A Gaza, le Jihad islamique toujours d’attaque
Depuis quelques mois, la faction palestinienne qui érige la lutte armée en priorité absolue a renforcé son assise auprès de la population. Rencontre avec un des leaders d’un mouvement opaque à l’écart des tentatives de médiation entre Israël et le Hamas
«Souviens-toi de ce bâtiment: au prochain clash, il prend une bombe», annonce l’homme, pouce sur le bouton d’appel de l’ascenseur, dans l’une de ces hautes tours lépreuses qui encerclent l’hôpital Al-Shifa de Gaza. Le générateur bourdonne. Quelques minutes plus tard, on trouve une porte ornée d’un autocollant jauni («Centre des médias») et derrière, des bureaux spartiates, des climatiseurs poussés à fond et Khaled al-Batsh, le plus visible des chefs officieux du politburo du Jihad islamique palestinien (JIP) à Gaza.
A l’exception de son nouveau leader, Ziyad al-Nakhalah, en exil entre Beyrouth et Damas, l’organigramme du mouvement reste nébuleux. Comme ceux qui ont ouvert la porte, Al-Batsh (barbe courte, lunettes sur le haut du front) se présente pieds nus.
A Gaza, l’étiquette liée aux chaussures a longtemps été vecteur de messages subliminaux. Lors de la guerre fratricide de 2007 entre factions pour le contrôle de l’enclave, on disait que les pontes du Fatah avaient des souliers cirés, symbole de leur corruption, quand ceux du Hamas portaient de simples sandales, signe de leur prétendue piété.
«Dans la psyché palestinienne, le Jihad islamique, c’est le Hamas version puriste», décrypte Tareq Baconi, chercheur à l’International Crisis Group.
Au cours des derniers mois, la faction islamiste palestinienne - fondée dans les années 80 à Gaza, en parallèle du Hamas, et considérée comme groupe terroriste par Israël, l’Union européenne et les Etats-Unis - s’est placée aux avant-postes de ce que les analystes israéliens appellent «la guerre aux nombreux rounds», en référence aux accès de violence qui, à Gaza, ont ponctué les quinze derniers mois depuis le début de la «Marche du retour», causant la mort de plus de 300 Palestiniens et de 5 Israéliens.
Au côté du Hamas, le JIP a pris une large part dans les centaines de tirs de roquettes vers l’Etat hébreu. La plupart du temps lors d’efforts conjointement assumés et revendiqués; parfois de sa propre initiative, sans s’en réclamer clairement, forçant le Hamas à faire feu à son tour et à en subir les conséquences, car Tsahal bombarde systématiquement des positions du mouvement islamiste après chaque incident, le tenant pour responsable de toute attaque.
Alors qu’Israël et le Hamas tentent toujours, via les médiateurs égyptiens et onusiens, de parapher officieusement une trêve de longue durée, le rôle du JIP, jusqu’alors tombé quelque peu dans l’oubli, trouble les spécialistes de la région. «La Vraie Menace» de Gaza, comme le titrait le Yediot Aharonot, l’un des principaux tabloïds israéliens? Jumeau «incontrôlable» du Hamas sous la férule du dogmatique faucon Al-Nakhalah ou exécutant des basses œuvres des maîtres de Gaza jouant double jeu?
«Arrogance»
Le rôle de Téhéran? Une question «stupide», répond Khaled al-Batsh: «Comme si l’Iran, avec sa grande armée, ses avions et sa marine, avait besoin de nous… Nous ne sommes le fusil de personne, ni des mercenaires pour le compte d’étrangers. Nous sommes un mouvement de libération national indépendant, indigène».
La suite de l’entretien consiste en un rabâchage des principes fossilisés du mouvement, double idéologique du Hamas dans sa volonté de remplacer Israël par un régime islamique, mais en désaccord sur les priorités, le JIP plaçant la lutte armée avant toute chose. Que ce soit la gestion des affaires courantes, la négociation ou le processus démocratique. «Il y a ceux qui pensent qu’on peut gouverner la terre avant de la libérer. C’est une erreur», résume Al-Batsh.
«Crevasses»
«L’idée que le Jihad cherche à supplanter le Hamas ne tient pas la route: ils ne veulent pas de ce pouvoir-là, souligne un diplomate européen, fin connaisseur de la bande de Gaza. Mais il y a aujourd’hui une divergence fondamentale entre les deux vis-à-vis d’Israël. Le Hamas veut obtenir des arrangements pour améliorer la qualité de vie afin de restaurer sa popularité. Le JIP y voit un embourgeoisement, un Hamas acoquiné aux Israéliens».
Dans un petit appartement mal aéré du centre-ville de Gaza, Hassan Abdou, 60 ans, se présente, pieds nus lui aussi, comme un intellectuel du JIP. «Le Jihad n’a pas changé sur ses principes, la Palestine reste un verset du Coran, qui ne se négocie pas, martèle-t-il. Mais depuis six mois, la stratégie a évolué. Shallah rendait des comptes. A l’Egypte, à l’Iran, au Hamas. Al-Nakhalah sent qu’il n’en a à rendre à personne, c’est un dur…»
Le soutien de l’Iran, tant au JIP qu’au Hamas, n’a jamais été un mystère. Mais il est tout sauf monolithique, soumis à la géopolitique, explique une source sécuritaire. «Pour l’Iran, le Hamas et le JIP sont des vases communicants. L’équilibre a changé au moment de la révolution syrienne. Le Hamas s’est rangé derrière les rebelles, alors que le Jihad a suivi la ligne iranienne pro-Al-Assad. Ils ont donc récupéré une partie des fonds dédiés au Hamas, autour de 20 millions de dollars [17,9 millions d’euros, ndlr] par an».
Le réchauffement récent des relations entre le Hamas et l’Iran pourrait priver le JIP d’une part de ses revenus, d’autant que les sanctions américaines se font sentir à Téhéran.
Guillaume Gendron -
26.08.19
Source: Soutien-Palestine