Pourquoi démettre Trump et Netanyahu serait un placebo et non un remède à la maladie
Que ce soit aux États-Unis ou en Israël, il existe un mythe selon lequel si nous pouvions nous débarrasser de certains dirigeants, notamment Trump et Netanyahu, alors tout redeviendrait normal, comme au bon vieux temps (en réalité, pour certains, mais pas pour d’autres)
«Que sommes-nous devenus?» demandent les gens, éludant ainsi l’histoire coloniale de peuplement des deux pays.
Cette amnésie historique découle de plusieurs facteurs. Elle satisfait le désir humain de désigner un méchant et de lui faire porter le chapeau plutôt que de faire l’effort plus exigeant de comprendre que c’est le système capitaliste colonial qu’il faut changer.
En aucun cas cette analyse ne nie les dégâts causés par les deux dirigeants. En revanche, ce qu’elle met en lumière c’est la façon dont cette question entretient le mythe fondateur des deux pays.
Le sionisme en effet découle non seulement d’une idéologie née du nationalisme du XIXè siècle mais présente aussi des similitudes avec des Etats colonisateurs établis aux Amériques. Dans ce cas de figure, les deux pays ont cherché à présenter la terre investie comme vierge, prête à être fertilisée et mise en valeur.
Au lieu de «civiliser» la population indigène ou d’utiliser sa force de travail, comme cela fut fait par d’autres entreprises coloniales, le problème pour les Israéliens consistait à trouver une terre «vide» qui pouvait être transformée en foyer juif, bien que cela ait signifié d’effacer de la carte 689.272 résidents par le biais d’une révision historique majeure.
Comme la prétendue «terre vierge» de l’Ouest américain, ce trope sert à passer sous silence la Nakba (catastrophe) de 1948 de la même façon que la version américaine fait l’impasse sur l’extermination et/ou le déplacement de la population indigène d’Amérique.
Dans sa «Préface» au livre de Ramzy Baroud, Last Earth: A Palestine Story (2018), Ilan Pappe fait référence à Al-Nakba al Mustamera, la Nakba en cours, terme couramment utilisé pour la période post 1948. En outre, il explique que des chapitres discrets de l’histoire de la Palestine, tels que le désastre de 1948, ne sont pas seulement des évènements passés, mais constituent au contraire un long récit de massacres, de confiscation de terres, de déplacements et d’assassinats.
S’appuyant sur Patrick Wolfe, qui a «adapté et appliqué» le paradigme colonial de peuplement à la Palestine, Pappe explique que le projet colonial est toujours en cours, de même que la résistance palestinienne à ce projet.
De la même façon, Roxanne Dunbar-Ortiz écrit dans An Indigenous History of the United States (2014) que l’histoire des Etats-Unis est également une histoire de colonialisme de peuplement, à savoir la création d’un pays fondé sur le principe de la suprématie blanche, sur le recours généralisé à l’esclavage africain, et sur une stratégie de «génocide et de vol de terres» qui ont dépossédé de ses droits la population autochtone (p.2).
Elle ajoute que «ceux qui sont en quête d’une histoire à la fin optimiste» (p.2), ou qui, pour servir des objectifs actuels, cherchent un âge d’or dans le passé de l’Amérique, pourraient chercher longtemps car ni cette fin ni cette époque dorée n’existe.
Trump et Netanyahu, ne sont, donc, que les symptômes, tandis que le sionisme, le colonialisme de peuplement, le néolibéralisme, le capitalisme et le racisme sont tous des éléments de la maladie.
Destituer Trump n’entraînera pas l’avènement d’un monde meilleur. Hamid Dabashi, écrivait dans Al-Jazeera en 2015 déjà, que «Trump est un symptôme et non la maladie».
En bref, Dabashi ajoute, «c’est un leurre, une diversion si scandaleuse, si révoltante qu’elle submerge et masque la véritable maladie».
Le problème, conclut-il, «est fermement ancré dans la culture politique d’un pays qui a commencé son existence par l’assassinat à grande échelle des Indiens d’Amérique, et a poursuivi son histoire par l’esclavage systématique des Africains américains, et qui plus récemment a ordonné d’un trait de plume l’incarcération de la population américaine d’origine japonaise dans des camps de concentration (de rétention) pendant la deuxième guerre mondiale».
Écrivant quatre ans plus tard, Philip Weiss explore une variation du même mantra utilisé par les sionistes progressistes pour persuader leurs frères juifs de revenir dans le giron démocrate pro Israël.
Selon Weiss, leur argumentation est à peu près la suivante: «La seule chose à faire pour mettre fin à la désaffection du parti démocrate à l’égard d’Israël consiste à se débarrasser de Netanyahu, et de Trump».
Tout comme ceux qui font endosser toute la responsabilité des problèmes de l’Amérique à Donald Trump, les sionistes progressistes attribuent aux actions d’une seule personne la culpabilité des péchés d’Israël.
«Ses péchés sont innombrables et les dégât qu’il a causés incommensurables, » écrit Gideon Levy, «et ce serait formidable de le faire sortir de notre vie, mais le blâmer pour tout c’est se duper et se dérober à ses responsabilités».
Pourtant, Levy dénonce les «valeurs et conceptions» qui dit-il ont été inculquées ici pendant des décennies de sionisme, mais pas les valeurs de suprématie blanche et de nettoyage ethnique qui sont inhérents au sionisme depuis 1948.
Levy appelle de ses vœux un Mandela qui mènerait une révolution des valeurs de la nation, plutôt qu’une révolution qui démantèlerait l’état sioniste.
Le racisme dans les deux pays n’est pas une affaire individuelle mais au contraire est intégré dans les institutions de chaque Etat colonial de peuplement.
Lorsque George Bush a donné une pastille contre la toux à Michelle Obama aux funérailles de John McCain, ce geste fut considéré par la plupart des gens comme un moment de civilité, du genre main tendue vers l’autre bord qui manque terriblement au sein du gouvernement aujourd’hui.
Le passé de criminel de guerre de George Bush responsable de la mort de milliers de personnes en Irak et Afghanistan après le 11 septembre fut totalement gommé par le désir de croire qu’il suffit d’être gentils les uns envers les autres pour faire échec au racisme du régime Trump.
On pourrait dire la même chose de la pratique de «normalisation» par les Israéliens définie par la Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel (PACBI) comme suit: il est utile de voir la normalisation en tant que «colonisation de l’esprit», qui fait que le sujet opprimé est amené à croire que la réalité de l’oppresseur est la seule réalité «normale» à laquelle il faut souscrire, et que l’oppression est un fait de la vie avec lequel il faut composer.
Ceux qui s’engagent dans la normalisation soit font abstraction de cette oppression soit l’acceptent comme étant un statu quo avec lequel il est possible de vivre.
Soucieux de camoufler ses violations du droit international et des droits de l’homme, Israël tente de redorer son blason ou de se présenter comme normal – «éclairé» même – par le biais d’un ensemble complexe de relations et d’activités englobant les domaines hi-tech, culturel, légal, LGBT et autres.
Frederick Douglass, l’esclave fugitif devenu homme d’Etat au XIXè siècle, a dit que le pouvoir ne cède pas le pouvoir sans livrer bataille. Qu’il s’agisse du démantèlement de l’Etat sioniste comme prôné par la One State Foundation, la décolonisation des Amériques telle que exposée par la Red Nation, ou toutes sortes de luttes révolutionnaires non menées sous le couvert de l’entreprise colonialiste, il ne peut y avoir de changement significatif en démettant une personne de sa fonction de dirigeant ni en prônant l’unité quand toutes les parties ne partagent pas un pouvoir égal.
A une époque où les gouvernements à la fois d’Israël et des États-Unis s’évertuent à gommer le passé, il est important de couper court aux mythes fondateurs de chaque pays afin de tracer clairement une voie pour progresser vers un Etat plus égalitaire.
Benay Blend -
24.10.19
Source: Chronique de Palestine