Colons & police israélienne, complices!
Un pic dans les attaques des colons crée un "véritable enfer" pour les Palestiniens
Quand Aref Jaber est allé enquêter sur les rapports selon lesquels un groupe d’Israéliens projetait de construire un avant-poste colonial sur sa terre près de la colonie de Kiryat Arba à Hébron, il n’avait pas prévu la violence qu’il allait devoir affronter.
Mais ce chauffeur de taxi de 45 ans a été obligé d’abandonner sa voiture – sa voiture personnelle – quand il a été pris à partie par ce qu’il a décrit comme une bande de sept colons. Le temps pour Jaber de repartir, les hommes avaient bombardé sa voiture avec des cailloux et des pierres et fait éclater ses fenêtres.
«Deux soldats israéliens étaient là qui regardaient et n’ont rien fait pour les arrêter», a dit Jaber à The Electronic Intifada. Cette agression a eu lieu début janvier. Et les choses ont empiré. Juste une semaine plus tard, des colons ont bloqué l’accès de la route vers les 25.000m² de terre de Jaber et ont arraché 100 de ses oliviers.
D’après Jaber, c’était la troisième fois que les colons ciblaient sa terre. La quatrième a eu lieu le 20 février quand ils ont été tenus à distance par un groupe de militants jusqu’à ce que des soldats israéliens se présentent, séparent les deux groupes et déclarent toute la zone, zone militaire fermée.
Ce qui veut dire que les colons n’y ont plus accès, ni Jaber non plus. En réalité, il a perdu sa terre à cause de la violence des colons.
Jaber n’est que l’un parmi les dizaines de Palestiniens à être ciblés – soit directement, soit indirectement – dans un pic de plusieurs mois des attaques de la part de colons dans toute la Cisjordanie occupée, dont Jérusalem Est.
Certains incidents ont été mortels
Le 10 février, Azam Amer a été tué après avoir été frappé dans sa voiture par un colon près de Salfit, en Cisjordanie. Israël dit qu’il enquête sur ce que les Palestiniens ont rapporté comme un acte délibéré.
Le même genre de pilonnage d’une voiture a provoqué en août dernier la mort d’Eqab Darawsheh, 21 ans, au sud de Tulkarem.
Le 5 février, Khaled Nofal a été tué par balles par un colon israélien près de la ville de Ras Karkar. Ce comptable de 34 ans, père d’un enfant, n’était pas armé. La plupart des incidents se sont terminés avec des blessures et des dégâts sur les biens.
B’Tselem, organisation israélienne de défense des droits de l’homme, a fait état d’un total confirmé de 49 actes de violence commis par des colons contre des Palestiniens au cours d’un seul mois entre décembre et janvier.
Neuf Palestiniens ont été blessés au cours de ces attaques, dont une petite fille de onze ans, Hala Mahmoud Al-Qet. Hala a été hospitalisée après qu’une bande de colons, au cours d’une frénésie de vandalisme dans le village de Madama, près de Naplouse, l’ait criblée de pierres alors qu’elle rentrait chez elle depuis la maison de son oncle.
Le Bureau des Nations-Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires a rapporté que, sur 12 incidents survenus dans la période du 5 au 18 janvier, huit ont provoqué des blessures physiques.
Impunité totale
Le cycle actuel de violence des colons contre les Palestiniens a cependant commencé bien avant le mois de décembre.
Al-Haq, organisation palestinienne de défense des droits, a commencé à enregistrer un pic depuis juillet 2020, faisant état de 68 attaques dans la période de juillet à octobre de l’année dernière.
Cela a grimpé à nouveau en décembre après la mort d’un jeune colon, Ahuvia Sandak. Ce jeune de 16 ans de la colonie de Rat Ayin, au sud de Jérusalem, est mort dans un accident consécutif à une poursuite à grande vitesse par les forces israéliennes après qu’il ait, semble-t-il, jeté des pierres sur des Palestiniens.
Sa mort a déclenché des semaines de manifestations des colons aux principaux carrefours de Cisjordanie, bloquant parfois le trafic pendant des heures et attaquant les véhicules palestiniens.
Sandak et trois autres garçons qui se trouvaient dans la voiture au moment de l’accident faisaient partie des Jeunes des Collines, mouvement d’extrême-droite dont l’idéologie est fondée sur l’expulsion des Palestiniens grâce à l’installation d’avant-postes coloniaux en Cisjordanie occupée.
Les Jeunes des Collines sont connus pour lancer des attaques sur les Palestiniens de leur voisinage, y compris des gens comme Muataz Qasrawi, 38 ans.
Qaswari, mécanicien automobile, profitait d’une veille tranquille de Nouvel An, avec sa femme et ses quatre enfants, chez lui dans le village de Huwarah, près de Naplouse, quand soudain vers 21h30, un groupe de colons a commencé à canarder ses fenêtres avec des pierres et des roches.
Au milieu d’une rafale de verre brisé, Qaswari a attrapé son fils nouveau-né dans son berceau, tandis que sa femme, incapable de fuir à temps, a été blessée à la jambe.
Même plusieurs semaines après, les enfants de Qaswari, dont l’aîné n’a que 10 ans, continuent de souffrir de cette attaque. «Ils n’ont pas pu dormir une seule nuit depuis, ils sont traumatisés après avoir vu leur mère frappée sous leurs yeux», a dit Qaswari à The Electronic Intifada.
Qaswari soupçonne les responsables, un groupe d’environ sept à dix hommes, d’appartenir à la colonie voisine de Yitzhar, connue des associations de défense des droits de l’homme pour ses violentes attaques répétées sur les villages environnants.
Les colons ont fui la scène protégés par l’obscurité. Les forces militaires israéliennes sont arrivées une heure plus tard. Qaswari a dit qu’il avait remis l’enregistrement de la caméra de sécurité au tribunal israélien. Il n’y a eu aucune réponse à ce jour.
D’après Shahd Qaddoura, enquêtrice de terrain pour Al-Haq, les colons jouissent généralement d’une très large impunité. La plupart des attaques répertoriées par l’association, a-t-elle dit, se sont passées sous les yeux des soldats israéliens, sinon sous leurs fervents encouragements.
Les colons israéliens et les Palestiniens en Cisjordanie vivent sous des régimes juridiques différents bien que résidant dans la même zone. Ainsi, les colons dépendent du droit national israélien tandis que son application est assurée par la police civile d’Israël.
Par contre, les Palestiniens sont soumis au droit militaire israélien, appliqué par l’armée. Résultat, ils peuvent être détenus indéfiniment sans procès et, s’ils arrivent à un jugement, cela se passe devant un tribunal militaire dans lequel les preuves secrètes sont autorisées.
La différence de leur traitement se reflète dans le taux d’accusations et de condamnations. Les taux de condamnations dans les tribunaux militaires avoisinent les 100%.
Par contre, d’après Yesh Din, association israélienne de défense des droits, 91% des enquêtes ouvertes par la police civile israélienne en Cisjordanie occupée de 2003 à 2019 ont été closes sans aucune mise en accusation.
Devant une telle impunité, la violence des colons est devenue une réponse si habituelle aux tensions dans les territoires occupés qu’elle a même obtenu un nom qui lui est propre: les attaques "prix à payer".
Ces attaques sont ainsi appelées le "prix à payer" parce qu’elles font référence aux actes de violence commis par les colons contre les Palestiniens pour prévenir tout effort sérieux d’application de la loi par les autorités israéliennes contre les communautés de colons, empêcher toute tentative du gouvernement israélien pour enlever les avant-postes de colons ou réfréner la construction de colonies, ou pour répondre à toute violence commise contre les colons.
Ainsi, tandis que leurs plus gros reproches s’adressent largement à la police israélienne que les colons accusent de la mort de Sandak, ils se sont servis des tensions pour attaquer les Palestiniens.
«Ils y voient une opportunité pour libérer leur colère sur une population innocente», a dit Muhtaz Tawafsheh, maire du village de Sinjil, au nord-est de Ramallah.
Depuis le 15 décembre, Tawafsheh a commencé à offrir un abri dans le bâtiment de la mairie aux habitants des faubourgs quand les colons ont commencé à bloquer les principaux carrefours alentour et à cribler les voitures de cailloux et de pierres.
«Un véritable enfer»
Le harcèlement constant par les colons, combiné à l’impunité dont ils jouissent, est largement perçu comme faisant partie d’années d’efforts accentués pour traîner les Palestiniens loin de leurs terres et hors de chez eux.
«Tout ce qu’ils veulent, c’est faire de la vie des Palestiniens un véritable enfer», a dit à The Electronic Intifada le conducteur de taxi Aref Jaber. Et ils travaillent main dans la main avec l’armée, a-t-il ajouté.
«En appliquant des restrictions et des règlements, en nous attaquant physiquement, en nous arrêtant et en nous humiliant quotidiennement, tout cela afin de mettre les familles qui sont ici dans une situation où elles sont obligées de quitter leurs maisons et où ils peuvent étendre leurs colonies.»
Shahd Qaddura de Al-Haq a dit qu’elle craint que la violence ne fasse que continuer de croître en 2021. Même les forces de sécurité israéliennes ont exprimé leur inquiétude, disant anonymement aux médias israéliens que «la police perd le contrôle… la violence des colons contre les Palestiniens et les forces de sécurité atteint de nouveaux sommets».
Mohhamad Shtayyeh, premier ministre de l’Autorité Palestinienne, a émis le 22 janvier un communiqué appelant la nouvelle administration américaine à le rejoindre pour condamner la violence en tant que «terrorisme organisé des colons» et pour intervenir en accord avec la Résolution 2334 du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Il a également exhorté l’ONU a agir pour protéger les Palestiniens et à faire appliquer une interdiction de voyager internationalement contre les colons impliqués dans ces attaques.
Le communiqué de Shtayyeh a fait suite à un incident particulièrement brutal au cours duquel des colons ont jeté des cocktails Molotov sur les maisons de résidents du village de Burin et attaqué une voiture, blessant un enfant de 3 ans.
Le même jour, une famille palestinienne vivant dans une grotte au sud d’Hébron a rapporté qu’elle a été attaquée par une groupe d’hommes de la colonie de Susiya.
La famille Murr, originaire de Yatta, village proche d’Hébron, a été expulsée de sa maison d’origine et vit maintenant dans une grotte dans le voisinage de Tawamin. Le jour de l’attaque, a dit la famille aux médias locaux, les colons ont traîné près de la grotte qui leur sert de maison pendant des heures, hurlant des injures à la famille, en dansant et en faisant beaucoup de bruit.
«Ils criaient: ‘nous étions ici avant vous, c’est notre terre’ », a dit Ismail Murr, membre de la famille, aux reporters de Khabar24.
Murr a dit aussi aux reporters que ce harcèlement a duré tous les jours de la dernière quinzaine. «Ils veulent nous faire partir en nous terrorisant», a dit Murr. «Mais nous sommes ici sur notre terre, et nous ne bougerons jamais.»
Kelly Kunzl -
24.02.21
Source: Agence Medias Palestine