FREE PALESTINE
3 mars 2020

À Jérusalem, les Palestiniens dans les limbes de la démocratie

Source: Externe

Alors qu’Israël vote pour la troisième fois en moins d’un an, les Palestiniens de Jérusalem sont exclus du scrutin et pourraient se voir empêchés de voter lors d’hypothétiques élections palestiniennes. Sans voix, ils peinent à défendre leurs droits civils et politiques

 

Sur les murs détrempés de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, subsistent quelques graffitis, des dessins discrets pour dissuader les habitants palestiniens de participer aux élections municipales israéliennes qui ont eu lieu le 30 octobre 2018. Beaucoup ont été recouverts de peinture depuis, notamment ce slogan qui s’affichait en lettres arabes rouges: «Voter, c’est trahir».

Ici, comme dans le reste de Jérusalem-Est, personne ne vote. Alors que les Israéliens sont appelés aux urnes ce lundi pour la troisième fois en moins d’un an pour tenter de désigner un gouvernement, les Palestiniens de Jérusalem restent au bord de la route. L’immense majorité d’entre eux n’a pas la nationalité israélienne, mais un simple statut de résident. Ils n’ont donc pas le droit de vote, sauf pour les élections locales.

Mais presque tous boycottent de toute façon les urnes israéliennes: en 2018, lors des municipales à Jérusalem, à peine 2% des Palestiniens ont participé au scrutin.  

«Même si je pouvais voter, je ne le ferais pas», affirme Mohamed, 20 ans, qui refuse de donner son nom. «Ce n’est pas notre État. Notre État, c’est la Palestine. On n’a pas à voter; pour nous, c’est interdit.» Un interdit social: personne ici ne veut légitimer l’occupation israélienne de Jérusalem-Est depuis 1967 ni son annexion en 1980, qui n’a jamais été reconnue par la communauté internationale. Pour tous les Palestiniens, Jérusalem reste leur capitale.

Rapidement, l’un des amis de Mohamed s’écarte. Tous regardent autour d’eux. «Si je parle trop, je peux me faire arrêter», poursuit le jeune homme, fourrant ses mains dans son sweat à capuche.

À ses côtés, un autre acquiesce: «Pour une publication sur Facebook, tu peux être placé en détention», dit-il. Les organisations de défense des droits de l’homme ont en effet relevé l’arrestation de centaines de Palestiniens à Jérusalem et dans les territoires occupés pour des écrits sur les réseaux sociaux, sous l’accusation d’«incitation à la violence ou au terrorisme».  

«Dès qu’on exprime une opinion, si on rentre trop dans la politique… C’est risqué», commente Mohamed. Sous autorité israélienne mais pas citoyens israéliens, Palestiniens mais sans représentation, les habitants de Jérusalem-Est, annexés, nagent dans les limbes de la démocratie, dépourvus de pouvoir politique. «Personne ne nous aide», résume le jeune homme.

En 1996 et 2006, à la faveur des accords d’Oslo, les Hiérosolymites (habitants de Jérusalem-ndlr) ont pu participer aux élections législatives palestiniennes. Le dernier scrutin, il y a quatorze ans, ne permettait qu’à un peu plus de 6000 personnes sur les 100.000 électeurs palestiniens de la ville de pouvoir voter près de chez eux.

Les autres ont dû «passer les check-points militaires israéliens et traverser le mur pour glisser leur bulletin dans l’urne», dénonçait à l’époque l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). En effet, les autorités israéliennes n’avaient installé que six centres de vote dans la ville sainte.

Mais qu’en serait-il aujourd’hui? Bien que l’hypothèse de la tenue de nouvelles élections palestiniennes semble encore assez lointaine, du fait des dissensions politiques entre le Fatah qui contrôle la Cisjordanie occupée et le Hamas qui gouverne Gaza, elles pourraient de toute manière être interdites à Jérusalem.

L’Autorité palestinienne a demandé en décembre à Israël s’il permettrait que des bureaux de vote puissent être ouverts aux Hiérosolymites dans leur ville. Les autorités israéliennes ont pour l’instant opposé à cette requête un impérieux silence.

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«Même hisser un drapeau palestinien est prohibé»

En dehors des élections, le gouvernement palestinien basé à Ramallah, reconnu par la communauté internationale, n’a de toute façon pas le droit de cité à Jérusalem. Israël s’appuie sur une loi de 1994, dans la foulée des accords d’Oslo, pour interdire toute activité politique de l’Autorité palestinienne dans la ville.

«Leur crédo, c’est de dire que Jérusalem est israélienne, et ils y refusent donc toute autre entité souveraine», explique à Middle East Eye Zakaria Odeh, directeur de la Civic Coalition for Palestinian Rights, qui regroupe une vingtaine d’organisations et associations travaillant sur les droits de l’homme à Jérusalem.

«Les Israéliens restreignent toute activité à travers laquelle nous pouvons exprimer notre identité nationale, nos droits, notre présence.» Zakaria Odeh n’utilise pas Facebook: «Sous prétexte de chasser les ‘’incitations à la haine’’, les Israéliens harcèlent les Palestiniens de Jérusalem qui s’expriment trop sur les réseaux sociaux», rappelle-t-il, faisant écho aux craintes de Mohamed et ses amis.

«Depuis 2000, Israël a fait fermer 48 ONG palestiniennes ici», souligne-t-il, remarquant que le nombre d’arrestations et d’actions à l’encontre des entités palestiniennes à Jérusalem a augmenté au cours des trois dernières années.   

Il cite notamment l’exemple du gouverneur palestinien de la ville, Adnan Gheith, représentant de l’Autorité palestinienne à Jérusalem, un rôle essentiellement symbolique. Depuis sa prise de fonction en 2018, il a été arrêté à plusieurs reprises, empêché de se rendre à son bureau, qui se trouve du côté jérusalémite du mur de séparation et, finalement, interdit d’exercer toute activité à Jérusalem par les autorités israéliennes.

«Je continuerai à agir fermement contre quiconque essaie de défier notre souveraineté à Jérusalem»avait alors justifié Gilad Erdan, le ministre israélien de la Sécurité publique. Il reproche notamment au gouverneur de conduire des activités pour le compte de l’Autorité palestinienne à Jérusalem, ce qu’Israël interdit.

En parallèle, les autorités israéliennes ont fait fermer plusieurs institutions palestiniennes dans la ville en novembre dernier, dont le bureau de la direction de l’Éducation, en charge du suivi de la scolarité de près de 100.000 élèves et étudiants palestiniens. Le ministère de l’Éducation, à Ramallah, avait alors dénoncé une «étape supplémentaire dans la tentative de l’occupation [Israël] de contrôler le système éducatif à Jérusalem».

Interrogé par Middle East Eye, le ministère israélien de la Sécurité publique n’avait toujours pas répondu au moment de la publication. «Israël nous empêche de tisser tout lien avec l’Autorité palestinienne», renchérit Daoud al-Ghoul, directeur de Shafaq, un réseau d’associations culturelles à Jérusalem. Tout événement peut être interdit par les autorités israéliennes si elles suspectent une relation avec l’Autorité palestinienne et les organisations ne peuvent recevoir aucun financement du gouvernement palestinien.

«Même hisser un drapeau palestinien est prohibé», déplore-t-il. «Quant aux violations des droits de l’homme, de la liberté d’expression, de la liberté à participer à la vie culturelle… la liste est longue!»  

«Jérusalem est aujourd’hui coupée de la vie culturelle arabe, palestinienne», qui se développe de l’autre côté du mur de séparation,juge Daoud. Beaucoup d’«artistes palestiniens, de Gaza ou de Cisjordanie, ne peuvent pas venir se produire ici, faute de permis», rapporte-t-il.

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Pousser les Palestiniens dehors

Et la vieille ville de Jérusalem, autrefois centre de la vie culturelle et économique palestinienne, se meurt à petit feu. Quelque 72% des Palestiniens hiérosolymites vivent sous le seuil de pauvreté.

Accès à l’éducation, au logement, aux infrastructures, aux services… Les écarts entre les habitants israéliens et palestiniens sont énormes. Il suffit de passer d’un quartier piétonnisé de Jérusalem-Ouest à une étroite rue mal goudronnée de l’Est où s’entassent les ordures pour comprendre qu’il y a bien deux Jérusalem; la municipalité n’investit pas de la même manière partout. «Tout est fait pour forcer les Palestiniens à quitter Jérusalem», affirme Zakaria Odeh.

Depuis l’occupation de la ville en 1967, «l’un des principaux objectifs des Israéliens est de maintenir une majorité juive», ajoute-t-il. Une politique qui consiste surtout à compliquer la vie des quelque 341.000 Palestiniens qui vivent à Jérusalem, en les privant d’un statut juridique stable, en restreignant leur accès aux terrains et aux permis de construire.

Alors que les colonies illégales à Jérusalem-Est ne cessent de croître, seuls 13% des terres sont allouées aux habitants palestiniens. Beaucoup sont contraints de construire sans autorisation, faute de permis, quasiment impossibles à obtenir et hors de prix.

«Un tiers des Palestiniens vivent dans une maison construite sans permis», donc qui risque d’être démolie à tout moment, rappelle Zakaria Odeh. Mais surtout, les Palestiniens, qui ont toujours vécu à Jérusalem, depuis des générations, n’ont qu’un statut de résident dans cette ville, facilement révocable.

Pour continuer à pouvoir jouir de ce statut, parfois difficile à transmettre à ses enfants, les habitants arabes doivent en effet prouver que leur «centre de vie» est à Jérusalem. Cela signifie y avoir une résidence, ne pas vivre à l’étranger ou en-dehors de la ville trop longtemps, ne pas avoir d’autre nationalité… Plus de 14.000 Palestiniens ont ainsi perdu leur statut de résident de Jérusalem depuis l’occupation de la ville par Israël en 1967.  

Et depuis quelques années, les habitants palestiniens ont, de surcroît, une «obligation minimale de loyauté envers l’État d’Israël», jaugée par le ministre israélien de l’Intérieur qui prend lui-même la décision de révoquer le statut des personnes visées. «Pour ce que je suis en train de faire avec vous, ils pourraient décider de m’ôter ma résidence», prévient Zakaria Odeh.

C’est ce qui est arrivé notamment à quatre parlementaires palestiniens élus sous la bannière du Hamas en 2006. Human Rights Watch rappelle que «cela constitue des transferts forcés quand [les révocations] provoquent un déplacement vers d’autres parties des territoires palestiniens occupés, et des déportations quand le déplacement se produit vers l’extérieur du pays».

Quelle démocratie?

Une politique qui pousse certains Palestiniens à finir par demander la nationalité israélienne.

«Si je vais chercher des opportunités de travail à l’étranger, que je reste quelques années, ils peuvent me retirer mon statut de résident. Je serais alors obligé de venir voir ma famille comme si j’étais un touriste. Pour revenir dans ma propre ville», explique Hassan, 23 ans, qui a déposé une demande il y a quatre ans.

«C’était une décision difficile, ma famille n’est pas d’accord car cela affaiblit la cause palestinienne», poursuit le jeune homme. «Mais je n’ai pas le choix.»

La dernière fois qu’il a dû renouveler sa carte d’identité, il a dû démontrer qu’il habitait bien à Jérusalem, fournir plusieurs documents et engager une avocate – des coûts qu’il aimerait éviter en obtenant la nationalité israélienne. Le jeune Palestinien, qui navigue entre plusieurs jobs à Jérusalem, a toutefois peu d’espoir d’y parvenir: il a été arrêté, adolescent, et placé pendant six mois en détention.

L’an dernier, 1200 Palestiniens ont obtenu la nationalité à Jérusalem, contre quelque 362 en 2018. Mais les refus ont également augmenté: 1361 dossiers ont ainsi été rejetés en 2019 contre 340 l’année précédente.

«Ma vie est limitée de tous les côtés. Que ce soit pour le logement, le travail…», déplore Hassan. Et quand bien même il deviendrait citoyen israélien, cela ne le protégerait qu’en partie «du racisme qui est partout, de manière assez terrible», dénonce-t-il.

Zakaria Odeh, lui, est farouchement opposé à ce que les Palestiniens demandent la nationalité israélienne. «C’est une bombe à retardement», juge-t-il. «Dans le futur, les dirigeants israéliens pourront dire: regardez, la majorité des gens ici sont Israéliens, comment peut-on donner une partie de Jérusalem aux Palestiniens?»

De manière générale, les habitants de Jérusalem-Est considèrent qu’ils font partie de la nation palestinienne; pour eux, devenir citoyens de l’État qui les occupe revient à légitimer l’annexion israélienne de la ville, ce qu’ils refusent catégoriquement. Garder le statut de résident, malgré les contraintes que cela implique, fait ainsi partie de leur résistance à l’occupation israélienne.

Source: Externe

Ces dernières années, les autorités israéliennes tentent d’investir pour affaiblir cette résistance palestinienne au cœur de Jérusalem, explique Zakaria Odeh. En 2018, Israël a mis en place un plan pour «réduire le fossé entre l’est et l’ouest de Jérusalem». Parmi les principales mesures proposées, l’initiative met l’accent sur l’amélioration de l’accès à l’éducation et à l’emploi des Palestiniens.

La prospérité économique pour «gagner les gens et surtout les jeunes pour les faire taire», souligne Zakaria Odeh, citant un programme qui facilite l’entrée des étudiants palestiniens à l’Université hébraïque et les dispense de frais de scolarité. Ces jeunes qui, avant, étaient tentés d’étudier dans leur langue, l’arabe, dans des facultés palestiniennes, commencent ainsi à considérer l’option d’étudier en hébreu, côté israélien.

Mais en parallèle, la répression se poursuit aussi, observe l’activiste, citant l’exemple du quartier d’Issawiya, où la police procède à des intrusions musclées quasi quotidiennes depuis mai 2019 – en réponse, dit-elle, à des violences. Un jeune Palestinien a été tué, plus de 300 autres blessés, des centaines ont été arrêtés, les routes menant au quartier sont bloquées, des magasins perquisitionnés…

Les habitants dénoncent un usage excessif de la force par les autorités israéliennes. Le 15 février dernier, un enfant a perdu un œil, après qu’un policier lui a tiré dessus avec une balle en acier recouvert de caoutchouc. La police a annoncé avoir ouvert une enquête.

Ces politiques à l’encontre des Palestiniens de Jérusalem ne changeront pas, quelle que soit l’issue du scrutin, jugent les habitants. «Je ne pense pas qu’il y ait des Palestiniens qui considèrent Israël comme un État démocratique. Nous le voyons au quotidien: ce n’est pas une démocratie», lâche Daoud al-Ghoul. «C’est une démocratie pour les juifs uniquement – et encore.»

Clothlde Mraffko -

02.03.20

Source: MEE

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