Quel bilan pour le mouvement BDS en 2019?
L’année qui vient de s’écouler a été témoin du développement régulier de la campagne non-violente de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), qui a pour objectif de contraindre Israël à respecter les droits des Palestiniens
Le mouvement du BDS a enregistré des victoires significatives en 2019, malgré l’accumulation des diffamations, des attaques ciblées et des tentatives directes de le criminaliser.
Des États-Unis au Canada en passant par l’Europe, les gouvernements ont soutenu la campagne que mène Israël depuis des années, pour faire passer le militantisme pour les droits des Palestiniens pour de l’antisémitisme, afin de mettre fin à la campagne BDS.
En 2019, des rapports d’enquête ont révélé les efforts anti-BDS d’Israël, et ont dénoncé les réseaux d’espions israéliens et la surveillance de haute technologie financée et orchestrée par le ministère israélien des Affaires stratégiques. Ce ministère se consacre à une «guerre» mondiale contre le BDS et tente de dissimuler son implication en utilisant des groupes de façade qui «dissimulent leur lien avec l’État».
En février, des articles parus dans le New Yorker ont révélé que Psy-Group, une société de renseignement privée israélienne aujourd’hui disparue, avait été payé pour espionner des étudiants et des militants américains engagés dans le BDS.
Confirmant ce que The Electronic Intifada rapporte depuis des années, les médias israéliens ont rapporté en juin que le Mossad – la brutale agence d’espionnage israélienne – est également impliqué dans la guerre contre le BDS. Mais les militants palestiniens et internationaux des droits de l’homme ont résisté à tout.
L’année a commencé par des attaques incessantes contre Ilhan Omar, une membre du Congrès américain qui a dénoncé l’influence du lobby israélien sur la politique américaine.
Ilhan Omar a été attaquée non seulement par des Républicains de droite mais aussi par des membres de son propre parti démocrate qui l’ont accusée à tort d’antisémitisme pour avoir critiqué les relations entre les États-Unis et Israël. Malgré ces calomnies, I.Omar a présenté en juillet une résolution défendant le droit au boycott et a explicitement offert son soutien au BDS. Le refus d’Omar de garder un silence complice sur Israël et le droit de la société civile de soutenir le boycott reflète la farouche volonté des militants du monde entier d’accentuer leur implication.
Voici quelques-unes des plus grandes victoires pour les droits des Palestiniens que The Electronic Intifada a répertoriées en 2019:
Les experts juridiques de l’UE et la Cour de justice européenne ont décidé cette année que les marchandises provenant des colonies israéliennes installées sur les terres palestiniennes occupées doivent être étiquetées comme provenant des colonies. Cette décision encourage les efforts déployés en Europe pour restreindre ou interdire le commerce des marchandises provenant des colonies.
En janvier, un projet de loi visant à interdire le commerce de marchandises provenant des colonies israéliennes a été adopté par la chambre basse du parlement irlandais, ce qui constitue une étape importante de son intégration dans la loi. En été, malgré les pressions exercées par Israël et ses lobbyistes – dont certains sont membres du Congrès américain – pour contrecarrer le projet de loi, le soutien à ce dernier est resté solide parmi les représentants élus à Dublin.
En octobre, la capitale norvégienne, Oslo, a interdit les biens et services des colonies israéliennes dans les marchés publics. Les partis politiques de gauche qui dirigent la ville ont promis que «les biens et services produits sur un territoire occupé en violation du droit international» seraient exclus des marchés publics.
Comme la Cour européenne de justice, la Cour fédérale du Canada a décidé en juillet que les vins produits dans les colonies installées sur les terres palestiniennes occupées ne pouvaient plus porter la mention 'Fabriqué en Israël'.
Dans une déclaration qui souligne le droit des citoyens à s’engager dans des boycotts, la Cour a stipulé que les personnes souhaitant exprimer leurs opinions politiques à travers leurs achats «doivent disposer des informations exactes quant à la source des produits en question».
Immédiatement après la décision, les lobbies israéliens et le gouvernement israélien ont commencé à faire pression sur le gouvernement de Justin Trudeau pour qu’il fasse appel, ce qu’il a fait en septembre. Les militants et les experts juridiques continuent de se battre contre l’appel.
En mai, de grandes sociétés internationales se sont retirées d’offres lucratives pour l’extension du tramway des colons israéliens. Israël construit le tramway de Jérusalem pour relier les colonies de Cisjordanie occupée entre elles et à Jérusalem-Est occupée. Le fabricant de tramways français Alstom s’est retiré d’un consortium d’appel d’offres pour l’extension du tramway des colons, invoquant des soucis liés aux droits humains.
Le capotage de l’appel d’offres impliquant Alstom, a obligé une autre entreprise européenne – le concessionnaire barcelonais Moventia – à se retirer aussi, car elle faisait partie du même consortium.
Le géant canadien de l’ingénierie Bombardier s’est également retiré de l’appel d’offres pour l’extension et l’exploitation du tramway – tout comme l’australien Macquarie et l’allemand Siemens.
Un consortium mené par la Grèce n’a pas non plus réussi à présenter une offre pour l’extension du tramway, malgré le soutien important du gouvernement grec. Il a rencontré une trop forte opposition des travailleurs grecs.
Le consortium qui a remporté l’appel d’offre comprend le fabricant de trains CAF, basé en Espagne, mais les maires, les travailleurs et les militants du Pays basque continuent de se battre pour empêcher toute implication dans le tramway de l’Etat d’apartheid.
Un grand syndicat et une équipe professionnelle de basket-ball américaine ont cessé de faire des affaires avec des entreprises qui travaillaient avec l’armée israélienne, et des militants britanniques ont bloqué des usines d’armement israéliennes.
Au cours de l’été, 'Unite the Union' – le deuxième plus grand syndicat britannique et irlandais, qui compte plus d’un million de membres – a décidé de cesser d’acheter des produits Hewlett-Packard.
Pour commémorer les cinq ans des attaques israéliennes de 2014 sur Gaza – qui ont tué plus de 2200 Palestiniens, dont 550 enfants – des militants britanniques ont organisé une manifestation de trois jours début juillet. Ils ont occupé le toit de l’usine d’armes Elbit-Ferranti, propriété d’Israël, à Oldham, près de Manchester. Ils ont appelé le gouvernement britannique à lui imposer un embargo sur les armes et à fermer les usines israéliennes Elbit basées au Royaume-Uni.
Elbit est le plus grand producteur d’armes d’Israël. La compagnie dit que ses drones sont «la colonne vertébrale» de la flotte israélienne. A cause de la protestation, l’usine a dû fermer pendant deux jours, selon les militants. Un mois plus tard, les militants de Sandwich ont obligé une usine appartenant à Elbit à fermer pendant deux autres jours.
Et à Portland (Oregon), l’équipe de basket-ball des 'Portland Trail Blazers' a coupé les liens avec 'Eupold & Stevens', un fabricant de viseurs d’armes qui fournit les armées américaine et israélienne. Les Blazers avaient subi des pressions pour cesser de se faire sponsoriser par cette entreprise basée en Oregon qui vend à Israël du matériel servant à tuer et mutiler des manifestants palestiniens non armés à Gaza.
Au cours de l’été, les Palestiniens ont organisé des campagnes internationales de boycott appelant la marque de vêtements de sport 'Puma' à mettre fin à son soutien aux équipes de football basées dans les colonies israéliennes.
Aux États-Unis, les défenseurs des droits civils ont tenu bon et ont remporté d’importantes victoires juridiques contre les députés des États et du gouvernement fédéral et les mesures draconiennes qu’ils mettent en place pour protéger Israël contre les campagnes de boycott.
En avril, un tribunal fédéral du Texas a émis une injonction temporaire contre la loi votée par l’Etat en 2017 qui obligeait les employés et les entrepreneurs de l’État à jurer qu’ils ne boycotteraient pas Israël.
La loi du Texas fait partie d’une entreprise nationale pour stigmatiser et mettre hors la loi les campagnes de BDS. Sous la pression d’Israël et de son lobby, 27 États américains ont adopté des mesures anti-BDS. L’injonction temporaire du tribunal fédéral texan fait partie d’une série de décisions similaires de juges fédéraux contre les lois anti-BDS, en Arizona et au Kansas, qui constituent des violations du Premier Amendement. Des poursuites sont également en cours contre les lois anti-BDS au Maryland et en Arkansas.
Un sondage montre que les Américains rejettent massivement les lois qui punissent les partisans du BDS. Plus de 70% des personnes interrogées sont opposées aux lois qui considèrent le boycott comme une violation du droit à la liberté d’expression. Des projets de lois anti-BDS du Congrès se heurtent à une forte opposition des groupes de défense des libertés civiles.
Au Canada, le conseil municipal de Calgary a rejeté la demande de groupes de pression israéliens de qualifier d’antisémitisme les critiques à l’égard d’Israël, y compris le soutien au boycott. Les dirigeants de la ville ont rejeté en novembre un amendement qui prétendait lutter contre l’antisémitisme en assimilant le discours de la défense des droits des Palestiniens à du sectarisme anti-juif.
Face aux attaques impitoyables des députés locaux et fédéraux contre les étudiants – et contre les programmes scolaires des États qui osent mentionner les campagnes en faveur des droits des Palestiniens – le militantisme en faveur du boycott a continué de se développer en 2019 sur les campus et dans les universités.
En août, après une bataille de trois ans, les étudiants de l’université Fordham ont remporté une victoire juridique historique contre l’interdiction par l’université d’un chapter des Étudiants pour la justice en Palestine. Quand ils avaient voulu lancer leurs activités en 2015, les étudiants avaient subi un an d’enquête. Ils avaient été interrogés à plusieurs reprises sur leurs opinions politiques, leurs affiliations et leurs opinions sur le BDS.
En février, la liberté académique a enregistré une autre grande victoire quand un juge fédéral a refusé que l’Association des Études Américaines soit poursuivie pour avoir soutenu en 2013 le boycott des institutions académiques israéliennes.
Les étudiants de l’université Brown, dans le Rhode Island, ont été les premiers étudiants d’une institution de l’Ivy League à obtenir par référendum que l’université cesse d’investir dans des entreprises complices des violations israéliennes des droits humains. Le vote de Brown fait suite à une résolution similaire adoptée par les étudiants du Swarthmore College au début du mois de mars.
En février, des étudiants de l’Université de Manchester, au Royaume-Uni, se sont invités dans une réunion du conseil d’administration pour exiger l’arrêt des investissements dans Caterpillar, une entreprise impliquée dans les crimes de guerre israéliens. Caterpillar fournit à Israël des bulldozers que l’armée utilise pour démolir les maisons palestiniennes.
Divers artistes ont non seulement arrêté de donner des concerts en Israël, mais ont décidé de ne plus passer sous silence la violence d’Israël.
En juin, le rappeur américain Talib Kweli a refusé de céder aux pressions de deux festivals allemands qui voulaient qu’il dénonce le mouvement BDS. Il a été désinvité de ces festivals parce qu’il a refusé de renier son soutien aux droits des Palestiniens. Kweli a déclaré qu’il ne «s’autocensurerait pas et ne mentirait pas sur le BDS en change d’un chèque».
La chambre basse du parlement allemand, le Bundestag, avait adopté en mai une résolution assimilant mensongèrement le BDS à l’antisémitisme. La diffamation contre un mouvement non-violent qui rejette toute forme de racisme a suscité des protestations et des appels des Palestiniens de Cisjordanie occupée et de la bande de Gaza à annuler des spectacles en solidarité avec Kweli.
Dans toute l’Europe, les gens ont répondu à l’appel palestinien de boycotter l’Eurovision qui s’est tenu à Tel-Aviv en mai. Des dizaines de groupes LGBTQ avaient appelé au boycott de l’Eurovision, et beaucoup ont organisé, à la place, des fêtes «sans apartheid» lors de la soirée de clôture de l’Eurovision.
Avant l’Eurovision, plus de 100 artistes français avaient dénoncé sa tenue à Tel-Aviv, en citant les crimes d’Israël, notamment la destruction délibérée en 2018 du principal lieu de représentation de Gaza, le Centre culturel Said al-Mishal.
Des dizaines de vétérans du mouvement irlandais contre l’apartheid sud-africain ont amplifié les appels à la chanteuse irlandaise, Sarah McTernan, pour qu’elle se retire de l’Eurovision. Des militants à Genève ont remis au siège de l’Union européenne de radio-télévision, l’organisme qui organise le concours, une pétition de 136.000 signatures contre la tenue de l’Eurovision à Tel-Aviv.
L’Eurovision n’a pas été à la hauteur des espoirs d’Israël qui espérait un afflux de touristes à Tel-Aviv. Des milliers de billets sont restés invendus, obligeant les promoteurs à donner les places gratuitement.
Et en juin, le prix Nobel de chimie George P. Smith, ainsi que 19 autres scientifiques, ont signé un appel aux étudiants et à leurs mentors pour qu’ils boycottent les Olympiades internationales de physique de juillet en Israël, «pour défendre les droits de l’homme des jeunes élèves et étudiants palestiniens, y compris leur droit à l’éducation».
Bravo aux militants pour les victoires de 2019, en attendant celles de 2020 qui seront certainement encore plus nombreuses.
Nora Barrows-Friedman -
15.01.20
Source: Chronique de Palestine