La cause palestinienne monte dans le train de l’oubli
Dans le monde arabe, la défense des Palestiniens est passée du rang de priorité à celui de simple variable d’ajustement
D’ici quelques années, une ligne ferroviaire devrait sillonner une partie du Proche-Orient et de la Péninsule arabique, selon le souhait – déjà ancien mais remis sur la table – des autorités israéliennes.
Au départ du port de Haïfa, au nord-ouest de l’Etat hébreu, les trains transporteront voyageurs et marchandises à travers la Jordanie, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, pour commencer.
Plus qu’un simple instrument économique, beaucoup voient dans ce projet la célébration du réchauffement des relations entre Tel-Aviv et Riyad, effective depuis près d’un an à présent.
Mais ce rapprochement, symbolisé par la future ligne ferroviaire, matérialise également, quelque part, le renoncement du monde arabe, et des Saoudiens en particulier, vis-à-vis de la cause palestinienne. Car il est intellectuellement et, davantage encore, matériellement difficile de satisfaire à la fois l’oppresseur et l’opprimé.
Bizarrerie de l’Histoire, lorsqu’en 1981, le prince héritier saoudien, Fahd ben Abdelaziz, présente un plan de paix pour le Proche-Orient sans aucune complaisance vis-à-vis d’Israël – il exige par exemple «le démantèlement des colonies», «le retour des réfugiés palestiniens ou leur indemnisation», ainsi que «la création d’un Etat palestinien» - le monde arabe crie au scandale, sous prétexte que le plan entraînerait de facto la reconnaissance par eux de l’Etat hébreu.
A l’inverse, lorsqu’en avril 2018, dans un entretien à The Atlantic, l’actuel prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman, affirme explicitement qu’Israël a «le droit d’exister» (1) – ce qu’aucun dirigeant arabe n’avait jusqu’alors reconnu - aucune réaction, ou si peu, de la part de ce même monde arabe. Qui, en 40 ans, a fait passer la cause palestinienne du rang de priorité plus ou moins absolue à celui de simple variable d’ajustement.
Même lorsque le président américain Donald Trump s’attaque à l’un des grands tabous de la coexistence israélo-arabe, celui du statut de la Ville sainte Jérusalem, en décembre 2017, les Etats arabes s’emmêlent les pinceaux. Et finissent, après quelques remontrances de façade – comme le vote de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) condamnant très implicitement la proposition américaine - par lâcher l’affaire.
«Les Palestiniens savent parfaitement que le soutien de leurs ‘‘frères’’ relève depuis longtemps d’une dialectique creuse. Ces derniers s’avèrent impuissants à faire pression sur Israël pour qu’il respecte le droit international voire même les accords d’Oslo», écrivent Akram Belkaïd et Olivier Pironet, journalistes au Monde diplomatique, dans l’éditorial d’un numéro (2) consacré à la Palestine en février 2018.
Les Palestiniens ne peuvent pas davantage compter sur les Occidentaux pour freiner la colonisation galopante de la Cisjordanie ou desserrer l’étau autour de la bande de Gaza. Pour la simple et bonne raison que le Proche-Orient est devenu le terrain de jeu des Etats-Unis, et que ces derniers – dont le «plan» pour la région, qui devrait être (enfin) dévoilé dans les prochains mois, promet de faire la part belle aux exigences israéliennes – soutiennent ouvertement Tel-Aviv depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche.
Celui-ci n’a cessé d’œuvrer, grâce notamment à l’entremise de son gendre, Jared Kushner, au rapprochement entre Israël et l’Arabie saoudite, qui partagent avec Washington une commune détestation de l’Iran, ciment de leur entente inédite – Riyad et Tel-Aviv n’entretiennent aucune relations diplomatiques officielles.
Une entente dont la solidité à toute épreuve a pu se mesurer lors de la conférence sur le Moyen-Orient organisée par Varsovie (Pologne), les 13 et 14 février derniers. Où le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, et le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, ont tenu des propos similaires – et assez féroces – contre Téhéran.
Le premier affirmant notamment que «vous ne pouvez pas obtenir la paix et la stabilité au Moyen-Orient sans affronter l’Iran, ce n’est tout simplement pas possible».
Une posture va-t’en-guerre – également adoptée par la République islamique – qui a manifestement des répercussions sur quiconque entretiendrait, dans la région, des relations avec les dirigeants iraniens. Comme, par exemple, le Qatar, qui s’est plus ou moins rapproché de son «voisin» chiite après sa mise au ban par Riyad en juin 2017. Doha, étonnamment, est exclue du vaste projet de ligne ferroviaire israélien…
Train de la concorde pour certain, de la discorde pour d’autres, ses wagons, qui parcourront le Golfe d’ici quelques années, charrieront des intérêts autrement plus diffus, mais stratégiques, que ceux, économiques, allégués par les autorités israéliennes.
Et réaffirmeront deux règles sans âge des relations internationales. La première: les ententes entre pays contre un tiers naissent souvent de la haine ressentie à l’égard de ce dernier; la seconde: la géopolitique est relative, soumise aux aléas du temps et aux rapports de force.
Malheur, bien souvent, aux faibles, dont la voix ne résonne pas suffisamment, et dont l’écho ne peut raisonner les grandes puissances. Qui enterrent, au profit de leurs intérêts, les combats passés. Aussi justes demeurent-ils.
Voici ce que les Etats arabes font de la cause palestinienne, qui monte ainsi, de plus en plus, dans le train de l’oubli.
Notes:
(1) Les termes exacts prononcés par MBS : « Je crois que chaque peuple, où qu’il se trouve, a le droit de vivre chez lui, en paix. Je crois que les Palestiniens et les Israéliens ont le droit d’avoir leurs propres terres. »
(2)Akram Belkaïd et Olivier Pironet, « Duplicité arabe, impasse palestinienne », Le Monde diplomatique. Manière de voir, février-mars 2018, p. 4.
La Rédaction de LMA -
18.02.19
Source: Le Monde Arabe