L’"amitié" israélienne, un baiser de Judas pour les Kurdes
Les messages de compassion, les appels à la solidarité et les communiqués de soutien adressés aux Kurdes dominent l’ambiance des médias israéliens et américains sionistes depuis l’invasion du Rojava par l’armée turque
Le 10 octobre, juste un jour après le début de l’opération 'Source de la paix' au nord-est de la Syrie, le Premier ministre d’Israël a dénoncé cette opération dans les zones sous contrôle de l’YPG et déclaré que l’État hébreu était prêt à offrir des aides humanitaires aux Kurdes syriens.
À cette occasion, le bureau de Benjamin Netanyahu a émis ce communiqué officiel:
«Israël condamne fermement l’invasion turque dans les zones kurdes en Syrie et met en garde contre le nettoyage ethnique des Kurdes par la Turquie et ses mandataires. Israël est prêt à apporter une aide humanitaire au brave peuple kurde».
Gilad Erdan, ministre israélien de la Sécurité publique et des Affaires stratégiques a décrit le président Erdogan comme un «raciste antisémite qui soutient le terrorisme et massacre les Kurdes».
Certaines figures de la droite israélienne ont parlé même de la nécessité de la création d’un Etat indépendant pour les Kurdes. Le 9 octobre, la chef du parti 'Yamina', Ayelet Shaked, a fait une déclaration en soutien aux Kurdes syriens.
Cette ex-ministre de la justice, qui est descendante d’une famille juive irakienne, avait déjà cette réputation de défendre les idées séparatistes kurdes.
Cette fois-ci, cette ancienne membre du parti Likud a écrit sur ses pages Twitter:
«Notre mémoire nationale exige que nous nous mettions contre les violences dirigées vers une autre nation. C’est le cas des violences turques contre le peuple kurde dans le nord de la Syrie. Je l’ai dit dans le passé: c’est dans l’intérêt d’Israël et des États-Unis, de la sécurité et de la stabilité dans la région, d’établir un État kurde. Les Kurdes sont la plus grande nation du monde sans pays, avec une population d’environ 35 millions d’habitants. C’est un peuple ancien, qui partage un lien historique particulier avec le peuple juif. Les Kurdes en général, et en particulier ceux qui vivent en Turquie et dans le nord de la Syrie, constituent le peuple le plus progressiste et le plus occidentalisé dans la région. Ils étaient les principales forces, formées sous la direction conjointe d’hommes et de femmes, qui ont combattu le groupe État islamique et subi des milliers de morts. Le monde occidental doit les défendre».
Une telle prise de position de Mme Shaked viole manifestement les droits internationaux, les protocoles diplomatiques et les conventions territoriales signés par tous les pays membres de l’ONU. Cette formule utilisée par cette politicienne de droite raciste israélienne qui parle de la nécessité d’«Établir un État Kurde» met en cause la souveraineté territoriale de 4 pays de la régions: la Turquie, l’Iran, l’Iraq et la Syrie.
Peut-être que pour un pays comme Israël qui a, depuis sa création, pour habitude de violer les droits internationaux concernant ses voisins, une telle prise de position de Mme Shaked ne doit-elle pas nous surprendre!
Et cette tendance pro-kurde ne se limitait pas seulement aux autorités étatiques d’Israël. Dès les premiers jours de l’opération turque, les habitants de Tel-Aviv et des autres villes de ce pays ont organisé des manifestations en vue de montrer leur solidarité à l’égard des Kurdes syriens.
Les usagers israéliens des réseaux sociaux aussi ont créé un véritable tollé pour condamner la Turquie. Ils avaient même recours aux fake news et aux fausses vidéos pour dramatiser encore plus la situation des Kurdes en Syrie. Les medias sionistes américains ont diffusé des vidéos issues des compétitions de shooting aux États-Unis, pour les présenter comme des scènes de violences causées par les soldats turcs.
Mais quel est le secret derrière ces tendances pro-kurdes des autorités israéliennes. Comment Israël, qui ne reconnaît pas l’indépendance d’un état légitime palestinien dans les terres qui appartiennent conventionnellement au peuple palestinien, change-t-il soudainement de politique et porte un masque de protecteur des droits humains?
Pour répondre à cette question, il faut remonter un peu dans l’histoire des rapports entre Israël et les communautés kurdes du Moyen-Orient. Les liens entre Israël et les Kurdes sont complexes et mystérieux. La situation est compliquée par le fait que chacune des quatre communautés kurdes de la région (en Turquie, en Iran, en Irak et en Syrie) a une approche politique différente vis-à-vis d’Israël.
De plus, Israël et les Kurdes n’ont pas de frontières communes, seulement ils ont parfois des ennemis communs. Sarah Perez, Docteur en science politique et spécialiste du Proche-Orient affirme dans un article du site ELNET France:
«Nombre de nationalistes kurdes aiment à penser qu’Israël et le Kurdistan ont une destinée commune. Du reste, l’idée que l’indépendance du Kurdistan équivaille à la création d’un «deuxième Israël» est un leitmotiv des discours des opposants, évoqué le 17 septembre par le vice-président irakien, Nouri Al-Maliki. La relation spéciale entre Israël et le Kurdistan remonte à 1948, lorsque le jeune État hébreu cherche à sortir de son isolement géopolitique régional – conformément à la doctrine de la périphérie de Ben Gurion – en essayant de nouer des alliances avec des forces non arabes du Proche-Orient, notamment les chrétiens maronites du Liban ou le Shah d’Iran. Au début des années 1950, quelque 30000 juifs ont pu quitter le Kurdistan et l’Azerbaïdjan iranien pour émigrer en Israël où ils forment aujourd’hui une communauté de 130 000 personnes».
Pourtant certains experts parlent d’une hypocrisie de la part d’Israël quand ce pays parle de la cause Kurde. Parce que l’État hébreux d’un côté se montre pro-kurde, mais de l’autre côté vend des armes aux ennemies jurés des Kurdes.
En 2002, la Turquie a également signé un accord secret avec les industries militaires israéliennes pour la mise à niveau de 170 chars turcs M-60A1. En 2005, 'Israël Aircraft Industries' et la société militaire israélienne 'Elbit Systems' vendent 3 drones à l’armée turque dans le cadre d’un contrat de 183 millions de dollars.
Dans la même année les IDF ont décidé de doter la Turquie d’équipements de surveillance pour mieux protéger sa frontière irakienne. Le site israélien réformiste +972 révèle dans un article cette politique hypocrite d’Israël par rapport aux Kurdes:
«Comment peut-on expliquer ce soutien verbal d’Israël au peuple kurde, alors qu’il arme simultanément l’une des principales forces opprimant le peuple kurde? La réponse est assez simple: les autorités israéliennes ont soutenu le peuple kurde quand cela leur convenait et soutenu leurs oppresseurs lorsque cela servait mieux les intérêts politiques et économiques d’Israël. Parfois, par exemple durant les années 2000, Israël a fait les deux à la fois. Si soutenir les autorités kurdes en Irak sert l’intérêt d’Israël d’affaiblir l’influence syrienne et iranienne dans la région, c’est formidable. Si Israël peut tirer profit de la vente de drones aux Turcs, y compris les drones Heron utilisés lors de l’invasion turque du nord de l’Irak kurde en 2008, c’est formidable».
Donc, l’on peut conclure que les Kurdes ne peuvent pas compter tellement sur le soutien israélien. Le retrait américain en octobre 2019 nous a appris que cette idée de certains leaders kurdes qui croient qu’ils peuvent profiter du lobbying israélien aux États-Unis pour défendre la cause Kurde dans le Moyen-Orient, n’est qu’un rêve.
Israël aussi doit savoir quelque chose d’important à propos des idées des Kurdes au Moyen-Orient. La majorité des Kurdes sont des musulmans antisionistes. En ce qui concerne les Kurdes iraniens, ces sunnites pratiquants n’éprouvent aucune sympathie pour l’Etat d’Israël et le considèrent comme l’ennemi numéro 1 de l’Islam.
Les Kurdes en Turquie sont plutôt concentrés sur les conflits internes contre Ankara. Israël n’osera jamais s’approcher trop du PKK car il ne veut pas provoquer la fureur de la puissante armée turque dont il connaît la force. Et les Kurdes en Syrie sont trop faibles pour le moment pour être considérés comme des partenaires stratégiques d’Israël. Leur faiblesse militaire a été dévoilée lors de l’opération «Source de la Paix» de la Turquie. Ils sont complètement dominés par les autres protagonistes nationaux et internationaux sur la scène politique de la Syrie.
Peut-être seulement le Kurdistan irakien peut jouer le rôle d’une base d’action pour Israël dans le Moyen-Orient. Depuis les années 1960, les Israéliens sont actifs dans ce territoire du nord de l’Irak. Ariel Sharon avait envoyé des commandos du Mossad au Kurdistan irakien pour espionner dans les pays voisins et pour entraîner les forces kurdes.
Mais la perspective des événements en Iraq et l’échec de la dernière tentative d’indépendance en 2017 montrent que les Kurdes irakiens ne peuvent pas compter sur un soutien concret de la part d’Israël.
Israël, affaibli moralement par la crise palestinienne, perd de plus en plus la sympathie des peuples et des politiciens européens. Israël n’a pas cette légitimité en vue de jouer le rôle de soutien pour les communautés kurdes de la région.
Les kurdes musulmans sunnites savent qu’en s’approchant des sionistes anti-musulmans, ils vont perdre leur poids chez les nations musulmanes du Moyen-Orient et seront accusés de trahison par les autres membres de la Ummah.
Bianca Anton -
01.11.19
Source: Actuarabe