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Chaque mardi, instantanés d’Israël et de Palestine, à la découverte des bulles géographiques et mentales d’un territoire aussi petit que disputé. Aujourd’hui: «Balfour», la rue de Jérusalem où vivent les Premiers ministres israéliens, qui a donné son nom à la colère visant son actuel locataire

 

«Tout le pays est Balfour». Tel était le slogan ce week-end des opposants au Premier ministre israélien, à l’appel de «Crime Minister», l’un des principaux groupes à faire rimer Netanyahu avec corruption.

Jeudi, le dirigeant populiste était enfin arrivé à ses fins, après des semaines de marchandage politique et de sophismes intéressés («comment interdire les prières de masse si les manifs continuent?»)

A l’occasion d’un énième vote nocturne et au prix d’une démission dans sa chancelante coalition, la majorité à la Knesset accouchait au forceps d’un amendement limitant drastiquement le droit de manifester devant sa résidence officielle rue de Balfour à Jérusalem, point de convergence de tous les griefs depuis le début de l’été, sous couvert d’un «état d’urgence sanitaire» dégainé pour l’occasion.

Désormais, les rassemblements anti-«Bibi», qui n’ont pas faibli depuis trois mois, ne sont autorisés que dans un périmètre de 1 kilomètre autour du domicile de chacun, officiellement pour freiner la propagation du Covid.
Mais si Netanyahu a enfin ramené un semblant de calme sous ses fenêtres en boutant ceux qu’il traite sans preuve d’«incubateurs du virus», il a contaminé tout un pays ulcéré par un reconfinement chaotique d’une même fièvre revendicatrice.

En réponse, les anti-«Bibi», qui avaient déjà pris l’habitude d’investir les ponts au-dessus des routes chaque samedi soir pour se faire voir des automobilistes, ont planté leurs drapeaux noirs sur chaque place et intersection possibles.

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A Tel-Aviv, redevenu centre de gravité du mouvement, les redoutées forces antiémeutes Yasam ont eu la main lourde face aux manifestants cherchant à tester les limites du périmètre autorisé. Journalistes dégagés à coups de poing, hipsters en tongs étranglés sur la voie publique et gamins à papillote jetés à terre dans les quartiers religieux: sur les réseaux, le week-end n’aura été qu’une litanie d’images de violence policière effarante.

Amir Ohana, ministre de la Sécurité intérieure et porte-flingue de Netanyahu, a quant à lui applaudi la  «retenue» de ses hommes.

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Tout le pays est «Balfour» donc, synonyme de «colère», marquant une évolution sémantique passionnante de ce nom associé étroitement à l’histoire d’Israël. Arthur Balfour, c’est d’abord ce Foreign Secretary britannique, qui, en 1917, signe l’acte de naissance d’un «foyer national juif» alors embryonnaire dans la Palestine moderne.

«Balfour», ensuite, ce sont des rues dans tout le pays. Et une plus précisément à Jérusalem, où logent depuis 1974 les Premiers ministres israéliens, dans ce qui était à l’origine la demeure cossue d’un marchand grec israélite.

Sous la mandature de son plus persistant locataire, Benyamin Netanyahu, «Balfour» a fini par désigner autant le siège du pouvoir que les abus de celui-ci, y compris les plus mesquins, symbolisés par l’hédonisme et la légendaire radinerie de «Bibi» et son épouse Sara. 

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Fraude aux frais de bouche, employés de maison maltraités, hectolitres de champagne «offerts» par des milliardaires: autant de scandales domestiques qui leur ont valu maintes plaintes et un procès chacun, dont celui en cours pour le Premier ministre.

Ces derniers mois, «Balfour» est venu à signifier la place aux abords de la résidence, agora attrape-tout et défouloir pour toutes les sensibilités allergiques au chef du Likud, dans un imaginaire brouillon oscillant entre prise de la Bastille et «Occupy».

«Balfour»: un vénérable nom marquant la résistance d’un autre Israël, loin de la dérive bibiste, veulent croire les idéalistes.

Guillaume Gendron (Tel-Aviv) -

06.10.20

Source: Libération