FREE PALESTINE
24 juin 2019

L’arrogance néocoloniale du plan Kushner

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«Vous ne pouvez pas vous passer de nous!» avait dit avec condescendance Lord Curzon aux Indiens sur lesquels il avait exercé les fonctions de vice-roi impérial britannique, il y a plus d'un siècle

 

Alors que la famille Trump côtoyait les Windsor lors de sa récente visite à Londres, la différence entre la véritable aristocratie et la fausse était indiscutable. Jared Kushner, gendre présidentiel et conseiller principal chargé d'élaborer un plan de paix pour le Moyen-Orient, a quelque chose en commun avec Lord Curzon et ses manières coloniales.

Dans une interview avec Axios diffusée sur HBO (Home Box Office) le 2 juin, peu de temps avant son arrivée au Royaume-Uni, Kushner a mis en doute la faisabilité d’une autonomie palestinienne indépendante, déclarant: «Nous devrons voir», ajoutant: «L'espoir est qu'ils finissent par être capables de gouverner».

A la question de savoir si les Palestiniens seraient un jour en mesure de se libérer «du gouvernement ou de l’ingérence militaire d’Israël», il a seulement déclaré que c’était mettre la «barre haute».

Après avoir suggéré que Kushner n’avait consulté que peu, voire aucun palestinien durant les deux ans de préparation du plan de paix, son intervieweur lui a demandé s'il comprenait pourquoi les Palestiniens ne lui faisaient pas confiance. Kushner a répondu sèchement: «Je ne suis pas ici pour inspirer confiance».

Ce n'est pas la première fois que les Palestiniens s’entendent dire qu'ils ne peuvent pas se gouverner eux-mêmes, qu'ils sont obligés de rester sous tutelle étrangère et que les consulter sur leur avenir national ne se justifie pas. En 1919, Lord Balfour, un autre impérialiste britannique, écrivit dans une note de service confidentielle à Curzon lui-même: «En Palestine, nous ne proposons même pas de consulter les souhaits des habitants actuels du pays (…). Le sionisme, qu’il soit bien ou mal, bon ou mauvais, est enraciné dans des traditions ancestrales, dans des nécessités présentes, dans des espoirs futurs bien plus importants que les désirs et les préjugés de 700.000 Arabes qui habitent à présent sur cette antique terre».

La déclaration de 1917 associée au nom de Balfour, base du mandat britannique qui a conduit à la création d'Israël, excluait les Palestiniens - que Balfour n'a jamais mentionnés nommément - des droits politiques et nationaux accordés aux juifs.

Dans l'interview Axios, Kushner a repris les paroles de Balfour, excluant à plusieurs reprises les Palestiniens de leurs droits politiques et nationaux. Kushner et ses collègues, le conseiller de la Maison Blanche Jason Greenblatt et David Friedman, ambassadeur des États-Unis en Israël, ont toujours insisté sur le fait qu’il s’agissait essentiellement d’une initiative de développement économique pour la Cisjordanie et la bande de Gaza occupées, censée fonctionner dans des conditions de contrôle israélien quasi absolu.

Jusqu'à présent, aucun élément politique n'a été révélé, à l'exception de l'indication claire que la souveraineté et l'Etat palestiniens sont exclus. Tout ce que les Palestiniens méritent, selon Kushner, est «l’opportunité d’avoir une vie meilleure (…), l’opportunité de payer leur hypothèque» sous souveraineté israélienne.

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Naturellement, presque universellement, les Palestiniens - ainsi que de nombreux commentateurs internationaux - voient dans une telle approche une simple voie vers la normalisation d'une occupation sans fin et une annexion progressive dans des conditions de discrimination juridique extrême entre juifs israéliens et arabes palestiniens: une situation qui ne ressemble à rien autant qu’à l'Afrique du Sud de l’apartheid.

Étonnamment, pour quelqu'un qui est censé être un homme d'affaires à succès, J.Kushner ignore apparemment le consensus économique qui décrit l’économie palestinienne comme étranglée principalement par l'ingérence systématique de l'occupation militaire israélienne qu'il préconise de maintenir.

L’administration Trump a ajouté à cette mainmise économique en décidant de réduire à la fois l’aide américaine directe à la Cisjordanie et à Gaza et son soutien à l'UNRWA.

Pendant ce temps, les États-Unis continuent de soutenir le blocus israélien de Gaza, aidé par l'Égypte, avec des effets désastreux sur ses 1,8 million d'habitants, notamment une pénurie chronique d'électricité et d'eau, un traitement minimal des eaux usées, un taux de chômage supérieur à 50% et une absence totale de liberté de mouvement.

Ce ne sont là que quelques-unes des manières dont l'administration dont fait partie Kushner a montré son mépris pour les Palestiniens. En reconnaissant Jérusalem comme la capitale d'Israël, l’administration Trump a unilatéralement retiré de la table le fait qu’Israël est tenu par traité de négocier avec les Palestiniens, elle a inversé plus de soixante-dix ans de politique américaine tout en ignorant le consensus international selon lequel le statut final de la ville serait soumis à un accord de paix mutuellement acceptable. 

L’administration Trump a également explicitement évité d’approuver une solution à deux États ou toute forme de souveraineté palestinienne, des prises de positions réitérées par Kushner dans son interview. Il a fermé la mission palestinienne à Washington, D.C., et coupé l'aide américaine à l'Autorité palestinienne. Il a affirmé que, contrairement au statut de tous les autres réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale, les descendants de Palestiniens, déclarés réfugiés en 1948, ne sont pas eux-mêmes des réfugiés.

Enfin, en approuvant l'annexion par Israël des hauteurs du Golan, l'administration Trump a ouvert la voie à l'annexion de toutes les parties de la Cisjordanie qu'Israël décidera d'engloutir.

En effet, dans une récente interview avec The New York Times, l'ambassadeur Friedman, qui est présenté comme une «force motrice» dans l'élaboration de la politique au Moyen-Orient de l’administration Trump, a déclaré qu'Israël a le «droit» d'annexer «une partie, mais probablement pas tout, de la Cisjordanie».

Friedman s’est alors mis à philosopher: à la question de savoir si le plan de Kushner incluait un État palestinien, il a médité: «Qu'est-ce qu'un État?» Il a conclu en comparant de manière ridicule l'occupation israélienne forcée et interminable de la terre palestinienne à la présence militaire américaine, décidée par traité, en Allemagne, au Japon et en Corée. Ces déclarations sont l’indicateur le plus clair de la direction prise par le vent à Washington.

En échange de ces atteintes aux droits des Palestiniens, ces derniers se verront offrir de l'argent, collecté auprès des monarchies du Golfe, une offre qui devrait être formalisée lors d'une conférence à Bahreïn à la fin du mois de juin.

La proposition de Kushner d’acheter l’opposition palestinienne pour lui faire accepter un plan qui évite un règlement politique négocié n’est pas simplement arrogante et grossière - elle correspond parfaitement aux antécédents de sa famille et de sa belle-famille. Il s’agit également d’une version récurrente de plans similaires de «paix économique» tenant lieu de droits palestiniens colportés par les dirigeants israéliens, de Shimon Peres à B.Netanyahu. 

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Depuis le début des accords d'Oslo au milieu des années 90, Peres, engagé dans la négation d’un Etat palestinien souverain, a lancé diverses idées de «paix économique». Benjamin Netanyahu a évoqué la même chose à partir des élections de 2009, et avec une emphase croissante depuis puisqu’il s'est de plus en plus prononcé contre un Etat palestinien.

Pour Netanyahu et les partisans ultranationalistes des colons extrémistes tels que son récent collègue Naftali Bennett, un édulcorant économique pour la pilule amère que les Palestiniens sont censés avaler est devenu un élément essentiel de leur approche explicitement annexionniste.

Ce n’est un secret pour personne que l’administration Trump et le gouvernement Netanyahu marchent ensemble, à la fois en ce qui concerne la Palestine et pour une confrontation avec l’Iran, mais ce qui est étonnant, c’est combien la politique de la Maison Blanche au Moyen-Orient, y compris le plan Kushner lui-même, a effectivement été externalisée à Netanyahu et à ses alliés en Israël et aux États-Unis.

Les «initiatives» de l'administration Trump au Moyen-Orient ont jusqu'à présent presque toutes été pré-emballées à partir du stock d'idées de l'extrême-droite israélienne, y compris le déplacement de l'ambassade de Jérusalem, la reconnaissance de l'annexion du Golan, la gestion insouciante du problème des réfugiés palestiniens, la tentative de liquider l’UNRWA et le retrait de l'accord nucléaire avec l'Iran.

Il reste quelques points sur la liste de souhaits de Netanyahu, notamment l'annexion d'une grande partie de la Cisjordanie, le rejet officiel par les États-Unis de l'Etat palestinien, la création d'un leadership palestinien complètement dompté et d'autres moyens déplorables de contraindre les Palestiniens à accepter d’être un peuple vaincu. 

Ce que Kushner et ses collègues disent, c'est que les Palestiniens n'ont pas de griefs justifiés ni de droits légitimes, à l'exception du droit à toute prospérité possible avec l'argent du Golfe dans le cadre d'une occupation militaire israélienne permanente de leurs terres.

Cependant, l'idée du plan Kushner de jeter l'argent des autres sur le problème ne le fera pas disparaître, pas quand cela concerne les droits nationaux, politiques, civils et humains d'environ 12 millions de personnes. Comme le montrent clairement le militantisme politique et de la société civile tel que le mouvement international BDS, et d'autres formes de résistance dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, chez les Palestiniens vivant en Israël et dans la diaspora palestinienne, le peuple palestinien ne va pas se laisser soudoyer.

L’administration Trump a clairement fait savoir que tandis que les Israéliens doivent participer activement à la décision sur ce qui se passe en Palestine, les Palestiniens eux-mêmes ne méritent pas d’être consultés sur leur avenir: dans leur arrogance, Kushner, Friedman, Greenblatt et leurs mentors israéliens d’extrême-droite savent mieux qu’eux.

Cela fait plus d’un siècle qu’est mise en œuvre la routine usée consistant à priver les Palestiniens de pouvoir, comme le plan de Kushner le fait d'une manière évidente et irrespectueuse. Cela n’a pas fonctionné sous le mandat britannique, ni entre 1948 et la montée de l'Organisation de libération de la Palestine dans les années 1960, alors que les régimes arabes tentaient de leur imposer leur tutelle, et cela n'a pas fonctionné sous le régime militaire d'Israël.

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Tout ce que les Palestiniens ont obtenu de leurs seigneurs israéliens, de Menahem Begin en 1977 à Benjamin Netanyahu aujourd’hui, sont des degrés extrêmement limités et très superficiels d’«autonomie» sous la férule israélienne. C’est manifestement tout ce que Kushner est disposé à offrir. 

Le statu quo d'occupation militaire et de colonisation que Kushner propose d'étendre indéfiniment est totalement en contradiction avec des décennies de politique déclarée des États-Unis et avec tous les principes de liberté, de justice et d'équité qu’ils sont supposés défendre. Laisser leur politique être dessinée par un personnage aussi insignifiant, agissant sous l’influence de la droite israélienne aux idées rétrogrades les déshonore.

Les relations de Jared Kushner avec la royauté à Londres lui ont peut-être tourné la tête, mais qu’il le sache ou non, les jours de Lord Curzon et de Lord Balfour sont révolus, l’époque coloniale est terminée. Avec les plans néocoloniaux qu’ils ont concoctés pour les Palestiniens, lui et ses alliés israéliens nagent à contre-courant de l’histoire.

Rashid Khalidi -

15.06.19

Source: ISM

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