’Elnet France[1], qui a atteint le point Godwin à la vitesse de la lumière en dressant un parallèle entre le collectif et les nazis[2].
Ce n’est pas la première fois que la pourtant jeune organisation subit de telles attaques. L’été dernier, Franck Touboul, président du Crif[3] Midi-Pyrénées, fustigeait le refus du préfet de Haute-Garonne d’interdire les rassemblements du collectif et proférait des menaces à peine voilées: «Faut-il attendre que je laisse intervenir des militants de ma communauté pour démonter leur stand et ainsi caractériser le trouble à l’ordre public?»[4]
Sira et Tom resituent le contexte: «Touboul s’en prend à nous par voie de presse juste après une campagne de terrain que nous avons mené en lien avec les élections municipales pour interpeler sur la question du jumelage entre Toulouse et Tel-Aviv. Un succès: le sujet a été mis sur le devant de la scène, plus de 5000 Toulousains ont signé notre pétition, de nouveaux élus d’opposition se sont positionnés en faveur de l’arrêt du jumelage…»
Les attaques contre le mouvement pro-palestinien ne sont pas nouvelles et 'Palestine vaincra' n’est évidemment pas la seule organisation visée: si elle a vu son compte Paypal fermé en juin 2020 sous la pression de l’extrême-droite israélienne, la même «mesure de rétorsion» avait déjà touché l’Association France Palestine solidarité ou l’Union juive française pour la paix.
Plus généralement, les organisations participant à la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël ne cessent d’affronter, depuis son lancement en 2005, censure, propos diffamatoires, agressions, procès.
Qui retrouve-t-on derrière ces intimidations bien orchestrées? «Il y a là toute une kyrielle d’organisations se présentant comme défenseures des droits humains, luttant contre l’antisémitisme, etc., expliquent Tom et Sira. En réalité, ce sont toujours des militants réactionnaires, proches du Likud et de l’extrême-droite israélienne.»
L’État israélien lui-même cherche à gérer directement la surveillance et la répression des soutiens à la cause palestinienne, notamment à travers un discret «Ministère des affaires stratégiques» chargé de mener la «bataille contre les phénomènes de délégitimation et les boycotts contre Israël»[5].
Ses modes d’actions sont multiples, y compris à l’étranger, allant du financement de groupes de pression à l’espionnage d’adversaires politiques[6].
Les angles d’attaque sont toujours les mêmes, à commencer par le sempiternel amalgame entre antisionisme et antisémitisme. «C’est une vieille stratégie pour criminaliser le soutien au peuple palestinien, estiment Tom et Sira, qui trouve de nombreux relais auprès de politiques français, notamment du côté de LREM. En 2019, Macron a déclaré lors du dîner annuel du Crif que "l’antisionisme était l’une des formes modernes de l’antisémitisme". La même année, Sylvain Maillard, porte-parole des députés LREM, a porté une résolution assimilant antisionisme et antisémitisme que l’Assemblée a votée: elle n’a pas valeur de loi, mais le signal est fort.»
Autre accusation récurrente: défendre la cause palestinienne signifierait supporter le terrorisme. L’argument revient particulièrement contre le collectif 'Palestine vaincra' qui assume son soutien à des organisations comme le Front populaire de libération de la Palestine(FPLP)[7].
Et qui aurait le tort d’agir sur Toulouse, réduit au statut de cité du sinistre Mohammed Merah[8]. Un exemple parmi de nombreux autres: stigmatisant au passage l’un des quartiers populaires les plus emblématiques de la ville, l’avocat Ariel Goldmann accuse le collectif de «semer la haine d’Israël […] au quartier du Mirail, là où l’ignoble Merah a grandi et conçu ses crimes»[9].
«Ils savent très bien que nous n’avons rien à voir avec un fasciste comme Merah, répliquent Sira et Tom. Tout cela relève de techniques d’intimidation. Une de nos spécificités, c’est que nous sommes pour l’autodétermination du peuple palestinien: c’est à lui de choisir comment il veut se défendre, lutte non-violente ou lutte armée. Et on soutient des organisations de la résistance. Or, comme toute puissance occupante, Israël criminalise la résistance, suivi par ses soutiens comme l’Union européenne qui étiquette comme terroristes toutes les organisations palestiniennes qui ne collaborent pas avec l’occupation. Mais qui sont les terroristes? Qui sont les criminels de guerre qui internent des enfants ou tuent régulièrement des centaines de civils à Gaza?»
Même si les pratiques de l’extrême-droite sioniste sont connues, une telle concentration d’attaques sur une organisation récente, locale, plutôt modeste (quelques dizaines de membres), au risque même de faire sa promotion, paraît disproportionnée.
Son activité importante sur le web, qui porte son message bien au-delà de Toulouse, joue sûrement. Sa position sans ambiguïté aussi: le collectif défend ouvertement une libération totale du territoire, c’est-à-dire la fin de l’État colonial d’Israël au profit d’une «Palestine libre, multiculturelle et démocratique».
Tom et Sira estiment que le contexte international pèse également: «On sort d’une longue séquence avec des accords de normalisation entre Israël et le Maroc, les Émirats, le Bahreïn… Il y a une volonté de faire croire au monde entier que le problème est réglé alors que c’est toujours la même politique coloniale qui dure depuis plus de 70 ans. Les Palestiniens résistent encore et des formes de solidarité continuent à se développer partout. Ils veulent écraser ça. Ce sont des pratiques de nervis d’extrême-droite, mais ce n’est pas surprenant. On parle tout de même de gens qui soutiennent l’emprisonnement de masse, l’apartheid, la torture. Ce que l’on subit reste sans commune mesure avec ce qu’ils font vivre au peuple palestinien.»
Notes:
[1] Organisation lobbyiste pro-israélienne.
[2] Sur Twitter, le 28 décembre 2020.
[3] Conseil représentatif des institutions juives de France.
[4] La Dépêche du Midi (04/07/2020)
[5] «Un si mystérieux ministère israélien des affaires stratégiques», Orient XXI (29/10/2018).
[6] Ce ministère pourrait disparaître prochainement – ce qui ne signifierait pas la fin de ses missions (aux contours flous) qui seraient attribuées à d’autres ministères.
[7] Cette organisation palestinienne marxiste-léniniste fondée en 1967 possède toujours une branche armée active.
[8] En juin 2012, Merah avait assassiné à Montauban et Toulouse sept personnes, dont trois enfants juifs.
[9] Sur Twitter, le 12 décembre 2020.
Benoît Godin -
11.03.21
Source: PalestineVaincra