La France et l’UE se font une raison de l’apartheid en Palestine
Une récente déclaration de l’Ambassadeur de France sortant aux États-Unis concernant la nature de l’apartheid israélien, met en lumière les errements de la politique étrangère de l’Union Européenne
L’UE fait preuve de lâcheté lorsqu’il s’agit de l’occupation illégale de la Palestine par Israël.
L’ambassadeur Gérard Araud a, bien sûr, eu raison de dire au magazine américain, l’Atlantic, qu’Israël était déjà un État d’apartheid.
Notant la «disproportion de pouvoir» entre Israël et les Palestiniens, Araud a dit: «Le plus fort (c’est-à-dire Israël) peut penser qu’il n’a aucun intérêt à faire des concessions».
Et comme Israël «ne fera pas des Palestiniens, des citoyens d’Israël… ils seront obligés d’officialiser cette situation, dont nous savons que c’est de l’apartheid».
G. Araud a ajouté: «Il y aura officiellement un état d’apartheid. En fait, c’est déjà le cas».
Le fait qu’Araud ait attendu la fin de son mandat diplomatique de cinq ans pour émettre des vérités aussi évidentes est révélateur de la nature de la politique, en général, et de la politique européenne, en particulier.
La triste vérité, c’est que l’UE a joué le rôle de laquais étatsunien au Moyen-Orient et qu’elle a toujours opéré dans les limites prescrites par Washington. La diplomatie de l’UE s’écarte rarement de cette ligne. Le fait que G. Araud ait osé s’exprimer est une exception, pas la règle.
Mais il est peu probable que l’aveu d’Araud se traduise par quoi que ce soit de concret. Il n’engendrera pas non plus une révision sérieuse de la position de l’UE sur l’occupation israélienne ou du soutien aveugle des États-Unis aux politiques militantes et racistes du 1er ministre israélien Benjamin Netanyahu à l’égard des Palestiniens.
Certains avaient espéré que l’arrivée d’un président erratique et corrosif à la Maison-Blanche pousserait les Européens à l’action. Ils ont été confortés dans leur espoir par le sommet sur le Moyen-Orient de janvier 2017, qui s’est tenu à Paris, malgré les protestations étatsuniennes.
Plus de 70 pays ont ajouté leur voix à celle de leur hôte français, pour exprimer leur opposition aux colonies juives illégales et appeler à la création d’un État palestinien indépendant considéré comme «la seule voie» vers la paix.
La déclaration finale du sommet a exhorté Israël et les Palestiniens à «réaffirmer officiellement leur engagement en faveur de la solution à deux États». Le président français de l’époque, François Hollande, a expliqué que le but de son pays était uniquement de faire en sorte que «la solution à deux États» soit le cadre de référence pour les futures négociations.
Mais à quoi tout cela a-t-il servi? Israël et les États-Unis ont fait comme si le sommet n’avait jamais eu lieu. Tel-Aviv a poursuivi sa politique d’apartheid, qu’il a couronnée en juillet, par la Loi sur l’État-nation qui stipule qu’Israël est l’«État-nation du peuple juif».
Trump a également ignoré la France et l’UE. Le 15 décembre 2016, il a choisi un ardent partisan d’Israël, David Friedman, comme ambassadeur en Israël. Friedman s’oppose à la solution à deux États et utilise les anciens noms bibliques de Judée et Samarie, pour parler des territoires palestiniens occupés.
Trump n’a pas non plus tenu compte de la position française lorsqu’il a transféré l’ambassade de son pays de Tel-Aviv à Jérusalem en mai 2018 dernier.
Comment l’UE a-t-elle réagi aux actions illégales des États-Unis? Par des déclarations d’intention toujours plus redondantes et dénuées de toute application concrète.
En décembre dernier, huit ambassadeurs de l’UE, dont celui de la France, ont fait une déclaration à l’ONU qui visait clairement les États-Unis: «Nous, les membres de l’Union européenne, membres du Conseil de sécurité de l’ONU, voudrions réitérer et réaffirmer l’engagement ferme et continu de l’UE en faveur des paramètres convenus au niveau international pour une paix juste et durable au Moyen-Orient, fondée sur le droit international, les résolutions appropriées des Nations-Unies et les accords antérieurs», peut-on lire dans cette déclaration.
Encore une fois, des paroles mais pas la moindre action concrète. Le même schéma s’est répété après que Trump ait décidé de donner le plateau du Golan syrien occupé à Israël, défiant l’ONU, l’UE et, cela va sans dire, les aspirations de millions d’Arabes.
La responsable de la politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini, a répondu, au nom de 28 Etats de l’UE, par une nouvelle déclaration disant que l’Europe «ne reconnaît pas la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan occupé».
Et ça change quoi? Alors que les États-Unis violent le droit international à coup de mesures concrètes, l’UE se contente de simples paroles, entérinant un statu quo qui, même lorsqu’il l’a été par Washington lui-même, n’a apporté que de la misère aux Palestiniens.
L’incompétence de l’UE n’a d’égal que son hypocrisie. Israël jouit toujours d’importants privilèges commerciaux avec l’Europe, et les relations diplomatiques entre Israël et la plupart des pays membres de l’UE sont à un niveau sans précédent.
La seule initiative européenne collective qui a semblé avoir un peu de portée sur le moment, remonte à 2013, lorsque l’UE a demandé que les produits israéliens fabriqués dans les colonies juives illégales soient étiquetés comme tels. Après des années de bricolage, l’UE a admis que le contrôle des pratiques commerciales israéliennes en matière d’étiquetage s’était avéré «impossible».
La position française sur le commerce avec les colonies illégales est particulièrement scandaleuse. Alors que le Sénat irlandais a voté le 5 décembre dernier pour interdire l’importation des biens produits dans les colonies, en octobre 2018, les Français ont fait exactement le contraire en suspendant les règles spéciales d’étiquetage.
En vérité, l’inefficacité des politiques de l’UE n’a rien de nouveau et elle ne peut pas être imputée aux mesures unilatérales de Trump. En fait, les propos de l’ambassadeur de France Araud illustrent la frustration accumulée par de nombreux diplomates de l’UE au fil des ans.
En février 2013, un rapport publié par des diplomates de l’UE a qualifié les colonies juives illégales de «plus grande menace pour la solution des deux États», appelant Bruxelles à prendre des mesures décisives pour mettre un terme à la colonisation «délibérée et agressive» d’Israël.
Le rapport a été publié il y a plus de six ans. L’UE n’a rien fait pour arrêter les colonies illégales, qui se sont multipliées à toute allure depuis lors.
Pire encore, après avoir remporté les dernières élections, Netanyahu a promis d’annexer les colonies juives illégales.
Si l’on considère le soutien inconditionnel des États-Unis aux annexions illégales antérieures de Jérusalem et du Golan par Israël, la promesse de Netanyahu pourrait très bien se réaliser rapidement. Après tout, selon la Loi de l’État-nation juif les colonies juives sont une «richesse nationale» et l’État «s’efforcera d’encourager et de promouvoir leur fondation et leur développement».
En réponse au soutien étatsunien d’Israël, la politique étrangère de l’UE est inconsistante et veule, et en fin de compte un échec total. Hélas, l’espoir que les premiers mois de la présidence de Trump avaient fait naître – que l’UE développe une position véritablement indépendante sur Israël et la Palestine – s’est révélé illusoire.
Pour changer tout cela, les membres de l’UE doivent tenir compte des paroles de l’ambassadeur de France, reconnaître la réalité de l’apartheid en Palestine et passer à l’action avec la puissance qui a été déployée par le monde entier contre l’apartheid sud-africain, et qui a conduit à son effondrement définitif et irréversible en 1994.
Ramzy Baroud -
12.05.19
Source: Chronique de Palestine