Gaza en quête d’eau salubre
Après avoir travaillé pendant trois ans dans l’État de Palestine, je voulais livrer une réflexion sur la situation en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène (EAH), et sur la manière dont l’UNICEF et ses partenaires traitent les défis complexes qui s’y rattachent
Il est impossible de résumer en quelques phrases la situation en matière d’eau et d’assainissement dans l’État de Palestine. Il faudrait parler de la situation à Gaza, puis de la situation en Cisjordanie et des contextes spécifiques à ces deux territoires.
On peut toutefois dire une chose, c’est que pour les enfants et les familles, le plus important, c’est d’avoir accès à une eau salubre et à des services d’assainissement.
Gaza est frappée par une crise de l’eau très grave. Plus de 90% des foyers étaient raccordés à l’eau salubre, mais aujourd’hui, l’eau qui sort des robinets n’est plus potable.
La situation n’a fait qu’empirer au cours des 15 dernières années: seul un foyer sur 10 jouit désormais d’un accès direct à une eau salubre.
Deux millions de personnes, pour la moitié des enfants, vivent à Gaza.
Israël leur fournit seulement 5% de l’eau dont elles ont besoin, si bien que l’aquifère côtier constitue leur principale source d’approvisionnement en eau. L’aquifère est donc soumis à un pompage intensif et ses réserves s’épuisent rapidement.
Pour ne rien arranger, en raison de la pollution et de l’afflux d’eau de mer, seulement 4% de l’eau extraite de l’aquifère est propre à la consommation. L’eau restante doit être purifiée et dessalée pour être potable.
Je suis tombé sur de nombreux puits privés durant mes déplacements dans les alentours de Gaza. La plupart d’entre eux ne sont pas réglementés. Ils appartiennent à des fournisseurs privés qui dessalent l’eau, la vendent et l’acheminent vers les foyers. Les deux tiers de cette eau sont déjà contaminés à la livraison.
Cette eau est en plus vendue extrêmement cher: 30 shekels (soit environ 7 dollars US) le mètre cube, contre un à deux shekels dans le réseau municipal.
Les restrictions à la circulation des marchandises et des personnes à l’entrée et à la sortie de Gaza perturbent également l’approvisionnement en eau, l’assainissement et l’hygiène, car il est souvent difficile de se procurer le matériel nécessaire pour gérer les réseaux d’approvisionnement en eau et d’assainissement.
La violence a aussi eu des retombées sur le réseau. La guerre de Gaza de 2014 a endommagé les systèmes d’approvisionnement en eau, notamment les réservoirs de stockage, les canalisations et les stations de pompage.
Les dégâts s’élèvent à près de 30 millions de dollars US. La réparation de ces infrastructures demande du temps et du matériel adapté.
La priorité est de dessaler l’eau de l’aquifère et l’eau de mer. On le savait déjà, mais il existe désormais des solutions innovantes pour renforcer l’efficacité du processus et le rendre plus économique.
Grâce à un financement de l’Union européenne, l’UNICEF a construit la plus grande usine de dessalement d’eau de mer de Gaza, permettant ainsi à quelque 75.000 personnes de jouir d’un meilleur accès à l’eau potable.
Cependant, l’usine ne produit qu’une fraction de l’eau qu’elle pourrait produire, car l’électricité ne fonctionne que 4 à 5 heures par jour à Gaza.
Un nouveau champ photovoltaïque est en cours de construction pour faire fonctionner l’usine et approvisionner 250.000 personnes en eau salubre.
Avec le financement d’USAID, l’UNICEF s’est également associé au Massachusetts Institute of Technology (MIT) afin de développer un nouveau prototype de dessalement par électrodialyse, une technique qui consiste à extraire les particules de sel de l’eau en faisant passer un courant électrique.
Ce prototype a le potentiel de régler le problème de l’eau à Gaza. Il consomme jusqu’à 60% d’énergie en moins, fonctionne à l’énergie solaire et peut transformer jusqu’à 90% de l’eau de l’aquifère en eau potable et le tout, pour un coût moindre.
Pour un professionnel de l’EAH comme moi, il s’agit d’une avancée prometteuse et enthousiasmante: avec ses avantages combinés, cette technologie peut fonctionner dans d’autres contextes touchés par une pénurie d’eau.
Cependant, d’autres mesures importantes doivent être prises. Il est possible de faciliter le renouvellement de l’aquifère en collectant l’eau de pluie, c’est-à-dire en la récupérant au lieu de la laisser s’écouler, et de faire un meilleur usage de l’eau disponible en recyclant les eaux usées à des fins agricoles, par exemple.
Par ailleurs, la population va dépendre pendant quelques années encore de l’acheminement de l’eau de l’aquifère par camion. Il est donc essentiel de renforcer la réglementation à cet égard si l’on veut préserver la santé des personnes qui boivent cette eau.
La pénurie d’eau a également des retombées sur le lavage des mains, les douches et le lavage des aliments.
Les problèmes d’hygiène augmentent les risques de maladies, en particulier chez les enfants, ce qui est particulièrement dangereux dans les régions densément peuplées.
Près de la totalité des foyers sont équipés de toilettes à Gaza, mais les coupures d’électricité entraînent une crise des eaux usées: les usines de traitement ne peuvent fonctionner à plein régime et l’équivalent de 43 bassins olympiques d’eaux usées brutes ou partiellement traitées est déversé dans la mer chaque jour.
Or ces eaux usées finissent toujours par regagner le rivage, si bien que près de 70% des plages de Gaza sont polluées.
L’UNICEF s’attache à réaliser le droit des enfants à disposer d’une eau salubre et de services d’assainissement à court et long terme.
C’est en trouvant une façon efficace et économique d’atteindre cet objectif que nous pourrons garantir sa pérennité dans le temps.
Toutes les personnes que j’ai rencontrées comprennent qu’il en va de leur intérêt. C’est ce qui me donne bon espoir.
La bande de Gaza compte des ingénieurs talentueux et dévoués, et j’admire le travail des techniciens qui font tout leur possible pour améliorer la situation.
Cependant, il est impératif que Gaza soit épargnée par la violence et que ses enfants soient protégés pour retrouver une vie normale, et qu’elle bénéficie d’un plus grand soutien de la communauté internationale.
Si ces deux conditions sont réunies, les gens réussiront à s’en sortir. Car ici, tout le monde est mû par la volonté de faire le nécessaire pour améliorer la santé et le bien-être des enfants et des familles.
Gregor von Medeazza -
16.01.19
Source: Unicef