FREE PALESTINE
3 mars 2019

Redéfinir l’antisémitisme pour taire les défenseurs des droits des Palestiniens & la réponse de Rony Brauman

Source: Externe

Le 20 février 2019, Emmanuel Macron déclare au dîner du Crif (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) que la France va mettre en oeuvre la dite «définition de l’antisémitisme de l’IHRA», un outil utilisé pour diffamer les organisations ou personnes défendant les droits des Palestiniens

 

La «définition de l’antisémitisme de l’IHRA», c’est quoi?

L’IHRA (Alliance Internationale pour le Souvenir de l’Holocauste) est une organisation internationale visant à promouvoir la mémoire de l’Holocauste. Le 26 mai 2016, elle a adopté en plénière (cela ne signifie pas que les 31 membres de l’IHRA ont adopté la définition) une «définition de travail de l’antisémitisme» non contraignante: «L’antisémitisme est une certaine perception des juifs qui pourrait s’exprimer à travers la haine envers les juifs. Les manifestations verbales et physiques d’antisémitisme peuvent être dirigées à l’encontre de juifs ou de non-juifs ainsi qu’envers leurs biens, envers des institutions de la communauté juive ou des bâtiments religieux».

Cette définition est citée dans le communiqué de pressede l’IHRA dans un encadré et en gras au moment de son adoption. Le communiqué mentionne également des exemples de manifestations de l’antisémitisme qui «peuvent inclure le ciblage de l’Etat d’Israël, conçu comme une communauté juive». Ces exemples ont été proposés et rédigés à l’origine par des lobbies pro-israéliens (comme l’American Jewish Committee), pour guider l’IHRA dans son travail. Or ils posent de graves problèmes pour la liberté d’expression sur la question israélo-palestinienne.

Un grave problème pour la liberté d’expression

Dès 2013, l’Agence européenne des droits fondamentaux retire la définition de son site Internet à cause de sa nature problématique. L’IHRA précise, elle en 2017, que la définition est circonscrite au paragraphe encadré et ne comprend pas les exemples qui, eux, n’ont jamais été votés. Malgré cela, des groupes de pression pro-israéliens manipulent ces exemples pour les intégrer dans la définition et poussent les Etats et institutions publiques ou privées à adopter cette définition «élargie» dans le but de criminaliser et/ou entraver les personnes et organisations défendant les droits des Palestiniens et critiques des politiques israéliennes.

Au Royaume-Uni et en Allemagne, Etats ayant adopté la définition «élargie», des dizaines d’évènements de solidarité avec la Palestine ont été annulés sur le seul fondement de cette définition qui n’est pourtant pas contraignante juridiquement.

Plusieurs juristes ont averti des risques pour la liberté d’expression d’adopter la définition avec ses exemples. La Commission nationale consultative sur les droits de l’Homme (CNCDH) a recommandé, dans son rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie 2017, de ne pas adopter la définition incluant les exemples pour plusieurs raisons. 40 organisations juives ont publié un appel demandant aux gouvernements de ne pas l’adopter, son but étant de «faire l’amalgame entre la critique légitime de l’Etat d’Israël ou la défense des droits des Palestiniens et l’antisémitisme, et ainsi supprimer ces derniers».

Source: Externe

Qui a adopté ladite «définition de l’antisémitisme de l’IHRA»?

A ce jour 10 autres Etats européens l’ont adoptée: la Roumanie, l’Autriche, l’Allemagne, la Bulgarie, la Slovaquie, l’Italie, le Royaume-Uni, la Slovénie, la République Tchèque et la Macédoine hors zone-UE. Les Etats-Unis l’ont également adoptée.

Au niveau des institutions européennes, la Commission européenne promeut la définition sur son site et le Parlement européen a adopté une résolution (non contraignante), en juin 2017, appelant les Etats membres à adopter «la définition de l’IHRA». Enfin, le Conseil «Justice et affaires intérieures» de l’UE approuve définitivement un projet de déclarationrédigé par le gouvernement d’extrême-droite autrichien et le Congrès juif mondial, le 6 décembre 2018. Le texte invite les Etats membres à adopter la définition IHRA et est approuvé formellement par le Conseil de l’UE le 14 décembre 2018.

De nombreux partis politiques, universités et autorités locales ont également adopté la définition dite «IHRA».

Depuis plusieurs mois le Crif exigeait sa transposition en droit français. Pourtant, un arsenal législatif et juridique existe déjà bel et bien dans notre pays pour prévenir et réprimer l’antisémitisme (la loi Gayssot de 1990, la loi de 1972 sur la lutte contre tous les racismes, la loi sur la liberté de la presse de 1881 et le Code pénal). Cela révèle bien la volonté de manipuler l’antisémitisme pour criminaliser les défenseurs des droits des Palestiniens.

21.02.19

Source: Plateforme-palestine

 

Source: Externe

Rony Brauman: «En tant que juif et citoyen français, je suis extrêmement choqué». L’ancien président de MSF explique l’extrême dangerosité de l’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme annoncée par le président français

 

[...]

Middle East Eye: Emmanuel Macron a déclaré au dîner du CRIF: «L’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme» et annoncé que la France le reconnaîtra comme tel». Mais deux jours avant, il disait: «Je ne pense pas que pénaliser l’antisionisme soit une bonne solution». Quelle est la portée politique de ces hésitations et pourquoi cette décision?

Rony Brauman: Je constate mais ne peux expliquer les volte-face et hésitations successives d’Emmanuel Macron sur cette question de l’antisionisme désormais assimilé à l’antisémitisme. C’est là un sujet délicat qui se frotte à plusieurs possibilités. Ce sont probablement les hésitations du pouvoir qui se retrouvent dans ces atermoiements.

Emmanuel Macron n’a pas annoncé vouloir introduire l’antisionisme dans le code pénal. Mais sa décision de lier antisémitisme et antisionisme va fournir, de façon détournée, un cadre d’interprétation juridique et judiciaire applicable contre la campagne BDS [Boycott, Désinvestissement, Sanctions]. Cela pourrait servir aussi contre des gens qui soutiennent ce boycott, qui pourraient être alors inquiétés.

Par ce biais, il s’agit de criminaliser des positions critiques sans toutefois faire de l’antisionisme un délit d’opinion de façon claire. Mais in fine, cela reviendra au même, car ce délit d’opinion sera de toute façon mis en place de façon détournée, et il ne vaut que pour certains propos, ceux qui concernent les juifs. Ce faisant, on jette de l’huile sur le feu qu’on prétendait éteindre.

Car comment mieux suggérer implicitement que les juifs doivent bénéficier d’un statut particulier, que les sionistes seraient mis par le pouvoir à l’abri de la critique et qu’Israël serait ainsi sanctuarisé contre les critiques sévères? Comment mieux nourrir les théories complotistes qu’en se livrant à ce genre de manœuvres? Il y a là un cheminement intellectuel qui m’échappe. C’est désastreux.

MEE : Existe-t-il un seul antisionisme? Le Bund polonais, certains juifs orthodoxes, certains mouvements du judaïsme libéral américain ont pu se qualifier ou se qualifient comme antisionistes par exemple…

RB : Il y a effectivement plusieurs formes d’antisionisme. À l’origine, l’antisionisme était l’opposition, d’ailleurs majoritairement juive, au mouvement national juif. Ce dernier était très minoritaire parmi les juifs européens. Ceux qui se vivaient comme assimilés y voyaient le risque d’être soupçonnés de double allégeance; quant aux orthodoxes, ils y voyaient un détournement impie de la Bible, seul le messie étant habilité selon eux à rassembler le peuple d’Israël. Rappelons-nous au passage que les juifs établis depuis toujours en Palestine, eux, n’étaient pas en faveur d’un État juif.

Après la création d’Israël, l’antisionisme a pu être compris de deux façons. D’abord, comme la continuation d’un refus de l’existence même de l’État d’Israël en tant qu’État juif. Mais c’est là une opinion abstraite car après tout, cet État existe et se déclarer contre cet État n’a qu’une portée symbolique mais aucune portée pratique. Cette opinion peut cependant exister et les gens qui étaient antisionistes jusqu’en 1948, de même que leurs héritiers intellectuels, ont le droit de persister dans cette conviction sans être taxés d’antisémites.

La seconde acception de cette notion d’antisionisme relève de l’opposition à la colonisation de la Cisjordanie, au blocus de Gaza, à la politique de l’État israélien, sans pour cela contester la réalité et l’existence de l’État d’Israël. C’est ce que montrent des enquêtes, où l’on constate fréquemment que des gens se disent antisionistes tout en étant, ou plutôt, parce qu’ils sont en faveur de la solution à deux Etats: une partie de la Palestine mandataire revenant aux Palestiniens et l’autre, au demeurant la plus importante, aux Israéliens. Antisioniste veut alors dire favorable à l’évacuation des territoires occupés.

J’observe un mélange, voire une confusion de ces deux acceptions. À titre personnel, je ne me définis pas comme antisioniste mais comme post-sioniste, a-sioniste ou non-sioniste. Je veux dire par là que c’est dans une construction politique post-nationaliste que se trouve à mon sens la solution du conflit.

Les deux populations vivent de facto dans un seul État, sous une même autorité, mais l’une a tous les droits, l’autre n’en a aucun. Je pense que c’est le démantèlement de ce système d’apartheid qui est à l’ordre du jour.

MEE : Emmanuel Macron s’est référé à la définition de l’IHRA. C’est cette même définition en onze exemples qu’a fini par adopter le parti travailliste britannique en septembre dernier. Qu’est-ce que cet organisme?

RB : À l’origine, l’International Holocaust Remembrance Alliance n’avait aucun rapport avec Israël. Son but était, notamment en Europe, d’entretenir la mémoire du génocide juif.

À l’instar d’autres ONG pro-israéliennes, l’IHRA a entrepris aussi de lutter contre l’antisémitisme. Cette lutte, dont je ne discute évidemment pas le bien-fondé, ne se fait cependant pas du point de vue de la négation du génocide juif mais du point de vue de la critique d’Israël.

Ce glissement et cette façon de faire, voulus par le lobby israélien en Europe, sont extrêmement pervers et cela ne peut que nourrir le complotisme et nuire à toute forme de critique politique d’Israël.

L’État d’Israël est cité à neuf reprises dans les exemples qui accompagnent la définition afin d’illustrer sa mise en application. C’est dans cet esprit qu’à l’occasion de la tenue à Paris, en 2017, d’une conférence sur l’étiquetage des produits en provenance des territoires occupés, que le CRIF a déclaré que cette réunion internationale était «pire que l’affaire Dreyfus». Netanyahu, de son côté, l’a qualifiée d’antisémite!

Source: Externe

MEE : Dans le contexte social français actuel, cette décision prise par Emmanuel Macron de lier sionisme et antisémitisme n’est-elle pas dangereuse d’abord pour les Français de confession juive?

RB : Il y a là une instrumentalisation perverse de l’antisémitisme qui sert en l’occurrence à disqualifier un mouvement social, celui des Gilets jaunes. Cette instrumentalisation a pour effet pervers de placer les juifs dans le cercle fantasmé des puissants, des dominants, de ceux qui maîtrisent les discours et les médias. Ils seraient ceux qui imposent leur vérité et leur description des situations au détriment de tout le reste. C’est là un jeu extrêmement dangereux.

À titre personnel, en tant que juif comme en tant que citoyen français, je suis extrêmement choqué par les déclarations d’Emmanuel Macron.

MEE : En Israël, les élections d’avril se préparent à coup d’alliances entre, par exemple, Benjamin Netanyahu et le mouvement raciste kahaniste. Une autre alliance, contre lui cette fois, s’est faite entre ses principaux rivaux, dont Benny Gantz et Yaïr Lapid. Selon la presse israélienne, E. Macron a confirmé personnellement à B. Netanyahu sa décision de lier antisémitisme et antisionisme, juste avant de faire son discours devant le CRIF. Est-ce là une ingérence dans la politique israélienne, et vice versa?

RB : Ces circonstances aggravent encore plus l’indécence de cette situation. Benyamin Netanyahu avait déjà été invité à la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv l’an passé. Il l’avait auparavant été par Manuel Valls alors 1er ministre. Or, il n’y avait pourtant aucune raison à cette invitation. Sinon à créer un amalgame dangereux entre juif, sioniste et politique israélienne. C’est là une confusion qui ne peut être que renforcée par ce genre de pratiques et de déclarations.

J’y vois même une sorte de «double blind» ou d’injonctions contradictoires constantes: il ne faut pas confondre les juifs et Israël, donc ne pas utiliser la politique israélienne contre les juifs. Mais d’un autre côté, les juifs et Israël sont constamment confondus puisque quand sont commémorées des atrocités commises contre les juifs, on le fait aux côtés du 1er ministre israélien.

MEE : Plutôt qu’antisionisme = antisémitisme, n’observe-t-on pas une autre équation qui poserait que désormais, de nombreux partis politiques ou dirigeants d’extrême droite ouvertement sionistes le sont sur la base d’une vision antisémite des juifs?

RB : Benjamin Netanyahu s’est effectivement acoquiné avec la pire racaille d’extrême droite, du Brésilien Jair Bolsonaro à l’Autrichien Heinz-Christian Strache, du président philippin à d’autres dirigeants ouvertement racistes. Quand on observe les alliances internes que le 1er ministre noue avec des mouvements explicitement racistes et violents, cela ajoute à ce sentiment de dépit et d’outrage qu’on ne peut que ressentir après la déclaration d’E. Macron.

L’antisémitisme n’a attendu ni le sionisme ni la création d’Israël pour s’alimenter. Mais on ne peut que constater que de tels comportements et déclarations le nourrissent, l’amplifient, en élargissent la portée. Tout cela est très dangereux.

Hassina Mechaï -

22.02.19

Source: MEE

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